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Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament/Tome I/Chapitre 2/Article 2/Question II/1

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PROPOSITION.
L’inspiration s’étend à toutes les parties de l’’Ecriture, même à celles qui ne concernent ni la foi ni les mœurs.

Quoiqu’il ne soit point de foi que tout absolument dans l’Ecriture ait été divinement inspiré, on peut dire qu’il y a de la témérité et trop de hardiesse à soutenir le contraire.

1. Les faits, même ceux qui au premier abord paraissent n’avoir qu’un rapport éloigné avec la doctrine, forment la partie la plus considérable de l’Ecriture sainte.

2. Lorsque Jésus-Christ et les apôtres ont attribué aux livres saints une autorité divine, ils l’ont fait sans aucune restriction. Bien plus, saint Paul rapporte à la doctrine tout ce qui est contenu dans l’Ecriture sainte : « Tout ce qui est écrit, dit ce grand apôtre, a été écrit pour notre instruction[1]. »

3. L’opinion qui restreint ainsi l’inspiration divine a été tout à fait inconnue dans la primitive Eglise.

4. Dans combien de circonstances ne serait-on pas exposé à prendre le change, en regardant comme étrangers à la doctrine des faits qui s’y rattacheraient pourtant, même d’une manière directe ?

5. Le concile de Trente, en supposant qu’il ne tranche pas entièrement la question, favorise singulièrement notre sentiment. Voici ses propres paroles. « Que si quelqu’un ne reçoit pas pour sacrés et canoniques tous ces livres entiers avec tout ce qu’ils contiennent, et tels qu’ils sont dans l’ancienne édition vulgate latine… qu’il soit anathème[2]. » Ainsi on peut tenir pour certain que tout ce qui est contenu dans l’Ecriture a été divinement inspiré.


Difficultés qu’on oppose à ce sentiment, et Réponses à ces difficultés.

Obj. 1o L’Ecriture n’ayant d’autre fin que de nous instruire de la religion, et non, point des vérités humaines, qu’il n’est pas nécessaire de savoir, il n’y a nulle apparence que Dieu soit intervenu dans les choses purement humaines.

2o Les apôtres n’étaient pas infaillibles dans tout ce qu’ils disaient, mais seulement dans ce qu’ils prêchaient touchant la doctrine et les mœurs ; pourquoi ne pas faire la même distinction par rapport à leurs écrits ?

3o N’est-il pas indigne du Saint-Esprit d’accorder son secours divin pour des choses triviales ? Peut-on dire, par exemple, que c’est par son inspiration que saint Paul écrit à Timothée de lui apporter le manteau qu’il avait laissé à Troade chez Carpus, et lui mande qu’il n’y avait que saint Luc qui fût pour lors avec lui ? Fallait-il également être divinement inspiré pour l’informer qu’il avait laissé Trophime malade à Milet ?

4o On remarque souvent dans les livres saints que les auteurs ne sont pas certains au juste de ce qu’ils avancent : de là cette expression d’hésitation et de doute dont ils font usage, environ, à peu près. Mais si l’Esprit leur avait dicté les choses qu’ils écrivaient, les aurait-il laissés dans l’incertitude ?

5o On y remarque encore des opinions fausses ou dont il est permis de douter, comme celles-ci, que le soleil s’arrêta, que les cieux sont solides, etc.

6o Il y a des fautes de mémoire dans les citations de l’Ecriture sainte. Ainsi il arrive quelquefois aux apôtres et aux évangélistes de rapporter les prophéties dans d’autres termes, ou de citer un prophète pour un autre ; ce qui ne peut se concilier avec l’inspiration.

