Piquillo Alliaga/34

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Texte établi par Maresq et Cie, Libraires, Vialat et Cie, Éditeurs (p. 143-154).


XXXIV.

guerre à la cour. — bataille rangée.

Aïxa avait quitté le roi par la petite porte cachée dans la tapisserie et qui conduisait à l’orangerie. De là on se trouvait dans le parc.

Enchantée d’avoir tenu sa promesse envers Carmen et d’avoir si bien reçu le seigneur don Augustin de Villa-Flor, ravie surtout de ce qu’elle venait de tenter en faveur de Piquillo, Aïxa se rendait à la chambre de Carmen pour lui rendre compte de sa soirée.

Au détour d’un massif d’arbres qu’elle venait de franchir, elle aperçut un homme qui s’avançait en rêvant. Elle reconnut Fernand d’Albayda qui sortait de chez sa fiancée.

Il tressaillit en apercevant Aïxa ; mais il ne vit point sa pâleur soudaine ; grâce au ciel, il faisait nuit.

Ce fut la jeune fille qui parla la première en cherchant à cacher l’émotion de sa voix.

— C’est vous, don Fernand ? vous venez de quitter Carmen ?

— Oui, senora, il m’a fallu lui dire ce qu’il eût peut-être été mieux de ne confier qu’à vous ; mais vous n’avez pas voulu recevoir mes adieux !

— Me voici, dit-elle en lui tendant la main avec noblesse. Je les reçois, seigneur Fernand, puissiez-vous être heureux, et pour que vos amis le soient aussi, revenez vite.

— Mes amis ! répondit-il d’un air triste, vont accuser mon talent ou mon zèle, car je pars sans avoir pu remplir leurs ordres. Oui, senora, malgré les démarches et les recherches les plus actives, je n’ai rien pu découvrir encore sur le sort de Piquillo.

— Que cela ne vous inquiète pas.

— Si, vraiment, car j’ai été obligé de partir. Je suis en ce moment, du moins tout le monde le croit, sur la route de Lisbonne, j’y arriverai dans quelques jours, et comment vous servir d’aussi loin !

— Rassurez-vous, j’espère connaître par un autre moyen ce que je voulais savoir, et peut-être même obtenir la liberté du pauvre prisonnier.

Fernand tressaillit et dit avec amertume :

— Ainsi je n’aurai pas même pu vous être utile, ni acquérir un droit à votre reconnaissance.

— Vous vous trompez…… ma reconnaissance est la même que si vous aviez tout à fait réussi, croyez-le bien.

Elle fit un pas pour s’éloigner.

— Oui… oui, s’écria Fernand avec égarement, moi qui maudissais ce départ, je dois le bénir… c’est un bonheur, il ne pouvait m’arriver rien de plus favorable. Puisse cette absence durer toujours !

Aïxa, effrayée de cette espèce de délire, s’arrêta, et lui dit avec sa douce voix :

— Toujours, seigneur Fernand, ce n’est pas possible ! les troubles pour lesquels on vous envoie à Lisbonne seront bien vite apaisés… Je m’en rapporte à votre habileté et à votre courage. Bientôt vous reviendrez près de vos amis, vous reviendrez pour tenir vos serments, pour épouser Carmen, qui vous aime tant, qu’elle perdrait la vie si elle perdait votre tendresse.

Il lui glissa dans la main un petit papier, lui recommanda
de nouveau le silence, et disparut.

Ces mots, prononcés à demi-voix et comme une prière, allèrent droit au cœur de Fernand ; il éprouva une émotion qu’il ne chercha point à cacher, et s’il n’eût fait nuit, Aïxa eût vu les deux grosses larmes qui s’échappèrent de ses yeux.

— Oui, vous avez raison, Fernand d’Albayda doit tenir sa parole… mais il y a des moments, murmura-t-il d’une voix sourde, où l’on voudrait mourir !

— Mourir est toujours facile, répondit Aïxa avec fermeté ; ce qui l’est moins et ce qui est plus digne d’un noble cœur… c’est de rester et de combattre.

Puis, levant vers le ciel un regard plein de courage et d’espoir, elle ajouta :

— Et de vaincre.

Elle s’élança dans l’allée qui était devant elle et disparut. Elle trouva Carmen qui l’attendait tout inquiète, et qui se hâta de lui raconter que Fernand venait de la quitter.

— Je le sais… je l’ai rencontré… mais il n’a eu le temps de me rien dire ; que venait-il t’apprendre ?

— Les choses les plus singulières. Tout en m’avouant que s’il avait pu ne pas m’effrayer par une pareille confidence, il l’aurait fait, mais qu’il le fallait absolument ; il me conjure, sans vouloir entrer dans aucun détail, de me tenir sur mes gardes. Il craint qu’on n’ait sur moi des projets ambitieux et dangereux, qui ne tendraient à rien moins qu’à nous séparer et à nous désunir. Est-ce possible ?

— En effet, comment cela ?

— Il n’avait pas assez de certitude pour affirmer… mais il craignait qu’il n’y eût quelque complot dont le but fût de me jeter dans les bras d’un autre ; voilà ses propres expressions !

— Ô ciel ! dit Aïxa.

— Et jusqu’à ce qu’il y eût des preuves plus évidentes, il me suppliait de me méfier du père Jérôme, qui vient si souvent à notre hôtel… du père Escobar, qui, depuis quelque temps, est mon confesseur.

Aïxa refusa de se mettre à table, comme le roi le lui proposait.

— Don Fernand n’a peut-être pas tort.

— Enfin, ce que tu ne croirais jamais… tout en balbutiant… et en hésitant beaucoup, il m’a conjurée de me défier… même de la comtesse d’Altamira.

— Ta tante ! s’écria Aïxa.

— Et la sienne aussi !

— Eh bien, dit Aïxa en réfléchissant, j’ai peu étudié la comtesse, je n’avais aucun intérêt à la connaître ; mais dans ce qui m’est apparu j’ai cru entrevoir d’étranges choses, ne fût-ce que la présence continuelle de ce duc d’Uzède, ennemi mortel de don Fernand, son neveu ; et quand même ton fiancé se tromperait, dans le doute vois-tu bien, je n’hésiterais pas un instant entre la comtesse d’Altamira et le noble Fernand d’Albayda l’époux choisi par ton père.

— Tu as raison, tu as raison ! s’écria Carmen en l’embrassant.

Il fut convenu entre les deux jeunes filles qu’on observerait, qu’on se tiendrait sur ses gardes, et que surtout on ne dirait rien à la comtesse des recommandations, ni de la visite nocturne de Fernand.

— Maintenant, dit Carmen, raconte-moi la réception que tu as faite à notre cousin Augustin ; car ma tante ne manquera pas, demain matin, de m’interroger, et il faut que je puisse lui répondre avec détails.

Aïxa n’oublia rien et raconta à son amie tout ce qu’avait fait, tout ce qu’avait dit don Augustin Villa-Flor, la manière dont il avait soupé, le baiser qu’il avait demandé, et enfin son départ pour Burgos.

