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Théorie des fonctions analytiques/Partie I/Chapitre 08

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Première partie


CHAPITRE VIII.

Où l’on examine les cas simples dans lesquels on peut passer des fonctions ou des équations dérivées du premier ordre aux fonctions ou aux équations primitives. Des équations linéaires des différents ordres, et de celles qu’on peut rendre linéaires.

49. Une équation du premier ordre en et étant donnée, si l’on peut, par des opérations quelconques, la ramener à la forme

désigne la fonction prime d’une fonction de marquée par on aura sur-le-champ l’équation primitive

dans laquelle sera la constante arbitraire.

Par exemple, l’équation donne sur-le-champ l’équation étant divisée par se réduit à j’entends par la fonction prime de la quantité renfermée entre les deux parenthèses d’où l’on tire ou bien, en divisant la même équation par elle devient

dans laquelle les variables ne sont plus mêlées. Prenant donc la fonction primitive de chaque terme, on aura

la caractéristique indiquant les logarithmes hyperboliques, d’où l’on tire comme plus haut.

En général, si l’on peut réduire l’équation à la forme

où les variables sont séparées, il n’y aura qu’à prendre les fonctions primitives de et de et faire la somme égale à une constante arbitraire et la même chose aura lieu si l’on peut ramener la proposée à cette forme par une substitution quelconque.

Soit, par exemple, une équation de la forme

Je fais donc et l’éguation devient, par ces substitutions,

laquelle peut se mettre sous la forme

qui est comprise dans la précédente.

Si l’on avait l’équation

au lieu de la réduire à la forme précédente, j’en prendrais les fonctions primes, ce qui me donnerait

équation réductible à la forme

et qui, en faisant rentre encore dans le cas précédent. Ayant trouvé ainsi une équation primitive entre et avec une constante arbitraire, c’est-à-dire entre et on chassera par le moyen de la

proposée, et l’on aura une équation entre et avec la constante arbitraire, laquelle sera, par conséquent, l’équation primitive complète de la proposée. Cette dernière méthode est, comme l’on voit, une application de la théorie du Chapitre précédent.

50. De cette manière, on ramène, comme l’on voit, la recherche des fonctions primitives de deux variables à celle des fonctions primitives d’une seule variable ; mais, comme on n’y parvient ordinairement qu’en employant pour et d’autres variables, comme et c’est-à-dire en substituant pour et des fonctions données de et il faut observer, à l’égard de ces substitutions, que, devenant fonction de en vertu de l’équation qui a lieu entre et ces deux variables devront être aussi regardées comme fonctions de Donc, ayant supposé on aura, en regardant maintenant et comme fonctions de (no 16) ; mais, lorsqu’on regarde simplement comme fonction de on a comme nous l’avons fait jusqu’ici donc, pour passer de cette hypothèse à celle où et sont fonctions de il faut mettre à la place de la quantité

Ainsi, ayant à transformer l’équation

on commencera par la changer en

ensuite on y substituera pour leurs valeurs en et sera la fonction prime de regardé comme fonction de

De même, puisque est la fonction prime de regardé comme fonction de il faudra substituer pour la quantité c’est-à-dire et ainsi de suite.

Donc, si dans une équation, au lieu de regarder comme fonction de on voulait réciproquement regarder comme fonction de alors la fonction prime de deviendrait l’unité, et l’on y substituerait simplement pour pour et ainsi de suite.

51. Il y a, au reste, une manière générale de trouver l’équation primitive d’une équation dérivée d’un ordre quelconque elle consiste à rendre le premier membre de l’équation, dont le second est zéro, une fonction dérivée exacte par le moyen d’un multiplicateur. On trouvera dans la Leçon XIII du Calcul des fonctions une démonstration de l’existence de ce multiplicateur dans toutes les équations dérivées[1] ; mais la recherche en est le plus souvent très-difficile, ce qui rend cette méthode plus curieuse qu’utile.

52. Quant à la manière de trouver les fonctions primitives des fonctions d’une seule variable, comme de ou de on sait que, si est une fonction rationnelle de on peut toujours la décomposer en différents termes de la forme ou étant un nombre entier positif et un facteur du dénominateur de la fonction, s’il en a un. Ainsi la fonction primitive de sera composée d’autant de termes de la forme et ou si et si et il en sera de même de la fonction primitive de (no 32).

