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Tableau de Paris/692

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(tome IXp. 80-82).

CHAPITRE DCXCII.

L’Anacade.


Quelques princesses de la cour prirent plaisir à monter sur des ânes ; il y eut des courses, & l’animal têtu & capricieux renversa quelquefois sa précieuse charge. Des poëtes ne manquèrent pas de faire parler les ânes, & de les assimiler aux coursiers. Une nouvelle fantaisie fit tomber celle-là.

Ces métamorphoses subites sont toujours dans l’ordre de la frivolité nationale. Ainsi l’on voit aujourd’hui la chemise qui a succédé à l’anglaise qui avoit succédé à la lévite qui avoit succédé à la polonaise qu’avoit précédée la française.

Tout finit par des chansons, comme dit l’ancien proverbe ; car dès qu’une fantaisie ou qu’une mode a été l’objet d’une chanson, elle s’évapore, & il n’en reste aucune trace. Il

Il n’y a rien d’étonnant dans l’anacade, lorsqu’on se rappelle que toute la cour, sous Louis XII, avoit pris du goût pour la chair d’ânon, qui ne cessa d’être un mets exquis qu’à la mort du cardinal Duprat. Il étoit ministre, il avoit donné le ton à la cour : son goût bizarre fut adopté.

Ce fut lui qui arrêta le comte d’Angoulême, lorsque le jeune prince, amoureux & aimé, se glissoit, pendant la nuit, pour aller coucher avec la femme de Louis XII. Au détour d’un escalier, au milieu des ténèbres, le jeune prince sentit un homme fort & robuste qui le prit entre ses bras, qui l’enleva, & l’emporta loin de l’appartement où il étoit attendu. L’amoureux comte, interdit & furieux, reconnut Duprat, qui lui dit tranquillement : Vous alliez vous détrôner. Le comte d’Angoulême se souvent du trait lorsqu’il régna sous le nom de François Ier. Cette reconnoissance du souverain coûta cher à la nation. Il introduit la vénalité des charges, & ne servit jamais l’intérêt public. À force de manger & de boire, ce cardinal-chancelier de France étoit devenu si gros & si gras, qu’il falloit échancrer sa table pour faire place à son ventre. Ce mangeur de chair d’ânon avoit conçu l’idée de se placer sur le trône pontifical. François Ier en prit occasion de rattraper une partie de l’argent qu’il lui avoit prodigué.

Si la croupe de nos belles princesses a pressé parfois la chair d’âne ou d’ânon, j’ose assurer qu’elles n’en ont point mangé.