Pendant ce temps, le roi galopait avec son fidèle confident, qui avait joué en cette circonstance un rôle que la qualité du maître ennoblissait à ses yeux. Le roi ne pensait plus à l’humidité de la nuit, ni à la forêt qu’il fallait traverser. Il était gai, il était spirituel, il était brave : il était amoureux !

— Charmant, mon cher duc, charmant ! une aventure qui tient de la magie !

— Je viens d’apprendre, sire, que ce château appartenait à la comtesse d’Altamira.

— Je le savais déjà, dit le roi d’un air triomphant. Je viens de souper en tête-à-tête… c’est-à-dire non… j’ai soupé seul, mais je viens de passer une soirée délicieuse avec sa nièce.

— L’adorable Carmen !

— On la nomme Carmen ! s’écria vivement le roi.

— Oui, sire, et je la connais beaucoup.

— Tu la connais ! Eh bien ! n’est-il pas vrai qu’il n’y a rien au monde de plus frais, de plus gracieux, de plus séduisant ?

— En effet, Votre Majesté me paraît séduite…

— Ma foi, j’en conviens… Si tu savais que de finesse, que d’esprit, que de bonté… Elle m’a dit les choses les plus gracieuses… C’est-à-dire pas toujours… mais c’était sans le vouloir ! Elle croyait parler à son cousin… son cousin Augustin… Je te raconterai cela… C’est délicieux, l’incognito !

— Je vois, sire, ce que vous ne me dites pas… que Votre Majesté a été fort aimable…

— Mais oui !… Jamais du moins je ne me suis senti plus à mon aise… et puis tu ne sais pas… tu ne le croiras jamais…

— Quoi donc, sire ?

— Je l’ai embrassée.

— En vérité !

— Moi-même !… et ce baiser, vois-tu bien… Je crois le sentir encore… Il me brûle, il me fait chaud aux lèvres et au cœur ! Mon ami, mon cher duc… il faut que je la revoie encore, que je lui parle.

— Prenez garde, sire…

— Il n’y a qu’à toi que je puisse me confier ! toi qui puisses me procurer ce bonheur.

— C’est si difficile ! si l’on se doutait de quelque chose…

— On ne se doutera de rien.

— Votre Majesté me promet donc le plus profond silence avec le duc de Lerma, mon père, qui m’en voudrait…

— Je ne lui en parlerai pas…

— Avec Sandoval ou le père Cordova.

— À personne au monde, je te le jure. Toi seul es mon ami, mon véritable ami.

En effet, et comme cela arrive toujours en pareil cas, le roi ne pouvait plus quitter le duc d’Uzède, son confident, le seul avec lequel il lui fût permis de parler de sa passion ; car déjà c’en était une, et les obstacles devaient l’irriter encore.

L’absence du roi, qui s’était égaré à la chasse dans la forêt de Médina, fut pendant deux jours le sujet de toutes les conversations, puis on n’y pensa plus, et d’autres événements vinrent occuper la cour.

Dès le lendemain, la duchesse, qui était rétablie de son indisposition, se hâta d’interroger Carmen, et celle-ci raconta de son mieux les détails de la soirée qu’elle était censée avoir passée avec le seigneur don Augustin de Villa-Flor.

Vu le manque d’habitude, elle n’avait pu mentir aussi complétement sans se troubler et sans rougir un peu, ce qui parut à la comtesse d’un favorable augure.

— Tu l’as donc trouvé fort aimable ?

— Mais oui ! j’ai surtout admiré, dit Carmen en se rappelant le récit d’Aïxa, sa franchise, sa bonhomie et sa timidité.

— Il t’a embrassée cependant.

— Je n’ai pas cru devoir le refuser au seigneur don Augustin, notre cousin.

— Tu as bien fait… très-bien, certainement.

— Et lui… comment t’a-t-il trouvée ?

— Ah ! je n’en sais rien !

On annonça en ce moment la visite du duc d’Uzède. Carmen se retira, enchantée de ce bon hasard qui mettait un terme aux questions assez embarrassantes de sa tante.

Le confident du roi venait annoncer à la comtesse le merveilleux effet produit par la visite de la veille. Le roi était amoureux !

C’était tout ce que demandaient les conjurés.

Il fallait maintenant ménager avec art les retards et les refus, assez pour augmenter cet amour, pas assez cependant pour le décourager, et en attendant l’exploiter à leur profit et en tirer contre leurs ennemis tout le parti possible. Il fallait, surtout dans le commencement d’une pareille intrigue, éviter de donner des soupçons au duc de Lerma, jusqu’au jour où l’ascendant de la favorite serait assez assuré pour n’avoir rien à craindre.

Le roi demandait avec instance une seconde entrevue. Ce n’était pas possible. Il était nécessaire d’y préparer Carmen ; la comtesse s’en serait bien chargée ; mais une sortie du roi, une nouvelle absence, serait remarquée, surtout à Valladolid : un roi ne se perd pas tous les jours. Il fut donc décidé qu’on attendrait le retour à Madrid, et l’impatience du roi fit tellement hâter le départ, que, la semaine suivante, Sa Majesté se trouvait réinstallée dans sa capitale, et la comtesse d’Altamira dans son hôtel.

Les instances du roi recommencèrent auprès du duc d’Uzède, qui, selon lui, ne menait pas cette affaire assez vivement, et cependant le duc prétendait avoir déjà fait un pas immense, car il avait, disait-il, mis dans ses intérêts la tante de Carmen. Et le monarque, dans l’effusion de sa reconnaissance, cherchait les moyens de s’acquitter envers la comtesse, décidé à ne rien lui refuser de ce qu’elle demanderait.

Il était impossible de s’exécuter de meilleure grâce ; le roi, en échange, n’exigeait qu’une faveur, c’était de revoir Carmen avec sa tante, de loin, à la promenade ; il promettait, si on l’exigeait, de ne pas lui parler ; il ne voulait que la voir, mais il le voulait, et l’on ne pouvait le refuser.

Le conseil s’assembla à l’hôtel d’Altamira, et cette fois les révérends pères Jérôme et Escobar y assistaient.

Escobar et Jérôme étaient déjà au fait de la tournure favorable que prenait la conspiration, mais on avait besoin de leurs conseils et du secours de leurs lumières sur la marche à suivre.

Le roi demandait à voir Carmen, sans lui parler, sans même que celle-ci s’en doutât. Rien de plus innocent et de plus facile. Fallait-il y consentir ?

— C’est mon avis, dit le duc d’Uzède.

— Ce n’est pas le mien, répondit le père Jérôme.

— Je suis de l’opinion du révérend, dit Escobar. Quand on veut aller vite, il faut attendre ; moins nous avancerons, plus le roi viendra à nous.

— Il ne faut rien accorder qu’avec des garanties, ajouta Jérôme, c’est plus sûr. Le roi peut changer, les garanties restent.

— Eh bien ! dit la comtesse, que demanderons-nous ? nous n’avons qu’à choisir, Sa Majesté accepte d’avance.

— Si j’exigeais qu’on me nommât du conseil privé ! s’écria d’Uzède, je vous tiendrais au courant de toutes les délibérations.

— Si je réclamais la place de la duchesse de Candia, celle de la camariera mayor ? dit avec bonhomie la comtesse, je serais toujours là à la cour pour vous servir.

