La Trace du serpent/Livre 4/Chapitre 06

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome IIp. 89-119).

CHAPITRE VI.

M. PETERS RAPPORTE COMME QUOI IL A CRU SAISIR UNE TRACE, ET COMMENT IL L’A PERDUE.

Une semaine après l’assemblée des Cherokées, Richard Marwood reçut sa mère, dans une petite maison garnie qu’il avait louée dans Spring Gardens. Mistress Marwood, possédant toute la fortune de son frère assassiné, était une femme très-riche. Elle avait dépensé fort peu de chose de ses considérables revenus, pendant les huit années de l’emprisonnement de son fils, encouragée qu’elle était par les insinuations mystérieuses et les promesses vagues de M. Peters, qui lui faisaient espérer la délivrance de son cher et unique enfant. L’heure était arrivée, elle le tenait de nouveau libre dans ses bras.

« Non, mère, non, dit-il, je ne suis pas libre. Je suis libéré des murs de la prison, mais non libéré de la tache d’une fausse accusation. Jusqu’à l’heure où toute l’Angleterre me déclarera innocent, je ne serai pas, en vérité, un homme libre. Car, voyez-vous, mère, je ne puis sortir de cette chambre pour aller dans la rue là-bas, sans un déguisement semblable à celui que pourrait porter un meurtrier lui-même, crainte que quelque agent de Slopperton ne puisse reconnaître le fou criminel et ne me renvoie à ma cellule de l’asile.

— Mon enfant bien-aimé. »

Elle pose ses mains sur ses épaules et contemple d’un air plein d’orgueil son beau visage.

« Mon enfant bien-aimé, ces gens de Slopperton te croient mort. Vois. »

Elle touche en parlant sa robe noire.

« C’est pour toi que je la porte. Une supercherie bien pénible, Richard, même pour un but comme celui-ci. Je ne puis penser à cette rivière et à ce qui aurait pu arriver.

— Chère mère, j’ai été sauvé, peut-être afin de pouvoir réparer cette vie coupable et débauchée du passé.

— Seulement débauchée, Richard ; jamais coupable. Toujours le même noble esprit, toujours le même cœur généreux, toujours mon chéri et unique enfant.

— Vous vous souvenez de ce que dit le jeune homme, dans la comédie, mère, quand il s’est mis dans une mauvaise affaire en négligeant son jardin et en faisant la cour à la fille de son maître : Vous serez encore fière de votre fils.

— Je serai fière de toi, Richard ? mais j’en suis fière. Nous sommes riches, et la fortune est une puissance. Justice te sera faite, mon cher enfant, tu as des amis…

— Oui, mère, de véritables et dignes amis. Peters, l’avez-vous amené avec vous ?

— Oui, je lui ai persuadé d’abandonner sa place. Je lui ai constitué une rente viagère de cent livres, mince récompense pour ce qu’il a fait, Richard, mais c’est tout ce que j’ai pu lui faire accepter, et encore n’a-t-il voulu y consentir qu’à la condition que chaque moment de sa vie serait consacré à ton service.

— Est-il ici dans la maison, maintenant, mère ?

— Oui, il est au-dessous ; je vais sonner pour le demander.

— Volontiers, mère. Je dois aller rejoindre Darley, et je l’emmènerai avec moi. Vous allez me prendre pour un fils plein d’inattention et de négligence, mais souvenez-vous que ma vie n’a qu’un seul objet, celui de trouver cet homme. »

Il lui pressa la main et la laissa derrière la croisée occupée à regarder son ombre s’éloigner dans la rue calme et sombre.

Sa reconnaissance envers le ciel pour avoir retrouvé son fils est profonde et vivement sentie ; mais il y a une ombre de tristesse sur son visage tandis qu’elle le suit des yeux dans la demi-obscurité ; elle pense aux huit années perdues de sa jeunesse et de sa brillante virilité, dont il va dépenser maintenant le reste à poursuivre une chimère, car elle est persuadée qu’il ne découvrira jamais le meurtrier de son oncle. Comment, après huit ans, sans le moindre indice pour suivre sa piste, comment espérer saisir le véritable criminel ?

Mais la Providence est au-dessus de nous, Agnès Marwood, et dans le sentier obscur et tortueux de la vie, la lumière quelquefois arrive à l’improviste au moment où l’on s’y attend le moins.