7o Les apôtres reconnaissent qu’ils parlent quelquefois non par l’inspiration du Saint-Esprit, mais d’eux-mêmes. Ainsi saint Paul, dans sa première Epître aux Corinthiens, ch. x, vers. 10, 12, oppose ce que le Seigneur commande, à son propre conseil : « Quant à ceux qui sont maris, ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commande- ment : Que la femme ne se sépare point de son mari. Pour ce qui est des autres ce n’est pas le Seigneur, mais c’est moi qui leur dis. » On peut ajouter que saint Paul se repent, dans sa seconde Epitre, de ce qu’il avait écrit dans sa première, et qu’il avoue qu’il parle comme un insensé en rapportant ses révélations.

8o Les apôtres ont été sujets à erreur, même depuis la descente du Saint-Esprit ; car saint Pierre s’est trompé en voulant soumettre les gentils à des observations judaïques. Pour décider la question de l’observation de la loi, il fallut une assemblée ; donc chacun des apôtres, pris séparément, n’était pas suffisamment inspiré pour la décider ? De plus, l’Eglise même entière, de l’aveu de tout le monde, peut errer sur les faits et dans les matières qui n’appartiennent pas à la religion. Enfin, il n’y a que Jésus-Christ, la vérité même, qui ne soit point sujet à lerreur dans aucun cas.

Rép. Ces objections, quelque spécieuses qu’elles soient au premier abord, ne peuvent pourtant pas l’emporter sur le témoignage formel de Jésus-Christ en faveur de l’inspiration de tout ce qui est contenu dans les livres saints, ni sur celui de Saint Paul, qui n’est pas moins précis à comme nous venons de le voir, ni enfin sur l’autorité des Pères, qui, d’un consentement unanime, ont enseigné que l’Ecriture sainte, sans restriction ni exception aucune, est la parole de Dieu. Mais examinons cependant ces objections, et voyons si elles sont bien fondées.

1o La première porte sur un raisonnement tout à fait faux. Il est vrai que le but principal de l’Ecriture est de nous instruire des vérités de la religion ; mais s’ensuit-il que les écrivains sacrés n’aient pas été portés par le mouvement et l’impulsion du Saint-Esprit à composer les autres parties de leurs ouvrages ? S’ensuit-il encore qu’il puisse y avoir des faussetés mêlées avec les vérités de la religion ? Au contraire, c’est parce qu’elle nous instruit des vérités de la religion, qu’il faut nécessairement qu’il n’y ait pas d’erreurs mêlées parmi les choses véritables ; autrement le faux serait un préjugé contre le vrai, l’erreur pourrait faire douter de la vérité, et alors toute l’autorité des livres saints se réduirait à rien, et tomberait en ruines.

2o La seconde objection suppose qu’il en est des écrits des apôtres comme de leurs discours ; cependant il y a une grande différence. Pour que les apôtres eussent été infaillibles dans toutes leurs conversations. il aurait fallu que le Saint-Esprit les inspirât perpétuellement et les dirigeât dans leurs pensées, dans leurs paroles et dans leurs actions. Dans ce cas, ils eussent été impeccables ; cependant ils ne l’étaient pas, et il n’était pas nécessaire qu’ils le fussent, parce que leurs prédications étant assez distinguées de leurs conversations familières, on ne pouvait s’y tromper, et les fautes ou les erreurs qu’ils pouvaient commettre dans le commerce de la vie n’avaient rien de commun avec leur doctrine. Il n’en est pas de même de leurs écrits ; ils ont été composés pour l’instruction de l’Eglise, ils devaient servir de règle pour la foi des chrétiens, et être considérés dans l’Eglise comme des livres divins.

3o La troisième a déjà été proposée au temps de saint Jérôme ; ce grand docteur en fait l’exposition dans sa Préface sur l’Epître de saint Paul à Philémon, et sa réponse, qui est sans réplique, sera aussi la nôtre. Nous dirons donc avec lui qu’il n’est nullement indigne de l’Esprit saint de diriger esprit des hommes de manière à ce qu’ils ne commettent point d’erreurs même dans les moindres choses. Tout n’est pas également important, sans doute, dans les saintes Ecritures ; mais il n’y a rien qui soit d’une inutilité absolue ; les traits les moins importants en apparence tiennent ou à l’intégrité et à la simplicité du récit, ou à la liaison des choses.