Le père Jérôme haussa les épaules de pitié, et répondit gravement :

— Dans une affaire aussi importante, aussi majeure, il ne faut pas songer aux intérêts particuliers ; ils trouveront plus tard leur place ; l’essentiel, c’est de voir les choses de haut, de penser à l’avenir, et si nous ne voulons pas voir nos espérances promptement renversées, de bâtir non sur le sable, mais sur le granit.

Escobar approuva de la tête.

— Quel est le point de la question ? Quels sont nos véritables ennemis ? continua le révérend père : ce sont les dominicains, c’est l’inquisition, car le duc de Lerma lui-même n’existe que par l’appui de son frère, le grand inquisiteur.

— Il faut donc élever et fortifier le seul ordre qui puisse tenir tête à l’inquisition, s’opposer à ses envahissements et défendre vos intérêts comme les siens. Cet ordre, c’est le nôtre, et il va être détruit si l’on place, comme le veut Sandoval, un moine qui lui est dévoué, à la tête de la communauté d’Alcala de Hénarès ; le péril est imminent.

— Il n’est que trop vrai, dit Escobar avec un soupir, c’en est fait de l’ordre, qui cependant vous eût prêté en tout temps son appui…

— C’en est fait de nous-mêmes ! qui serons obligés de quitter l’Espagne.

— Nous ne le souffrirons pas ! dit la comtesse.

— Que faut-il faire pour l’empêcher ? dit le duc d’Uzède.

— Demander au roi de nommer pour abbé, pour supérieur du couvent d’Alcala de Hénarès, un révérend père jésuite.

— Et lequel ? demanda le duc.

— Peu importe, répondit le père Jérôme d’un air détaché, pourvu qu’il ait de la foi et un zèle aveugle pour nos intérêts.

— Il me semble alors, dit Escobar d’un air paterne, que nul ne réunit à un plus haut degré que le révérend, toutes les qualités requises.

— C’est juste, répondit la comtesse ; et le duc fut de son avis.

— Je n’accepterais, s’écria le révérend, qu’à une condition, à une seule, sine qua non.

— Faites-nous-la connaître.

— C’est qu’on nommerait notre frère Escobar à la place de prieur du couvent et en même temps à celle de recteur de l’université de Hénarès, où il peut nous rendre les plus grands services.

— Comment cela ?

— Par son influence sur les fils des premières maisons de Madrid, qu’on envoie à Alcala.

— Je comprends bien, dit la comtesse ; mais dans l’esprit du roi quel rapport cela peut-il avoir avec Carmen ?

— Un très-grand, très-intime, répondit Escobar d’une voix douce et en baissant les yeux. On peut avoir besoin très-incessamment de diriger vers un but essentiellement monarchique les idées et la conscience de la senora Carmen, et alors quoi de plus avantageux pour Sa Majesté que de pouvoir compter sur le père Jérôme et le frère Escobar, l’un directeur, l’autre confesseur de votre nièce !

— Admirable de raisonnement ! s’écria la comtesse.

— Je crois seulement, dit Escobar avec modestie, que l’argument n’est point dépourvu de justesse.

Le duc d’Uzède ne manqua point de le faire valoir auprès du roi, en donnant à entendre qu’après cela il n’y aurait aucun obstacle à la promenade du lendemain.

— Escobar ! dit le roi en écrivant les noms qu’on lui dictait, n’est-ce pas ce moine que nous rencontrâmes dernièrement ?

— Je crois que oui, sire.

— Celui qui raisonne si habilement et tire des conséquences si imprévues… et si commodes !

— Oui, sire… vous lui avez promis votre royale protection.

— Et nous la lui devons, c’est un homme de talent ! et nous le nommerons, dites-vous…

— Prieur du couvent et recteur de l’université…

— C’est bien… il apprendra à raisonner à la jeunesse !

— Qui déraisonne si souvent, dit le duc en se mettant à rire.

Et le roi l’imita, comme si la plaisanterie eût été excellente ; le duc était en faveur !

Mais le lendemain la rumeur fut grande à l’hôtel du duc de Lerma et au palais de l’inquisition. Le roi, sans consulter personne, pas même son ministre, avait signé lui-même la nomination du père Jérôme comme abbé supérieur de la communauté d’Hénarès ; et un moine inconnu, nommé Escobar, avait été élevé à la dignité de prieur !

Le ministre se rendit chez le roi pour lui demander l’explication d’une pareille conduite.

— Est-ce que c’est important ? dit le roi d’un air très-calme.

— Oui, sire, à ce que prétend le grand inquisiteur.

— Tant pis ! dit le roi… Je m’ennuyais… Je n’avais rien à signer ; et puis je me rappelle maintenant, c’est pour vous ce que j’en ai fait.

— Pour moi, sire ?

— Oui, j’ai cru voir, au carême dernier, que vous aviez peu de plaisir à l’entendre prêcher.

— C’est vrai, je n’aime pas sa manière.

— En le nommant supérieur du couvent d’Hénarès… une place qui l’oblige à la résidence, il ne prêchera plus à la cour, vous en voilà délivré ; vous voyez que j’ai agi dans vos intérêts.

— Mais, sire, c’est une très-considérable et très-riche abbaye…

— Quand un roi donne, il doit donner… en roi.

— Si au moins Votre Majesté avait daigné me consulter…

— Je réparerai mes torts, mon cher duc, dit le roi gaiement. Le régiment des gardes wallonnes est vacant… voyons ? qui nommerons-nous ?

— Mais, sire, dit le duc, un peu embarrassé.

L’huissier de la chambre du roi annonça en ce moment le marquis de Pombal, colonel des gardes wallonnes.

— Ah ! dit le roi étonné… ce régiment vacant…

— Pardon, sire, j’ai cru pouvoir en disposer.

— Sans me consulter ! dit le roi d’un air piqué et en se mordant les lèvres ; il pensa dans ce moment à ce que lui avait dit Aïxa, et pour la première fois peut-être il allait se fâcher contre son ministre, mais c’était ce jour-là, dans quelques heures, qu’il devait voir celle qu’il aimait ; le bonheur rend indulgent ! le roi n’avait ni le cœur ni le temps de se mettre en colère.

Il regarda seulement son ministre d’un air joyeux et ironique, et lui dit :

— Ah ! monsieur le duc, je ne suis point exigeant ! partageons. Je vous laisse les colonels, laissez-moi les abbés !

C’est tout ce que le ministre put obtenir de renseignements sur cette affaire. Ce qui l’effrayait encore plus, c’était l’air leste et dégagé de Sa Majesté, et surtout ce ton ironique que le souverain ne s’était jamais permis avec lui.

Il confia ses craintes à son frère Sandoval, qui lui-même ne laissait pas d’être soucieux.

La veille, le roi avait fait venir fray Ambrosio, attaché au secrétariat de l’inquisition, et lui avait ordonné de vérifier si un nommé Piquillo d’Alliaga n’était pas enfermé dans les prisons du saint-office ; demande, du reste, sans importance, mais qui prouvait que dans ce moment le roi avait la manie inquiétante de s’occuper, de s’informer, et surtout de donner lui-même des places dont le ministre comptait disposer. Toutes ces innovations agitaient le duc de Lerma à un tel point qu’il ne put s’empêcher de dire au duc d’Uzède, son fils :

— Vous ne quittez point Sa Majesté, savez-vous, mon fils, ce qui lui est arrivé ? n’avez-vous pas remarqué quelque chose de nouveau ?