Si vous traversez directement Blackfriar’s Bridge, sans vous laisser distraire au delà du pont par les enchantements de ce lieu de flânerie à la mode le New Cut, ou par l’éloquence de la dernière célébrité de cette chapelle circulaire consacrée autrefois à Rowland Hill, si vous n’êtes pas homme à vous laisser attirer par les asticots et autres appâts de pêche, les articles de bric-à-brac, les oiseaux et les cages d’oiseaux, ou par un barbier en plein vent, vous pourrez atteindre définitivement, à l’extrémité de la route, une localité connue des habitants du district sous le nom de Friar Street. Quant à dire si jamais, à quelque époque ténébreuse de notre histoire ecclésiastique, les membres de l’Église mère furent réduits à la nécessité de vivre dans ce quartier, je ne pourrais le faire. Mais si jamais quelques-uns des princes de la foi catholique avaient établi leur demeure dans ce voisinage, il faut croire que les odeurs des chaudières de savon à l’angle de la rue, les fortes émanations des fabriques de chandelles de l’autre côté, et dans le milieu les parfums variés des divers établissements de manufacturiers qui gagnent des milliers de livres par semaine, sans compter les partielles effluves domestiques représentées par un amalgame d’odeurs de harengs saurs, de chiffons moisis, de vieilles bottes, d’oignons, de lessives, de cheminées fumeuses, de chats morts, d’œufs pourris et de deux ou trois égouts à ciel ouvert, il faut croire, dis-je, que toutes ces senteurs luttant ensemble n’envahissaient pas l’atmosphère de Friar Street avec une intensité aussi considérable dans le bon vieux temps qu’elles l’infectent de nos jours, à cette époque de luxe et de raffinement.

L’établissement de M. Darley, réputé chirurgie et pharmacie par excellence, était peut-être un des lieux les plus prétentieux de la rue. Il s’annonçait, en effet, avec une telle redondance de lettres dorées et de becs de gaz, qu’il semblait dire : « En vérité, maintenant, vous pouvez être malades, ou si vous ne l’êtes pas, vous devez l’être. » Ce n’était pas une très-vaste maison, cet établissement de M. Darley, mais il y avait au moins une demi-douzaine de poignées de sonnettes à la porte d’entrée. Là étaient inscrits : cabinet de chirurgie ; ici : sonnette de jour ; là : sonnette de nuit (Gus voulait en avoir pour le matin et l’après-midi, mais on lui dit que ce n’était pas dans le caractère de la profession). Puis, outre ces sonnettes pour le cabinet de chirurgie, pour le jour et pour la nuit, il y avait une autre plaque brillante de cuivre, avec l’inscription visiteurs, et une semblable sur laquelle était gravée le mot officine. Quoiqu’il n’y eût qu’un petit parloir sur le derrière au delà de l’officine, dans laquelle les visiteurs pénétraient toujours, et qu’il était d’usage pour tous les susdits visiteurs de traverser directement la susdite pharmacie pour entrer dans le susdit parloir, sans s’inquiéter d’une sonnette quelconque, la plaque de cuivre était considérée plutôt comme un objet de convention que de nécessité.

Mais Gus disait qu’elles faisaient bien, surtout quand elles étaient bien nettoyées, ce qui n’arrivait pas toujours, deux gentlemen américains, amis de Darley, ayant l’habitude de les asperger de jus de tabac, dans l’obscurité de la nuit. En agitant la sonnette, on réussissait le plus souvent à entrer après six heures, mais dans le cas contraire on pouvait rester devant la porte toute la soirée, c’est-à-dire un temps indéfini jusque dans la matinée du jour suivant, car la société de Darley se dispersait rarement de très-bonne heure, et laisser ses visiteurs dehors et prendre le thé au lait dans l’intérieur était fréquemment une façon simultanée de se conduire dans la maison de notre jeune chirurgien.

S’il eût été seulement un chirurgien, il eût été un Benjamin Brodie ; car, lorsqu’on fait entrer en ligne de compte qu’il peut toucher du piano et de l’orgue, jouer de la guitare et du violoncelle, sans avoir appris aucun de ces instruments ; qu’il peut composer une chanson et la mettre en musique, qu’il peut dessiner des chevaux et des chiens d’après Herring et Landseer, faire plus de calembours dans une phrase que n’importe quel écrivain burlesque existant, faire la cour à une demi-douzaine de femmes à la fois, et être cru de toutes sans se soucier plus d’aucune que d’un demi-penny ; chanter une chanson comique ou raconter une histoire drolatique ; nommer le vainqueur du Derby d’avance plus sûrement qu’aucun prophète de ce côté de l’eau ; faire son livre de compte d’une main, tandis qu’il écrit une ordonnance de l’autre ; le lecteur judicieux avouera qu’il y avait une grande quantité de talents de toutes sortes dans la nature de M. Auguste Darley.

