Sept lettres de Mérimée à Stendhal/07

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Sept lettres de Mérimée à Stendhal, Texte établi par Casimir StryienskiAux frais de la compagnie (p. 53-55).
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VII

12 février 1837.

Il y a dans cette préface[1] un manque complet de méthode. Je veux dire que la succession des idées n’est point la plus commode pour l’intelligence du lecteur ; que vous lui donnez à faire un travail pénible, celui de l’arrangement convenable de ces idées, travail qu’un auteur doit toujours prendre à sa charge.

Il résulte de vos réticences qu’on vous prendra pour un républicain malgré votre protestation à la dernière page en faveur de l’état de choses actuel.

Pourquoi parler d’abord de l’avantage d’avoir connu Napoléon lorsque vous dites quelques pages plus bas que cette connaissance se réduit à l’avoir vu quatre fois ; que de ces quatre fois il ne vous parle que trois fois, et de ces trois fois une fois pour dire des bêtises ? Ne vaudrait-il pas mieux dire que vous avez vécu à sa cour, et que vous avez été dans l’intimité de ses ministres. Cela est un titre maintenant, tandis qu’il n’y a pas un mauvais général de brigade qui n’ait eu de plus longues conversations que vous, avec l’Empereur.

Vous commencez par dire que vous écrivez pour détruire une erreur qui n’existe pas. C’est tout à fait perdre son temps que chercher à démontrer aujourd’hui que Napoléon était un grand homme, qu’il ne s’appelait pas Nicolas, qu’il avait du courage, etc., etc.

Vous trouvez le moyen d’offenser à la fois les juges littéraires et ceux de la bonne compagnie. Aux uns vous dites : vous mentez, vous écrivez en style académique, et vous n’êtes ni simple ni clair, aux autres : vous êtes remplis de préjugés. Vous ne savez pas distinguer ce qu’il y a eu de noble et de bon dans la Révolution de tous les crimes que l’on a commis en son nom.

Or, outre la maladresse insigne de traiter son lecteur aussi irrévérencieusement votre assertion est loin d’être exacte. La bonne compagnie a, du moins avait, assez d’intelligence pour faire la part du bien et du mal, pour ne pas se scandaliser lorsqu’on loue par hasard les comités de salut public de l’énergie qu’ils mirent à défendre le territoire. On a lu l’histoire de Thiers, et ce n’est pas sa partialité pour les terroristes qu’on lui a reprochée, c’est son indifférence apparente pour les escroqueries de toute espèce.


  1. Préface de l’Histoire de Napoléon, écrite en 1828.