— Rien, mon père, répondit froidement le traître.

Et il alla rejoindre son souverain, qui se préparait à sortir incognito pour la promenade.

C’était une froide mais superbe journée d’automne.

Le soleil, qui depuis longtemps ne s’était pas montré, dardait ce jour-là ses rayons. Toute la belle société s’était donné rendez-vous à Buen-Retiro, résidence royale qui occupe, avec ses jardins, une grande étendue dans la partie orientale de Madrid. Buen-Retiro était alors la promenade plus particulièrement fréquentée par les personnes de la cour, comme le Prado l’était par les bourgeois de la ville. Là, les nobles dames étalaient leurs riches toilettes, et les élégants d’alors venaient se montrer avec leurs barbes pointues, le feutre à longs poils sur l’oreille, le pourpoint serré, le large haut-de-chausses à demi détaché et la fraise à la confusion.

C’était l’Espagne qui, pour les modes et l’élégance, donnait le ton à toute l’Europe. La France, qui depuis a pris sa revanche, s’empressait alors d’adopter et d’imiter tout ce qui venait de Madrid. C’était à Buen-Retiro que se donnaient tous les rendez-vous galants, que se lançaient toutes les coquettes œillades, que se glissaient tous les billets doux qui n’avaient pu être échangés, le matin, à l’église Saint-Isidore ou Sainte-Isabelle.

Depuis leur retour à Madrid, Carmen et Aïxa n’étaient presque point sorties, et par cette belle matinée, par ce beau soleil, la comtesse d’Altamira n’eut point de peine à décider sa nièce à prendre l’air et à aller se promener à Buen-Retiro.

Carmen accepta sur-le-champ pour elle et pour Aïxa, et après vêpres le carrosse de la comtesse conduisit les trois dames dans le palais du roi, dont les jardins servaient de promenade publique. Il était trois heures à peu près quand elles arrivèrent.

Deux hommes étaient arrêtés dans les allées latérales. Le froid qu’il faisait, ce jour-là, et surtout le désir de ne pas être reconnus, les avaient fait s’envelopper de larges manteaux. Un sombrero élégant retombait sur leur front et les cachait jusqu’aux yeux.

Depuis longtemps le plus jeune des deux cavaliers semblait attendre avec une vive impatience. Voyant enfin ces dames descendre de carrosse, il ne put maitriser un léger cri de joie que son compagnon se hâta de réprimer ; mais son trouble et son émotion furent tels, qu’il s’appuya contre un des arbres antiques derrière lesquels ils étaient abrités et qui formaient un des plus beaux ornements de la promenade.

La comtesse et les deux jeunes filles s’avancèrent dans l’allée du milieu, celle où se pressait la foule des promeneurs, et furent bientôt l’objet de tous les regards. La noble dame ne perdait point de vue les deux cavaliers, enveloppés de manteaux, qui les suivaient assidûment et de loin dans les allées latérales ; quant aux jeunes filles, elles ne se doutaient de rien, occupées du spectacle mouvant qui s’offrait à leurs yeux.

Plusieurs fois, se dégageant de la foule, la comtesse se rapprocha du bord de l’allée. Il y eut un moment où la mantille d’Aïxa effleura presque le manteau d’un des cavaliers ; un groupe de promeneurs les sépara.

Depuis l’arrivée des dames, le roi n’avait pas adressé un mot au duc d’Uzède ; l’émotion l’empêchait de parler ; il regardait et suivait tous les mouvements, tous les gestes d’Aïxa ; il éprouvait un ravissement inconnu auquel le mystère ajoutait un nouveau charme. Heureux de la contempler de loin, ce bonheur lui suffit d’abord ; mais bientôt entraîné par un mouvement fébrile, par une agitation involontaire, il chercha à se rapprocher d’elle.

Une fois entre autres, et sans savoir ni ce qu’il faisait ni ce qu’il voulait, il s’élança témérairement dans la foule, et le duc d’Uzède, qu’il n’avait point prévenu, s’aperçut que son compagnon n’était plus près de lui. Il s’efforça de le rejoindre ; le roi, s’avançant, toujours n’était plus qu’à deux pas d’Aïxa ; il allait lui parler et se compromettre, se faire reconnaître sans doute au milieu de tout ce monde composé de personnes de la cour.

Par malheur, ou plutôt par bonheur pour Sa Majesté, le marquis de Miranda, président de l’audience de Castille, venait dans un sens opposé et s’était rencontré dans la foule avec la comtesse d’Altamira. Il la saluait et s’informait de ses nouvelles au moment où le roi arriva derrière elle.

À la vue du marquis, le monarque, troublé et rappelé à lui-même, enfonça plus que jamais son manteau sur ses yeux ; tout interdit et étonné de sa hardiesse, il recula quelques pas, et se sentit saisir rudement par le bras : c’était le duc d’Uzède, qui l’avait enfin rejoint et retrouvé, et qui jurait de ne plus le quitter.

Effrayé pour son propre compte de l’imprudence que le roi avait manqué de commettre, il l’aida à sortir de la foule, le reconduisit au palais, qui n’était qu’à deux pas, le laissa sur les premières marches de l’escalier dérobé qui menait au cabinet du roi, et sans écouter les réclamations ni les prières du monarque désolé, s’enfuit, craignant d’être rencontré lui-même par le duc de Lerma, son père.

Mais le roi, quoique abandonné de son timide et prudent compagnon, n’avait nulle envie de rentrer chez lui. Ce n’était plus le même homme. Il voulait à toutes forces voir encore Aïxa et lui parler, et à peine le duc se fut-il éloigné, que, redescendant les marches du petit escalier, il se trouva dans les jardins de Buen Retiro.

Les jours sont courts en automne. Le soleil venait de disparaître, le crépuscule arrivait, le roi n’en fut que plus rassuré. Mais craignant de ne plus rencontrer et reconnaître celle qu’il cherchait dans la foule de dames qui déjà quittaient la promenade, il n’hésita pas un instant, et se dirigea intrépidement vers l’hôtel d’Altamira.

Il était nuit quand le carrosse de la comtesse rentra.

La comtesse descendit d’abord, puis Carmen ; Aïxa, embarrassée dans sa mantille, resta dans la voiture quelques instants après elles. Elle s’apprêtait à les suivre et à monter le grand escalier de l’hôtel, quand un homme enveloppé d’un manteau lui prit la main. Elle allait crier ; il lui fit signe de se taire et ôta respectueusement son chapeau.

— Don Augustin ! dit-elle.

— Lui-même, senora.

— Que je croyais à Burgos.

— Revenu pour vous, pour vous servir.

Il lui glissa dans la main un petit papier, lui recommanda de nouveau le silence et disparut.

Aïxa, fort étonnée, monta à la chambre de Carmen, et lui raconta ce qui venait de lui arriver.

— Voyons, dit Carmen, voyons avant tout le billet.