À la brune de cette soirée d’automne particulière, il est fortement occupé à ranger un tas de petits paquets étiquetés sels supérieurs d’Epsom, tandis que son aide, un très-frêle jeune homme, en apparence beaucoup moins âgé que son maître, allume le gaz. La porte à moitié vitrée qui communique avec le petit parloir de derrière, est entrebâillée et Gus est en train de causer avec quelqu’un dans l’intérieur.

« Si, je passe l’eau ce soir, Bell, » dit-il.

Une voix féminine partant de l’intérieur, l’interrompt.

« Mais vous ne devez pas sortir ce soir, Gus ; la dernière fois que vous êtes allé chez cet horrible boxeur, le petit garçon de mistress Tomkins a été malade, et on a envoyé chercher M. Parker dans London Road. Et vous êtes si aimé de tout le monde, chéri, que l’on dit que si vous restiez toujours chez vous, vous auriez la meilleure clientèle du quartier.

— Mais, Bell, comment un individu pourrait-il se condamner à rester au logis tous les soirs pour vendre, la moitié du temps, deux sous de sels ou un emplâtre à un pauvre diable ? S’ils voulaient être malades, ajouta-t-il presque sauvagement, je ne m’ennuierais pas en ne bougeant pas, il y aurait quelque intérêt à rester s’ils venaient seulement pour se faire arracher les dents, mais ils ne veulent pas, et je suis sûr que si je leur vendais notre infaillible teinture contre le mal de dents, et que si elle ne les en débarrassait pas, c’est que rien n’y ferait.

— Venez prendre votre thé, Gus, et dites à Snix d’apporter sa tasse. »

Snix était l’élève qui, sur-le-champ, retira d’une étagère sous le comptoir la tasse dans laquelle buvait un homme pris de boisson lorsqu’il était conduit dans la pharmacie, Gus avait coutume de le saigner, dans le double but de s’exercer dans son art et de calmer le patient.

La personne du sexe féminin qui occupait le parloir était une jeune femme aux cheveux noirs et aux yeux bleus, âgée d’un peu moins de vingt ans. C’était la sœur unique d’Auguste Darley ; elle tenait sa maison, et dans un cas pressé pouvait faire une prescription ; bien plus, elle était connue pour savoir arracher les dents de lait d’un jeune patient et pour lui rendre son argent après l’opération afin qu’il pût se consoler par l’achat de quelques friandises.

Isabelle Darley est peut-être à juste raison ce que les précieuses jeunes filles qui n’ont jamais dépassé les limites de la pension ou d’un salon pourraient appeler un peu osée ; mais quand on prend en considération qu’elle est restée orpheline en bas âge, qu’elle n’est jamais allée à l’école de sa vie, et qu’elle a été habituée, pendant un temps très-considérable, à la société des amis de son frère, principalement des membres du club Cherokée, il ne paraîtra pas étonnant qu’elle ait quelque chose d’un peu plus masculin dans ses manières et de plus avancé dans ses opinions que les autres personnes de son sexe.

Le parloir est petit, comme on l’a déjà dit. L’un des Cherokées avait suggéré l’idée lorsque plusieurs visiteurs étaient présents et que le moment du départ était venu, de les extraire séparément de l’intérieur avec un tire-bouchon ; d’autres Cherokées étant arrivés quand la pièce était comble de visiteurs, avaient donné l’avis que quelqu’un entrât d’abord avec une chandelle allumée pour s’assurer si l’atmosphère était propre à la respiration. Le logement, peut-être, n’était pas agrandi par le caractère de l’ameublement, qui consistait en un piano qui servait heureusement de buffet, d’une chaise destinée aux opérations de chirurgie dentale, d’une petite colonne du style corinthien, sur laquelle était accrochée par une chaîne attachée à une cheville en fer, une cuvette servant aux mêmes usages. Les Cherokées préparaient du punch dans ce vase, et un Joyeux d’humeur badine était tombé dans le ravissement en détachant de la cheville la cuvette toute remplie par manière d’agréable divertissement. Il y avait un violoncelle dans un coin, et une étagère pour des livres, meuble qui était un tourment pour le dos des Cherokées, car le contact d’une tête d’homme suffisait pour en jeter bas les tablettes et pour faire tomber le contenu de la bibliothèque de M. Darley sur la tête en question en forme de pluie littéraire, un sofa d’une bonne largeur, avec cette élasticité ordinaire, ces bras et ce dossier durs qui distinguent le genre lit-canapé. Il va sans dire que tables, chaises, objets de Chine, çà et là un buste en plâtre de la fabrique de Paris, caricatures sur les murs, lampe qui ne pouvait brûler, et tout un attirail pour la confection des rôties au fromage, étaient bagatelles qui ornaient l’appartement et dont la nomenclature ne vaut pas la peine d’être faite. Les oiseaux de miss Darley, en outre, quoique faisant rejaillir graines et eau dans les yeux des inoffensifs visiteurs, quoique laissant tomber sur leur nez des morceaux souillés de sucre, ne pouvaient naturellement être considérés comme un désagrément, mais positivement la pharmacie et le parloir, qui étaient derrière, étaient, pour en finir, un peu trop encombrés de meubles.