Si contient des quantités irrationnelles, on les fera disparaître par des substitutions, ce qui n’est possible en général, par les méthodes connues, que pour les radicaux de la forme Quand il y a dans des radicaux plus compliqués, ou même quand il y a plus d’un radical de cette forme, la recherche de la fonction primitive devient impossible en général par les méthodes connues, et l’on ne peut l’obtenir que par le moyen des séries, soit en faisant disparaître les radicaux par leur résolution en série, soit en employant la méthode générale pour le développement en série de toute fonction de (no 33). Pour cela, on supposera de là on aura

Donc la valeur de fonction primitive de sera représentée ainsi,

les quantités étant les valeurs de lorsque où l’on voit que sera une constante indéterminée.

53. Si, pour une équation proposée d’un ordre quelconque, on parvient à trouver une équation d’un ordre inférieur qui ne renferme point de constantes arbitraires ou qui n’en renferme pas autant qu’il peut y en avoir, alors cette équation ne pourra pas être regardée comme une équation primitive complète, mais elle ne sera qu’un cas particulier de cette équation, dans lequel on aurait donné aux constantes arbitraires des valeurs particulières.

Mais il y a un cas très-étendu, dans lequel il suffit d’avoir plusieurs valeurs particulières de en pour pouvoir en obtenir la valeur complète c’est celui où l’équation d’un ordre quelconque ne renferme les que sous la forme linéaire.

Soit, en effet, proposée l’équation

dans laquelle soient des fonctions données de seul. Soient des fonctions différentes de qui, étant substituées pour satisfassent chacune en particulier à cette équation. Je dis que l’on aura, en général,

étant des constantes arbitraires, ce qui est évident, car cette expression de étant substituée dans la même équation, satisfera indépendamment des constantes. D’où il suit que, si le nombre des valeurs particulières est égal à celui de l’ordre de l’équa-

tion proposée, c’est-à-dire à l’indice de la fonction dérivée la plus élevée, on aura l’expression complète de L’analyse du no 44 fournit un exemple de cette méthode.

Mais il y a plus on peut alors trouver aussi la valeur complète de qui satisfera à l’équation

étant aussi une fonction quelconque de

Comme cette méthode est une des plus utiles dans ce genre d’analyse, je crois devoir l’exposer ici en peu de mots.

54. Supposons que l’équation proposée soit du troisième ordre ; on verra aisément que la méthode est générale pour un ordre quelconque. Soit donc l’équation

et soient trois valeurs différentes et particulières de et qui satisfassent à l’équation

en sorte que l’on ait

Supposons et regardons comme trois fonctions inconnues de qu’il s’agira de déterminer ; en prenant les fonctions primes, secondes et tierces de on aura d’abord

Je suppose j’aurai simplement

De là, en prenant de nouveau les fonctions primes, j’aurai

Je suppose derechef j’aurai simplement

d’où je tire, en prenant encore les fonctions primes,

Je substitue maintenant les valeurs de et dans l’équation proposée ; il est visible que, par la nature des quantités les termes qui contiendront se détruiront, et il ne restera que l’équation

qui, étant combinée avec les deux équations supposées

servira à déterminer les trois quantités les quantités et leurs fonctions primes et secondes étant connues, ainsi que la quantité

Supposons donc qu’on ait trouvé ces quantités étant des fonctions connues de il n’y aura qu’à les regarder comme des fonctions primes et en chercher les fonctions primitives, qui contiendront chacune une constante arbitraire qui pourra lui être ajoutée. On aura ainsi les valeurs des inconnues qu’on substituera ensuite dans l’expression de

55. Lorsque l’équation n’est que du premier ordre, on n’a besoin que d’une valeur et l’on peut toujours la trouver, car on a alors l’équation

à laquelle satisfait cette valeur étant la fonction primitive de de manière que et dénotant toujours le nombre dont le logarithme hyperbolique est l’unité ; en effet, on aura, en prenant les fonctions primes,

Pour les équations d’un ordre supérieur au premier, il n’y a pas de méthode générale pour trouver les valeurs de à moins que les coefficients ne soient constants. Mais, dans ce cas, il est aisé de les trouver, car il n’y a qu’à supposer étant une constante indéterminée ; on aura

donc l’équation

deviendra

laquelle sera, généralement parlant, d’un degré égal à l’ordre de l’équation proposée. Elle aura donc autant de racines qu’il y a d’unités dans ce degré, et, si l’on désigne ces racines par on aura

de sorte que, dans ce cas, la difficulté est réduite à la résolution des équations.

56. On peut souvent rendre linéaires des équations qui ne le sont pas, par le moyen des substitutions, et, comme cette transformation est toujours avantageuse, voici deux cas très-étendus où elle réussit.