— Le devons-nous ?…

— Sans doute !… d’abord il n’est pas cacheté. Elle l’ouvrit et lut ces mots :

« Ma cousine, Piquillo d’Alliaga n’est pas dans les prisons de l’inquisition, sans cela il serait déjà libre. Usez de moi et de mon crédit ; si je peux vous servir et vous prouver mon affection, le plus heureux des hommes sera

Votre cousin,
Augustin de Villa-Flor. »

— C’est singulier ! dit Carmen.

— Oui, singulier et original… comme lui ! répondit Aïxa. Mais il y a là une simplicité et une franchise qui me plaisent, sans compter qu’il m’a rendu, et bien promptement, le service que je lui demandais.

— Écoute-moi, dit Carmen en secouant la tête, j’ai une idée !

— Laquelle ?

— C’est que notre cousin Augustin est amoureux de toi.

— Allons donc ! il m’a à peine vue une soirée !

— Il n’en faut pas tant… un mot et un regard de toi ont bien du pouvoir.

— Y penses-tu ? dit Aïxa en riant. Voilà une phrase…

— Qui n’est pas de moi… elle est de don Fernand, et Fernand s’y connaît.

— Vous vous trompez tous deux, dit Aïxa en rougissant, car don Augustin est marié !

— C’est différent, dit Carmen naïvement, je n’y pensais plus.

Il fallait bien, à moins d’avouer toute la vérité à la comtesse, ne pas lui parler de cette lettre, qui d’ailleurs n’intéressait que Piquillo. C’est le parti que prit Aïxa.

Seulement, quand Juanita, la camariera de la reine, vint la voir, elle lui montra ce billet, et Juanita s’empressa d’écrire à Pedralvi, son ami : « Le pauvre Piquillo n’est point dans les prisons de l’inquisition, nous en sommes certaines. Où donc peut-il être ? Cherche bien, Pedralvi. »

Et Pedralvi, au reçu de cette lettre, se remit de nouveau en campagne.

Le roi cependant était rentré au palais sans danger, sans encombre, et enchanté de son audace ; mais depuis qu’il avait revu Aïxa, qu’il lui avait parlé, qu’il lui avait serré la main, rien n’égalait son impatience ; toute espèce de délai lui devenait insupportable.

Le roi, qui jusque-là n’avait jamais eu de volontés, en avait une maintenant ferme et inébranlable ; il voulait plaire à Aïxa, il voulait s’en faire aimer, il voulait enfin qu’elle fût à lui, et, avec l’égoïsme ordinaire de l’amour, tout le reste lui était indifférent.

Vainement le duc d’Uzède s’efforçait de lui démontrer que pour amener une jeune fille, telle que Carmen, à écouter les vœux mêmes d’un roi, il fallait du temps et des précautions infinies ; que Sa Majesté devait s’en rapporter au zèle et au dévouement de la comtesse d’Altamira et du pieux Escobar, qui déjà employaient à cette œuvre tous leurs soins et leur adresse.

À tout cela le roi ne répondait rien, mais sans se l’expliquer, sans s’en rendre compte à lui-même, il était froissé et mécontent de tous les soins qu’on se donnait pour lui.

Il se rappelait la délicieuse soirée qu’il croyait avoir passée près de Carmen ; il lui semblait que s’il lui était seulement permis de la voir, il finirait par se faire aimer lui-même et sans l’aide de ses conseillers. Il aurait voulu, par une idée romanesque toute naturelle, ne pas se faire connaître pour le roi, et continuer, comme don Augustin, l’intrigue si heureusement commencée sous ce nom. Mais c’était impossible.

Il sentait bien qu’il fallait que Carmen apprît tôt ou tard la vérité. Alors pourquoi ne pas se hâter ? pourquoi ne pas présenter tout simplement la jeune fille à la cour ? La voir, lui parler tous les jours, c’est tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il demandait. Pour le reste, l’amour-propre ou l’amour lui faisait croire à la réussite, et pour mettre à exécution ce dessein, il n’attendit pas plus longtemps que le soir même.

La comtesse était venue au cercle de la reine. Il l’avait emmenée dans l’embrasure d’une croisée et lui parlait à voix basse et avec chaleur. La comtesse pendant ce temps voyait les yeux inquiets du duc de Lerma épier toutes les paroles du roi, comme s’il eût pu les saisir et les entendre du regard.

Le roi s’exprimait avec une telle passion, le moment semblait si favorable, si décisif, que la comtesse, ne prenant conseil que d’elle-même, résolut de brusquer les événements. Il y a des occasions où l’audace est prudence ; il lui semblait d’ailleurs doublement piquant, pour son orgueil blessé et pour sa vengeance de femme, de préparer la chute du duc de Lerma, son ennemi mortel, en sa présence, devant lui ; et pendant que le ministre, furieux et inquiet, la menaçait de loin :

— Oui, sire, répondit-elle à demi-voix, je comprends bien ! Rien ne serait plus facile que de présenter ma nièce Carmen à la cour de Votre Majesté ; à coup sûr, la fille de don Juan d’Aguilar, vice-roi de Pampelune, a des droits à cette faveur autant qu’aucune autre noble dame d’Espagne ; mais c’est justement à cause de son nom et de sa naissance, que je ne veux point l’exposer aux inimitiés et aux intrigues dont elle serait l’objet.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il y a ici, Votre Majesté ne l’ignore pas, un ennemi mortel à moi ! lequel deviendrait bientôt celui de ma nièce.

— Et qui donc, s’il vous plaît ?

— Que Votre Majesté veuille bien lever les yeux, elle le verra en face de nous, derrière le fauteuil de la reine, lançant sur moi et même sur Votre Majesté des regards où respirent la colère et la vengeance.

Le roi tourna les yeux dans la direction indiquée, et aperçut le duc de Lerma, qui rougit et pâlit tour à tour en voyant, à n’en pouvoir douter, qu’il était question de lui.

— Vous aviez raison, dit le roi, un peu inquiet et un peu effrayé lui-même de la frayeur de son ministre ; mais croyez bien que le duc m’est dévoué, qu’il m’aime, et que les objets de mon affection deviendraient bientôt pour lui…

— Des objets de jalousie et de haine ! Bientôt nous serions calomniées par lui près de Votre Majesté ; l’influence qu’il exerce nous serait fatale.

— Ne le croyez pas.

— Je le crois tellement que, pour rien au monde, je ne voudrais y exposer Carmen.

— Que dites-vous ?

— Qu’elle n’entrera dans ce palais que le jour où le duc n’y sera plus.

— Vous n’y pensez pas, madame la comtesse !

— Je vous jure, sire, que ce sera ainsi. Jusque-là, je vous demande en grâce qu’il ne soit question de rien entre nous et Votre Majesté.

— Silence ! dit le roi, car voici le duc qui vient à nous. Plus tard vous aurez ma réponse.

En effet, irrité, et impatienté d’une si longue conversation, dont il ne pouvait deviner le motif, car presque jamais le roi n’adressait la parole à la comtesse, le ministre, n’y pouvant plus tenir, s’avançait furieux et d’un air riant vers son souverain.

— Je vois Votre Majesté dans une discussion bien animée avec madame la comtesse.