4o La quatrième n’offre aucune difficulté sérieuse. Ces expressions dubitatives environ, à peu près, ne prouvent nullement que les auteurs qui s’en sont servis n’étaient point inspirés. Ce sont des manières de parler reçues dans le langage ordinaire des hommes. Le Saint-Esprit savait bien le nombre au juste, mais il n’a pas voulu le révéler aux écrivains ; il a jugé qu’il était plus naturel de les laisser parler comme on parle communément, et comme ils auraient parlé d’eux-mêmes.

5o La cinquième se résout aisément par cette simple réflexion, que l’Ecriture sainte n’ayant point pour but de nous apprendre les vérités philosophiques, a parlé de ces choses à la manière dont les hommes en parlent ordinairement. C’est la remarque de saint Augustin, qui sur cette question s’exprime en ces termes : « Pour le dire en un mot, nos auteurs ont su touchant la figure du ciel ce qui est véritable ; mais l’Esprit de Dieu, qui parlait par eux, n’a pas voulu enseigner ces choses aux hommes, parce qu’elles leur étaient inutiles pour leur salut[3]. » Ainsi l’Esprit saint ayant laissé les écrivains sacrés parler sur ces objets comme on en parle ordinairement, on n’est pas plus en droit de les accuser de fausseté, qu’on ne le serait d’accuser d’erreur ou de mensonge les coperniciens et les cartésiens, qui, dans leurs discours ordinaires, parlent du mouvement de la terre et de âme des bêtes comme les autres philosophes, quoiqu’ils pensent tout autrement.

6o La sixième objection renferme deux parties distinctes : la première, que les apôtres et les évangélistes n’ont pas toujours rapporté les prophéties dans leurs propres termes ; la seconde, qu’ils citent quelquefois un prophète pour un autre. Nous répondons, premièrement : qu’il est vrai que les apôtres et les évangélistes n’ont pas toujours cité les propres paroles des prophètes ; ils en ont même changé l’ordre, mais ils en ont retenu le sens ; cela suffisait à leur dessein. Il n’y a là ni faute de mémoire ni erreur véritable. Nous répondons en second lieu que les raisons qu’on allègue pour montrer que les écrivains du Nouveau Testament se sont trompés en citant un prophète pour un autre, n’ont aucun fondement : c’est le sentiment de saint Jérôme et de saint Augustin.

7o La septième n’est fondée que sur une équivoque de mots : quoique le Saint-Esprit inspirât les apôtres dans tout ce qu’ils écrivaient, il y a cependant des choses qu’ils ordonnaient de la part de Dieu, et d’autres qu’ils établissaient ou conseillaient d’eux-mêmes. Les premières sont des commandements de droit divin, les autres sont des préceptes humains ou des conseils, mais ces préceptes et ces conseils donnés par les apôtres étaient également inspirés de Dieu. Ainsi, pour bien comprendre le sens des paroles de saint Paul, il faut remarquer que ce saint apôtre appelle précepte ou commandement du Seigneur, ce que Jésus-Christ a ordonné ou prescrit dans l’Evangile, et il reconnaît ensuite qu’outre ces préceptes, les apôtres peuvent donner des conseils qui ne sont pas dans l’Evangile, c’est-à-dire dans les instructions que Notre-Seigneur donnait à ceux qui avaient le bonheur de l’entendre. Mais ces conseils donnés par saint Paul ou par les autres apôtres venaient aussi du Saint-Esprit, et étaient inspirés, surtout lorsqu’ils les donnaient dans des lettres écrites par inspiration : et c’est ce que saint Paul marque assez lorsque après avoir conseillé aux femmes de ne point se remarier, parce qu’en suivant ce conseil elles seront plus heureuses, il ajoute : « Et je crois que j’ai aussi en moi l’Esprit de Dieu[4]. » C’était par une inspiration particulière que l’Apôtre donnait des conseils si sages, et lorsqu’il les mettait par écrit dans ses lettres adressées aux fidèles, ils devenaient partie des Ecritures divines. Or toute Ecriture sacrée est divinement inspirée et utile pour enseigner et instruire.