Le premier est celui de l’équation

qui est plus générale que celle que nous avons traitée ci-dessus (no 54). J’en prends d’abord les fonctions primes ; j’ai

je fais et par conséquent j’ai

équation du premier ordre en et est censé fonction de

Maintenant je regarde comme une fonction de il faudra mettre à la place de (no 50), et il viendra l’équation

qui est, comme l’on voit, du premier ordre et linéaire en On pourra donc, par la méthode précédente, en trouver l’équation primitive en et mais la proposée, par la substitution de au lieu de devient

éliminant donc de ces deux équations, on aura une équation en et qui sera l’équation primitive de l’équation proposée.

Le second cas est celui de l’équation

et étant des fonctions Ici je fais ce qui donne

substituant ces valeurs et multipliant par l’équation devient

qui est, comme l’on voit, du second ordre, mais linéaire par rapport à

Supposons qu’on ait trouvé d’une manière quelconque deux valeurs particulières de en c’est-à-dire sans constante arbitraire, que nous dénoterons par et Pour la valeur on aura d’où l’on tire en dénotant par la fonction primitive de on aura de même, pour la valeur étant la fonction primitive de Ayant ainsi deux valeurs particulières de on aura la valeur complète (no 53)

et étant deux constantes arbitraires ; donc, puisque et que on aura cette valeur complète de

c’est-à-dire, en faisant

est la constante arbitraire.

Par exemple, si étant une constante, il est aisé de voir que l’on satisfera à la proposée en en faisant et, à cause de l’ambiguïté du radical, on aura

donc, nommant la fonction primitive de on aura

et la valeur complète de sera

Au reste, dans ce cas, l’équation proposée peut se mettre sous la forme

où les variables et sont séparées, et dont on peut trouver l’équation primitive, comme nous l’avons montré plus haut.

57. Lorsque l’équation proposée n’est pas linéaire en ou qu’elle n’est pas comprise sous la forme précédente, je ne connais aucune méthode générale pour compléter les valeurs particulières de qu’on aurait trouvées ; mais on y peut toujours parvenir par le moyen des séries.

Supposons, en effet, que, pour une équation du premier ordre en et la valeur complète de soit étant la constante arbitraire. En donnant à une valeur particulière la quantité deviendra une valeur particulière de que nous nommerons et que nous supposerons connue d’une manière quelconque. Faisons maintenant et développons la fonction en série ascendante suivant les puissances de le premier terme sera et les autres termes seront de la forme étant des fonctions de Si l’on substitue cette expression de dans l’équation donnée du premier ordre, il faudra qu’elle se vérifie indépendamment de la constante qui doit demeurer arbitraire.

Soit donc

l’équation du premier ordre à laquelle satisfait la valeur particulière on aura, d’après cette condition,

Substituons pour la série et développons aussi la fonction en série suivant les puissances de si l’on dénote simplement par les fonctions primes, secondes, etc. de prises relativement à seul, et qu’on fasse, pour abréger, on aura, par la théorie exposée plus haut sur le développement des fonctions,

D’un autre côté, on aura, en prenant les fonctions primes,

donc, substituant ces valeurs dans l’équation et ordonnant les termes suivant les puissances de on aura, à cause de

d’où l’on tire, par la comparaison des termes affectés des mêmes puissances de les équations suivantes :

qui serviront à déterminer successivement toutes les inconnues

Comme les quantités sont des fonctions données de il est visible qu’on n’aura pour ces inconnues que des équations linéaires du premier ordre, susceptibles de la méthode du no 55 ; il ne sera pas même nécessaire d’avoir les valeurs complètes de il suffira d’avoir des valeurs quelconques qui satisfassent à ces équations de condition.

Ayant ainsi déterminé les valeurs des quantités on aura cette valeur complète de

dans laquelle sera la constante arbitraire qui manquait à la valeur particulière Cette valeur sera à la vérité exprimée par une série, mais la convergence de cette série ne dépendra que de la valeur de la constante

Cette méthode est aussi applicable, avec l’extension convenable, aux équations des ordres supérieurs au premier ; mais les équations qu’on trouvera pour la détermination des fonctions inconnues seront du même ordre, et par conséquent on ne pourra trouver, en général, les valeurs de ces fonctions que dans le cas où les coefficients seront constants.

Au reste, cette méthode est le fondement des solutions des principaux problèmes de la théorie des planètes. Comme les excentricités et les inclinaisons qu’on doit regarder comme des constantes arbitraires sont fort petites, et que l’effet des attractions est aussi très-petit, le cercle fournit d’abord des valeurs particulières, et l’on complète ensuite ces valeurs par des séries qui procèdent suivant les puissances de ces constantes très-petites.


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  1. Œuvres de Lagrange, t. X.