Pâle et immobile, n’ayant ni assez de sang-froid pour cacher son trouble, ni assez d’habitude de la cour pour inventer à l’instant un mensonge agréable, le roi ne répondait rien, et se contentait de regarder les magnifiques rideaux de soie qui décoraient la croisée.

— Il m’a semblé, continua le ministre, que j’étais pour quelque chose dans la discussion… Est-ce une déclaration de guerre que nous faisait madame la comtesse ?

— Ah ! monsieur le duc, répondit celle-ci avec un calme admirable et le sourire sur les lèvres, voyez comme vous êtes injuste ! je pariais pour vous contre le roi !

— En vérité ! fit le ministre d’un air de doute.

— Sa Majesté prétendait, en regardant ces tentures, qu’elle regarde encore, que ce salon était la plus belle pièce du monde, et je soutenais, moi, en bravant pour vous, monsieur le duc, la colère de Sa Majesté, je pariais, Moi, que ce salon ne pouvait pas même entrer en comparaison avec le vestibule de votre château de Lerma.

— C’est vrai… c’est vrai ! dit vivement le roi, qui, pendant cette longue phrase, avait eu le temps de se remettre, et avait cessé de regarder les rideaux du salon ; c’est ce que me disait madame la comtesse.

— Et Votre Majesté pouvait le croire ?

— Pourquoi non, monsieur le duc ? dit le roi d’un air gracieux ; chacun assure que le château de Lerma est une des merveilles du monde.

— Est-ce dix-huit millions de réaux qu’il vous a coûtés ? demanda la comtesse.

— Est-il possible !

— Oui, sire, d’autres disent quinze seulement, mais à la cour on tend à tout déprécier, et je parierais, moi, pour dix-huit !

— Est-ce vrai ? demanda le roi étonné.

— Non, sire, loin de déprécier, on exagère. Je ne suis pas en état de déployer un pareil luxe. Un peu de goût, voilà tout ! et encore ai-je à peine le loisir de m’en occuper : les affaires me laissent si peu de temps !

— Justement ce que je disais, répliqua la comtesse en lançant au roi un regard significatif ; c’est vraiment bien dommage de ne pas habiter plus longtemps un si beau château.

Cette dernière phrase ne rassura pas le ministre ; au contraire, il connaissait l’audace de la comtesse, la faiblesse du roi, et sans savoir au juste quel danger le menaçait, il comprit qu’il y en avait un, et mit tout en œuvre dès ce moment pour le deviner et le déjouer.

Quand la reine disait au duc de Lerma : « Le roi vous subit parce que vous lui êtes nécessaire, mais il ne vous aime pas, il n’aime rien, » elle avait raison.

Mais il aimait alors, et c’est encore plus terrible. Le renvoi de son ministre qui, en toute autre occasion, l’aurait épouvanté, lui semblait alors tout naturel ; l’intérêt de son amour le voulait ; c’était le seul moyen d’avoir auprès de lui celle qu’il aimait.

Il avait répondu à la comtesse : « Plus tard vous aurez ma réponse. »

Mais cette réponse ne pouvait être douteuse, et la comtesse assembla son conseil pour lui faire part de l’heureuse situation de leurs affaires. D’Uzède, ravi, approuva tout ; le père Jérôme réfléchit sans rien dire, et Escobar, secouant la tête, trouva que, dans sa précipitation, la comtesse avait agi…

— Trop brusquement ! s’écria-t-elle.

— Non, trop franchement.

— Quel inconvénient, puisque je suis sûre de l’emporter !

— Puisque le succès est certain ! s’écria le duc.

— Alors, dit Escobar gravement, alors, monsieur le duc, si vous êtes sûr du succès, il y a pour vous et pour vos intérêts un parti à prendre sur-le-champ.

— Et lequel ?

Escobar s’arrêta, persuadé que le duc l’avait deviné ; mais voyant qu’il ne devinait rien, il ajouta froidement :

— C’est de prévenir votre père du complot.

— Y pensez-vous ! s’écrièrent à la fois Uzède et la comtesse en poussant un éclat de rire.

— Monsieur le recteur s’égare, dit le duc ; la joie de sa nouvelle place lui a fait perdre la raison.

Escobar le regarda d’un air où perçait une légère nuance de mépris, et il continua :

— Si vous tenez à la succession d’un homme que l’on dit plus riche que le roi d’Espagne ; si vous tenez à l’opinion de quelques personnes timorées qui se formaliseront peut-être de voir le père renversé par le fils, il faut que ce soit le duc de Lerma lui-même qui, forcé de quitter le pouvoir, vous force à le prendre, espérant ainsi le continuer en vous.

— Escobar a raison, dit le père Jérôme en contemplant le moine avec admiration.

— Voilà pour vos intérêts, continua Escobar du même ton, lentement et gravement. Voici maintenant pour les nôtres. En avertissant le ministre qu’il y a un complot contre lui, sans entrer dans aucun autre détail, vous ne lui servez à rien et vous conservez toute sa confiance. Il vous dira ce qu’il a fait, ou vous préviendra de ce qu’il compte faire ; il est toujours utile et loyal de connaître le plan de son ennemi ; quand on possède le secret de son adversaire, quand ce secret est connu de vous comme de lui, c’est ce que j’appelle combattre à armes égales.

Le père Jérôme se leva, prit la main d’Escobar qu’il serra en témoignage d’estime, et se retournant vers le duc, il lui dit :

— Croyez ses maximes et suivez-les.

— Quel dommage, mon père, dit la comtesse, que vous ne les réunissiez pas en un corps de volumes !

— Je m’en occupe, dit froidement Escobar, et je l’achèverai dans notre pieuse retraite d’Alcala d’Hénarès.

Uzède suivit l’avis d’Escobar. Il se rendit le lendemain de bon matin chez le duc de Lerma et le trouva prenant des mesures d’ordre pour un bal que le roi donnait le soir même à la cour.

— Qu’avez-vous donc, Uzède ? dit le ministre en lui voyant un air grave et sombre.

— Je crains, monseigneur, d’avoir de mauvaises nouvelles à vous annoncer, et je suis d’autant plus contrarié, que les appréhensions que j’éprouve ne reposent sur rien de réel et de positif. C’est un vague sentiment d’inquiétude, un instinct peut-être qui me fait craindre pour vous. Tenez-vous sur vos gardes… il y a quelque complot.

— Je le sais, dit à voix basse le ministre.

— En vérité ! dit Uzède avec terreur.

— Un complot de la comtesse d’Altamira.

— Ce n’est pas possible ! dit le fils coupable en pâlissant.

— Allons, mon fils, vous voilà tout pâle et tout défait… ne tremblez pas pour moi, et rassurez-vous… je sais tout… ou presque tout !

— Ah ! se dit le duc en lui-même, Escobar avait bien raison. La comtesse d’Altamira, poursuivit-il tout haut et en balbutiant, veut vous renverser… Quelques mots échappés hier soir au roi… me l’ont fait supposeïr ; voilà tout ce que j’ai pu découvrir.

— Et moi, je connais le reste. La comtesse veut donner au roi pour maîtresse sa nièce Carmen, la fille du loyal et brave don Juan d’Aguilar !… c’est indigne !

— C’est infâme ! dit Uzède en tremblant, mais elle ne pourra réussir.