Tandis qu’Isabelle est occupée à verser le thé, deux gentlemen ouvrent la porte de la pharmacie, et la sonnette qui devrait sonner et qui ne le fait pas, en dégringolant au pied du premier visiteur, manque de le faire choir tout de son long dans l’officine du disciple d’Esculape. Ce premier visiteur n’est autre que M. Peters, et le personnage de haute taille qui est derrière lui, enveloppé dans un manteau, est Dick le Diable.

« Me voici, cria-t-il de sa voix sonore et franche ; me voici, nous avons trouvé enfin votre demeure, malgré les fascinations de toutes les vieilleries en coquillages du Royaume Uni ; me voici, et avec moi le meilleur ami que j’aie dans le monde, sans même vous excepter, mon vieux camarade. »

Gus présenta Richard à sa sœur Isabelle, qui depuis son enfance avait entendu parler du jeune homme, enfermé dans un asile de fous à Slopperton, comme du plus grand héros, après Napoléon Bonaparte, que le monde eût jamais glorifié. Elle était petite fille de onze ans à l’époque du procès de Dick, et n’avait jamais vu l’écervelé camarade de son plus écervelé frère ; elle considère maintenant le beau visage au teint brun, ayant un regard presque respectueux dans ses yeux bleus et profonds. Mais Belle n’est en aucune façon une héroïne, et elle a une douzaine d’occupations qui ressemblent fort peu à celles d’une héroïne. Elle a le thé à verser et elle échaude les doigts de Richard dans son agitation nerveuse ; elle jette le sucre dans sa théière, et verse tout le lait dans une tasse à thé. Il est impossible de dire ce qu’elle eût fait sans l’assistance de M. Peters, mais ce gentleman se montra le véritable génie de l’ordre, il prépara de minces tartines de beurre pour une demi-douzaine de personnes, et personne de la société n’y toucha ; remplit de nouveau la théière avant qu’elle fût vide, alluma la lampe à gaz qui était suspendue au plafond, ferma la porte qui communiquait avec la pharmacie, et l’autre porte qui conduisait à l’escalier ; et fit tout cela si tranquillement que personne ne s’aperçut après tout qu’il eût fait quelque chose.

Pauvre Richard ! malgré la reconnaissance et le bonheur qu’il éprouve pour sa délivrance, il y a de la tristesse dans son regard, et un embarras dans ses manières qu’il s’efforce en vain de surmonter.

Une petite créature, ronde, joufflue, qui pouvait être âgée de douze à vingt ans, en se rapportant aux lumières des personnes expertes à évaluer l’âge, enlève le service à thé et casse une soucoupe. Gus lève la tête :

« C’est toujours ainsi qu’elle fait, dit-il sans se fâcher : Nous sommes tout à fait habitués à ce bruit. Elle réduit à rien notre assortiment de Chine, et nous sommes quelquefois obligés d’envoyer acheter des objets pour le thé avant de pouvoir déjeuner ; mais c’est une bonne fille, et elle ne met pas au pillage le miel ou les jujubes, l’acide tartrique et les poudres de Sedlitz, comme faisait l’autre ; ce n’est pas que je m’en souciasse beaucoup, continua-t-il, mais elle remplissait les sacs d’arsenic crainte d’être découverte, et cela aurait pu avoir des inconvénients si par hasard nous les avions vendus.

