Tableau de Paris/693

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(tome IXp. 82-85).

CHAPITRE DCXCIII.

Indécor des Femmes.


Les femmes ne souffrent d’aucune distinction particulière ; la reine elle-même n’est pas décorée ; on la cherche au milieu de ses femmes. Telle chanoinesse a un cordon bleu, la reine ne porte aucune décoration extérieure.

Quand on est jeune & jolie, on attire, avant tout, les regards. On a vu à Venise la femme d’un procureur au parlement, qui voyageoit avec un riche financier dont elle étoit la maîtresse, ouvrir le bal avec le prétendant d’Angleterre, dans une fête publique, parce qu’elle étoit d’une figure céleste.

La femme d’un maréchal de France, d’un président à mortier, d’un ministre d’état, n’a aucune distinction personnelle. Les armoiries sont sur les voitures ; il fut un siècle où on les portoit sur les robes : peut-être verra-t-on renaître cette mode, qui me réjouiroit beaucoup. À coup sûr les mœurs ne pourroient qu’y gagner, puisque chaque individu armoirié, craignant d’être reconnu, se respecteroit davantage. Quand nos jeunes seigneurs vont en partie de débauche, leurs laquais laissent la livrée à la maison. La livrée ne devroit jamais quitter le dos du laquais. Il ne lui faudroit qu’un habit, comme au soldat.

Il n’y a point communauté de gloire. On a proposé de donner aux femmes les ordres & cordons dont leurs maris seroient honorés : cette idée est parfaitement ridicule ; toute récompense ne doit être accordée qu’à l’individu méritant. La reconnoissance nationale ne doit pas associer un individu à la gloire d’un autre. Qu’il y ait des distinctions pour les femmes qui auront joué un rôle extraordinaire, soit : mais cette sorte d’existence est une exception à la nature éternelle des choses. Les vertus domestiques, les plus pénibles de toutes ; mais aussi les plus satisfaisantes, voilà leur véritable gloire.

Ce seroit enflammer la jalousie des autres femmes, que d’en décorer quelques-unes, ce seroit introduire un ferment de discorde dans la société. La fierté naturelle au sexe s’accroîtroit à l’excès, car la femme pousse l’orgueil plus loin que l’homme. Enfin une décoration particulière, lorsqu’elles ne seroient pas l’auteur véritable d’une grande & belle action, seroit une dérision. Comment faire honneur à une femme du gain d’une bataille ? J’aimerois autant le sauvage qui se met au lit quand sa femme est en couche, & qui se restaure pour elle des souffrances qu’elle a senties pour lui donner un enfant.