— Elle y était parvenue ! elle demandait mon renvoi, et, ce que vous ne croirez jamais… car on ne peut se douter combien il y a d’ingratitude à la cour !… croiriez-vous, mon fils, s’écria-t-il en lui prenant la main, que le roi y consentait !

— Il a donné son consentement ? dit Uzède.

— Mieux encore ! il l’a signé. Je l’ai là dans ma poche, écrit de sa main.

— Voilà qui est bien singulier, balbutia Uzède, et comment avez-vous eu le talent… et l’habileté…

— Rien de plus simple !… Le roi n’écrit jamais… Hier, une lettre de sa main, adressée à la comtesse d’Altamira, a été envoyée…

— Comment le savez-vous ?

— Par le valet de confiance chargé de la remettre et qui me l’a apportée. Depuis deux jours, mon fils, le roi est environné d’espions, et ne fait pas un seul pas dont on ne me rende compte.

— Mais songez que c’est vous exposer…

— À quoi ?

— Il y va de la tête !

— Mais de l’autre côté… il y va du pouvoir !

— Et pour le conserver, vous sacrifieriez…

— Tout au monde… tout ! dit-il avec un accent qui fit trembler Uzède, à commencer par moi !

— Et cette lettre… que disait-elle ?

— La voici, dit le ministre, elle n’est pas longue.

Il la tira de sa poche et lut :

« Madame la comtesse, je n’ai point oublié notre dernière conversation ; si, pour vous convaincre de mon amour, si, pour obtenir celui de votre nièce, il ne faut que le sacrifice exigé par vous, je tiendrai ma parole. Mais vous tiendrez d’abord la vôtre. Il y a demain un grand bal à la cour ; jusque-là, et comme je vous l’ai promis, je ne ferai aucune tentative pour vous voir, mais vous, vous viendrez à ce bal, vous amènerez la charmante Carmen, et le lendemain, ainsi que vous le désirez, son ennemi et le vôtre ne sera plus au palais ; c’est à elle seule désormais à y régner. »

On comprend pourquoi le roi n’avait point parlé de cette lettre au duc d’Uzède, son confident.

Il y était question de la disgrâce et de la chute du premier ministre, et il ne pouvait venir à l’idée du roi, à l’idée de personne, que le fils fût d’accord avec la comtesse pour renverser son père.

— Eh bien ! mon fils, dit le ministre en froissant la lettre, qu’en pensez-vous ? est-ce assez clair ?

— Très-clair… et comment espérez-vous déjouer cette trame ?

De la manière la plus simple. Je garde cette lettre. La comtesse ne la recevant point et ignorant ce qu’elle contient, n’amènera pas ce soir sa nièce à ce bal. Je connais le caractère du roi, et je vois sa fureur.

Tout entier, comme les hommes faibles, à l’impétuosité du premier moment, il se croira joué, trompé ; nous y aiderons s’il le faut… le reste nous regarde. C’est à nous de profiter de ce premier moment, et pour éviter les explications, nous éloignerons dès demain la comtesse et sa nièce.

— Par quels moyens ?

— Ne vous inquiétez pas, vous dis-je. Sandoval et moi nous nous chargeons de tout, et en cas de besoin nous aurions pour nous la reine, auprès de qui cette lettre ne nous serait pas inutile ; mais c’est le dernier moyen, et il faut, s’il est possible, n’y point avoir recours. Il suffit pour nous que Carmen ne soit pas présentée à la cour et ne vienne pas ce soir au bal.

— Ô Escobar, dit à part lui Uzède, tu avais bien raison !

Encore tout effrayé de ce qu’il venait d’entendre, il courut chez la comtesse et lui apprit tout. Il n’y avait pas de temps à perdre.

On était au milieu de la journée ; on avait à peine le temps nécessaire pour préparer les costumes de bal, et tous ces apprêts devaient se faire en silence et dans le plus grand mystère, pour laisser l’ennemi dans la sécurité et dans la confiance de son triomphe.

La comtesse se rendit d’abord chez Carmen.

— Ma nièce, lui dit-elle, que cela vous plaise ou non, le temps de votre deuil est expiré depuis longtemps, il faut vous décider à paraître ce soir à la cour et à aller au bal.

— Moi, ma tante ! s’écria Carmen interdite.

— Le roi le veut, le roi l’exige, il vient de me le faire dire par un page qu’il m’a envoyé exprès ; il veut que la fille de don Juan d’Aguilar lui soit présentée ce soir, à lui et à la reine.

— D’où vient une invitation si prompte, si extraordinaire ! et pour quel motif ?

— Le roi le veut, ma nièce, il n’y a rien à répondre cela.

La pauvre Carmen, désolée, vint raconter à Aïxa toutes ses douleurs. Aller à la cour pour la première fois, et sans Fernand d’Albayda, lui semblait, disait-elle, une chose absurde ; elle avait compté n’être présentée qu’après son mariage.

— À coup sûr, c’eût été bien mieux, dit Aïxa en soupirant. Mais cependant à ton âge quelques heures passées au bal ne sont pas un si grand supplice, qu’il faille pour cela désobéir à son roi. L’as-tu déjà vu ?

— Jamais, et cela me fait peur.

— On dit la reine si bonne, si affable ! elle te protégera.

— Si encore tu pouvais, Aïxa, y venir avec moi !

— Cela est impossible ! Moi, grâce au ciel, je ne suis pas invitée, mais j’aurai du moins un plaisir

— Lequel ?

— Celui de te faire belle et de m’occuper de ta toilette.

— Justement !… je n’ai rien de frais… ni d’élégant, ni de riche.

— N’est-ce que cela ? dit Aïxa, sois tranquille ! aucune de ces belles dames ne t’éclipsera.

L’heure venait de sonner, heure importante, heure décisive, et la comtesse, comme un général qui va livrer un combat d’où dépendent sa fortune et sa renommée, éprouvait déjà ce qu’on nomme l’émotion du champ de bataille.

Elle tremblait maintenant que sa nièce ne fût pas assez brillante, assez séduisante. Le roi l’aimait, mais cela ne suffisait pas ; il fallait que cet amour fût légitimé et doublé par l’admiration de tous.

Inquiète et impatiente, elle allait monter dans la chambre de Carmen, quand elle la vit descendre dans le salon. Elle portait une robe du tissu le plus précieux, et sa tête, ses bras, sa poitrine, étincelaient de diamants.

La comtesse poussa un cri d’admiration.

— D’où te vient donc cette riche parure ? dit-elle en tremblant de joie.

Le roi pouvait seul en donner une pareille, et elle eut un instant l’idée qu’elle avait été envoyée par lui.

— De qui elle me vient ? dit Carmen, presque honteuse de sa beauté… c’est Aïxa qui me l’a prêtée.

— Donnée ! s’écria celle-ci en l’embrassant. Je te la destinais pour le jour de tes noces. Il vaut mieux que ce soit pour aujourd’hui. Le roi t’en saura gré, et don Fernand n’en a pas besoin. Il t’aimera sans cela.

— Quoi ! dit la comtesse stupéfaite et admirant les diamants, qui étaient de la plus belle eau et d’une valeur inappréciable, vous aviez, senora Aïxa, cette parure de reine ?… Et où donc ?