Quant aux deux passages de la deuxième Epître aux Corinthiens, il n’est pas difficile d’y répondre. D’abord saint Paul ne se repent point, à proprement parler, d’avoir repris les Corinthiens, puisque la correction et la réprimande qu’il leur avait faites étaient devenues si utiles ; mais il veut dire qu’il s’en était attristé, en prenant part à la tristesse qu’ils en avaient ressentie ; semblable à un père qui, voyant la tristesse dont son fils est accablé lorsqu’il a été repris et corrigé, ressent lui-même, en quelque manière par contre-coup, la tristesse de son fils ; mais il a de la joie de voir que ce fils étant touché, se trouve dans l’heureuse disposition de changer de conduite.

En second lieu, lorsqu’il semble reconnaître qu’il agit et qu’il parle en insensé, il veut seulement faire entendre que, quoique en général ce soit une espèce de folie de se glorifier, il est néanmoins obligé de relever la dignité de son ministère et ses travaux apostoliques ; ce qui est une chose utile pour l’édification des fidèles, lorsqu’on se voit obligé d’en venir là, et ce qui serait une espèce de folie, si l’on n’était point contraint de le faire.

8o Enfin nous répondons à la huitième objection, que nous ne prétendons pas que les apôtres aient été infaillibles en toutes choses. En avouant même que saint Pierre a pu se tromper, quoique, comme Tertullien l’a remarqué, ce qu’on lui reproche soit plutôt une faute de conduite qu’une erreur de doctrine : Conversationis vitium fuit, non prœdicationis ; en reconnaissant que dans les difficultés qui se présentaient les apôtres pouvaient se confirmer et s’éclairer mutuellement, il n’y a là rien qui empêche qu’ils n’aient été inspirés chacun dans ses propres écrits. Il faut bien remarquer que le Saint-Esprit, qui a agi en eux, n’a pas voulu leur révéler certaines choses immédiatement et sans les secours ordinaires : au contraire, il a voulu qu’ils s’en servissent, et c’est par cette voie qu’il les a conduits à la vérité. Or, un de ces moyens naturels les plus efficaces était de conférer entre eux sur les contestations qui pouvaient s’élever, et de décider ensuite la chose d’un commun accord : c’est aussi celui que les apôtres employèrent ; mais ils ne se crurent pas par là privés du secours de l’Esprit saint : ils déclarèrent, au contraire, qu’ils ne décidaient la question qui était en litige que par la divine inspiration : Visum est Spiritui sancto et nobis.

Il est vrai que l’Eglise peut errer sur les faits et dans les matières qui n’appartiennent pas à la religion ; car elle n’est que la dépositaire de la doctrine qu’elle a reçue de Jésus-Christ et de ses apôtres : elle n’a plus de nouvelle révélation authentique et publique ; mais il n’en est pas de même de l’Ecriture sainte, qui, comme nous l’avons déjà observé, a été écrite par l’inspiration de Dieu, pour être une règle infaillible de la vérité et de la foi des chrétiens.

Enfin, il est vrai que Jésus-Christ, la vérité même, est seul infaillible par lui-même ; mais les hommes peuvent recevoir le don de l’infaillibilité par grâce, par inspiration, et par l’assistance spéciale et la direction du Saint-Esprit. Or c’est le cas des apôtres et de tous les autres écrivains sacrés, comme nous l’avons démontré par des preuves dont ces objections ne diminuent en rien ni la force ni la solidité.

  1. Rom. xv, 4.
  2. Conc. Trid. Sess. IV.
  3. August. Lib. de Genesi ad litteram, cap. IX.
  4. 1. Cor. VII, 40.