— Maintenant, Gus, dit Richard, en rapprochant sa chaise du feu et allumant sa pipe, après en avoir préalablement obtenu la permission de Belle, qui vivait dans une continuelle atmosphère de fumée de tabac ; maintenant, Gus, je désire que Peters vous raconte tous les détails de l’affaire ; comment il a pensé que j’étais innocent, comment il a trouvé le plan qu’il forma pour sauver ma tête, comment il a essayé de chercher et de découvrir une trace du meurtrier véritable, comment il a cru l’avoir découverte et comment il l’a perdue.

— Ma sœur peut-elle rester pendant qu’il fera son récit ? demanda Gus.

— C’est votre sœur, Gus ; elle ne saurait différer tellement de vous qu’elle ne soit pour moi une amie sincère et compatissante. Miss Darley, continua-t-il, en se tournant de son côté pendant qu’il parle : vous ne me croyez pas aussi mauvais que le monde m’a jugé ; vous voudriez me voir réhabilité et voir mon nom lavé de la tache d’un crime odieux.

M. Marwood, j’ai entendu le récit de votre malheureuse histoire bien des fois de la bouche de mon frère. Eussiez-vous été mon propre frère, je n’aurais pas ressenti, croyez-moi, un plus profond intérêt pour votre sort ou un chagrin plus véritable pour votre infortune. Il n’est besoin que de regarder votre figure ou d’entendre votre voix, pour connaître quel bon et honnête jeune homme vous êtes, et combien peu vous méritez l’accusation qui a été portée contre vous. »

Il se lève et lui donne la main. Ce n’est pas la faible pression d’une main de femme qui enlèverait à peine le duvet d’une aile de papillon, mais une bonne et cordiale poignée de main qui vient directement du cœur.

« Et maintenant au récit de M. Peters, dit Gus, pendant que je vais confectionner un vaste bol de punch au whisky.

— Pouvez-vous suivre ses mains, Gus ? demanda Richard.

— Je puis en suivre la moindre contorsion et le moindre mouvement ; lui et moi avons parlé bien souvent de vous avant d’aller à la pêche, dit Gus, levant la tête et abandonnant un instant son agréable occupation de peler un citron.

— Maintenant donc, au récit, » dit Richard.

Et en conséquence, M. Peters commença.

Peut-être, que considérant l’abandon de sa place dans la police de Slopperton, comme un grand événement, pour ne pas dire comme une crise dans sa vie, M. Peters l’avait célébré par un autre événement, et laissant aller ses affaires au courant, il avait profité de cette circonstance pour se laver les mains. Sans comparaison, l’alphabet digital était considérablement plus propre que lorsque, il y a huit ans, il avait mimé les deux mots non coupable, dans le wagon du chemin de fer.

C’était une chose vraiment curieuse à voir que cette petite réunion composée de Gus, de Richard et de Belle, tous attentifs et les yeux fixés sur les doigts en mouvement de l’agent ; le silence était rompu seulement par intervalles par un des trois personnages.

« Quand je vis d’abord ce jeune gentleman, disent les doigts, M. Peters désignant Richard d’un coup de coude, je me tenais de l’autre côté de la voie, attendant que mon supérieur Jinks, qui était autant à son affaire qu’une chatte faisant ses petits (M. Peters avait tout à fait ce que nous pourrions appeler une méthode fantaisiste d’orthographier, retranchant la lettre finale de certains mots pour l’accoler à d’autres, suivant l’inspiration de son goût), attendant, dis-je, que Jinks réclamât mon assistance. Voilà donc, monsieur, en demandant pardon à madame, car elle veille si bien comme un homme, sans se laisser aller aux défaillances et aux accès nerveux communs à son sexe, que j’oubliais complètement qu’elle fût une femme. Voilà donc que je n’eus pas plutôt jeté les yeux sur M. Marwood qui était là à fumer sa pipe au nez de Jinks, lui répondant vivement et ayant une allure que nous pourrions comparer à celle d’un coq ; que je me dis, on a arrêté un innocent. Mes premières paroles et mes dernières sur le compte de ce gentleman ici présent, furent : on a arrêté un innocent. »

M. Peters promena un regard de triomphe sur ses auditeurs attentifs, se frotta les mains en manière de ponctuer son récit, et continua sa narration manuelle.