— Dans un tiroir où elle ne me servait à rien… Voici la première fois qu’elle m’aura fait plaisir.

Et se mirant dans son amie comme dans une glace :

— Voyez, madame, s’écria-t-elle avec fierté, voyez comme Carmen est belle !

En ce moment, on vint annoncer que la voiture était prête.

La comtesse porta la main à son cœur, et son émotion fut si vive qu’elle chancela.

— Qu’avez-vous donc, ma tante ? dit, en la soulevant, la pauvre Carmen, qui ne voyait dans ce plaisir qu’un chagrin, celui de quitter Aïxa.

— Rien !… je n’ai rien, ma nièce, dit l’ambitieuse comtesse… Allons, s’écria-t-elle en se levant, le sort en est jeté !

Carmen et sa tante montèrent en voiture : l’une calme, indifférente, paisible ; l’autre agitée par la crainte et par l’espérance, et à peine si on entendit quand elle cria au cocher d’une voix étouffée :

Monsieur le recteur s’égare, dit le duc ; la joie de sa nouvelle place
lui a fait perdre la raison.

— Au palais du roi !

Les appartements resplendissaient de lumières et de l’éclat des parures. Toutes les premières familles étaient là rivalisant de luxe, d’élégance et de brillants insignes. Une foule dorée se pressait dans les vastes et spacieux salons de Buen-Retiro.

La reine, douce et mélancolique comme à l’ordinaire, semblait se résigner au plaisir qui lui était imposé. Elle aussi regrettait sa retraite, et eût préféré, pendant cette bruyante soirée, demeurer dans son oratoire, à lire, à prier, à penser peut-être.

Persuadée que tous ceux qui venaient au palais étaient aussi malheureux qu’elle, elle les accueillait avec une bonté pleine de compassion ; elle croyait leur devoir de la reconnaissance pour l’ennui qu’ils venaient chercher.

Le duc de Lerma, fier et la tête haute, distribuant les saluts et les sourires protecteurs, parcourait les salons, redoublait de zèle et de prévenance pour ses amis, dont il semblait vouloir s’entourer et se faire un rempart. Mais tout en parlant de l’éclat du bal, de l’animation de la danse et de mille autres futilités, tout en adressant aux dames de gracieux compliments sur leur beauté ou, faute de mieux, sur leur toilette, le ministre ne perdait pas de vue son souverain, et observait tous ses mouvements.

Quant au roi, il était dans une situation de corps et d’esprit qui excitait un étonnement général. Il avait l’air de s’amuser, ou du moins de prendre part à tout ce qui l’environnait.

Au lieu de rester dans son immobilité et dans son silence ordinaires, il se levait, marchait, parcourait toutes les salles. On aurait dit qu’il prenait plaisir au bruit, à la foule, aux sons de la musique ; il souriait d’un air satisfait et joyeux ; il adressa même deux ou trois fois la parole à ceux qui approchaient.

Jamais le roi n’avait eu tant de grâce dans l’esprit et la conversation.

— Il fait bien chaud, n’est-il pas vrai, messeigneurs ? — Voilà une belle soirée. — Bonsoir, duc. — Bonsoir, comte. — Bonsoir, monsieur l’ambassadeur ; — et autres phrases toutes faites à l’usage des princes qui reçoivent.

Mais une demi-heure après, la figure du roi n’était plus la même ; on lisait sur ses traits de l’impatience et de l’inquiétude.

Il ne parlait plus, mais il regardait d’un air soucieux ; il parcourait tous les salons, et s’arrêtait de préférence dans le premier, dans celui par lequel on arrivait, et à chaque instant ses yeux se tournaient vers l’horloge de la grande salle. Hélas ! ce qu’éprouvait le roi se manifestait chez lui par les mêmes symptômes que chez le dernier de ses sujets. Il aimait et il attendait.

Le ministre s’était rapproché de lui et ne le quittait point du regard. S’appuyant sur le bras du duc d’Uzède, son fils, il disait à celui-ci à voix basse et en souriant : « Voyez-vous le roi ? son trouble et son inquiétude commencent déjà et bientôt ne feront qu’augmenter ; car il attendra toute la nuit et ne verra rien venir…

— C’est curieux ! répondit Uzède en essayant de sourire.

— C’est délicieux ! répliqua le ministre dans toute la joie de son cœur.

Tout à coup il tressaillit et crut avoir mal entendu ; la voix stridente d’un huissier du palais venait de proférer à haute voix ces paroles :

— Madame la comtesse d’Altamira et la senora Carmen d’Aguilar !

La foudre tombant sur le duc de Lerma n’aurait pas produit un effet plus terrible.

Le pauvre ministre, atterré, anéanti, ne pouvant rien comprendre à un coup de théâtre aussi imprévu, aussi fatal, sentit toute sa présence d’esprit l’abandonner ; il chancela, et, s’appuyant dans sa détresse sur le bras qui aurait dû le soutenir et qui venait de le renverser, il murmura à demi-voix ces mots : Tout est perdu, mon fils !

Les paroles foudroyantes de l’huissier avaient produit un effet tout contraire sur le roi ; quoiqu’il fût alors dans le salon voisin, son oreille attentive n’en avait pas perdu une syllabe. Un éclair de plaisir brilla dans ses yeux assombris, il sentit son cœur oppressé se dilater et bondir de joie ; et, le sourire sur les lèvres, il se dirigea vers le premier salon pour faire une gracieuse et royale réception aux deux nobles dames qu’on venait d’annoncer.

La foule qui s’était ouverte à l’entrée de la comtesse et de sa nièce, celle qui venait de s’ouvrir pour le passage du roi, le murmure flatteur qu’avaient excité la beauté et la parure éblouissante de Carmen, tout avait détourné l’attention ; personne, excepté le duc d’Uzède, n’avait pu voir le trouble du ministre, et le roi, quoique frémissant de plaisir, s’avançait d’un pas ferme vers la comtesse et sa nièce.

Elles venaient de s’incliner et de saluer le souverain par leur plus belle et leur plus respectueuse révérence ; mais, à la grande surprise de la comtesse, au moment où le roi présentait la main à Carmen, au moment où ses yeux rencontraient ceux de la jeune fille, il changea de couleur et se trouva mal, en murmurant à peine ces mots :

— Ce n’est pas elle !

Ils ne furent entendus que de la comtesse, du duc d’Uzède et du duc de Lerma, qui s’étaient déjà précipités autour du monarque ; et le ministre, retrouvant tout son sang-froid, s’écria à voix haute :

— La chaleur… Messieurs… la chaleur a sans doute incommodé Sa Majesté. Ouvrez des fenêtres… ou plutôt sortons le roi de cette pièce. Ce ne sera rien, madame, dit-il à la reine, qui s’avançait effrayée. Que Votre Majesté se rassure : je vais suivre le roi et ne le quitterai pas.

Puis se penchant vers le duc d’Uzède, il lui dit à voix basse :

— Rien n’est perdu, mon fils !

Il sortit joyeux et triomphant.

D’Uzède n’y comprenait rien ; la comtesse était anéantie, et Carmen, regardant tranquillement autour d’elle, admirait les danses qui venaient de recommencer.