« Pourquoi ? dirent les doigts interrogativement ; pourquoi avais-je la conviction que ce gentleman n’était pas coupable de ce meurtre ; pourquoi pensais-je que les camarades de Slopperton avaient suivi une mauvaise piste ? Parce qu’il tenait tête ?… Dieu bénisse vos beaux yeux, miss ; par galanterie il s’adresse ici à Isabelle, non pas le moins du monde pour ça. Quand un gaillard est capable de couper la gorge à un autre sans hésiter, il n’est pas vraisemblable qu’il ne soit pas préparé à tenir tête à un agent de police. Mais quand j’examinai la figure de ce jeune gentleman, que remarquai-je en elle ? Eh bien, aussi facilement que j’aperçus son nez et ses moustaches, qui ne sont vraiment pas mal, dirent les doigts entre parenthèses ; je vis qu’il n’avait pas commis le crime. Maintenant, un drôle qui a été conduit à paraître devant un juge et un jury, est, peut-être, capable de les affronter et de ne pas changer une ligne de son pot à bière ; mais il n’y en a pas un qui puisse soutenir cette première tape sur l’épaule de la main d’un agent qui lui dit en propres termes : la partie est finie. Le plus effronté et le plus intrépide d’entre eux faiblit à cet attouchement. S’ils conservent la couleur de leur visage (ce que quelques-uns ont le pouvoir de faire ; et malgré cela nul n’a échappé au châtiment) ; s’ils peuvent donc conserver la couleur de leur visage, la sueur perce, froide et humide, sur leurs fronts et leurs habits. Mais ce jeune gentleman était pris par derrière, il était étonné, et il était ferme, et il usait de mauvaises paroles ; mais sa couleur n’avait pas changé, et il n’avait pas été un instant bouleversé, jusqu’au moment où Jinks, comme un maladroit, lui parla de l’assassinat de son oncle, ce qui le fit devenir aussi blanc que ce plâtre de Bon-à-part. »

M. Peters, à défaut d’une meilleure comparaison, tourne les yeux dans la direction d’un buste du vainqueur de Marengo qui, enfumé de tabac et orné d’une paire de moustaches faites avec un bouchon brûlé, n’était en aucune façon l’objet le plus blanc des choses créées.

« Voici, maintenant, à quoi sert un agent, s’il est digne de manger le pain qu’il gagne. Quand il voit deux indices d’un côté et deux de l’autre, il peut les réunir ; quoiqu’ils puissent paraître éloignés d’un mille les uns des autres à tout individu non initié au métier, et en faire une somme de quatre. Ainsi, pensais-je, le gentleman n’a pas été déconcerté quand on l’a arrêté, mais il a été bouleversé quand il a appris que son oncle avait été assassiné ; à présent, s’il a commis cet assassinat, il en a connaissance, et il peut jouer la surprise, mais je ne serais pas surpris, que ce gentleman fût surpris d’une stupeur aussi réelle que — l’imagination de M. Peters eut de nouveau recours au buste de Napoléon — que celle qu’éprouva ce personnage étranger, quand il vit sa vieille garde décimée à la bataille de Waterloo.

— Dieu sait, Peters, dit Richard, retirant sa pipe de sa bouche et relevant sa tête penchée sur le feu, Dieu sait que vous aviez raison, je fus saisi de stupeur à la nouvelle de la mort de cet excellent homme.

— Eh bien, on avait poursuivi l’innocent, je vis cela aussi clair que le jour, mais où était le coupable ? C’était là la question ! Quel que fût l’auteur de l’assassinat, l’avait-il commis pour prendre l’argent renfermé dans le cabinet, était-ce un agent payé, et, quel qu’il fût, avait-il trouvé l’argent ? Qui se trouvait dans la maison ? La mère de ce gentleman et la servante. Je n’étais rien dans la police de Gardenford, et j’étais moins que rien dans celle de Slopperton : aussi ne pouvais-je entrer dans cette maison du Moulin Noir ; ce jeune gentleman fut envoyé en prison et je fus renvoyé à mes occupations. Mes ordres étaient de retourner à Gardenford le soir même et de quitter Slopperton par le train de trois heures trente. En vérité, j’étais un peu intrigué par ce jeune gentleman, car je voyais que c’était une affaire de mort pour lui ; l’argent trouvé dans ses poches, le sang sur sa manche ; une absurde et invraisemblable histoire d’une lettre d’introduction et une très-évidente disposition à tenter un coup hardi, suffisaient pour le faire pendre, voilà tout ; et pour toutes ces raisons, j’avais une intime conviction qu’il était aussi innocent de l’assassinat que ce plâtre antique de la fabrique de Paris. »

M. Peters avait régulièrement recours aux bustes pour ses comparaisons, afin d’économiser le temps et la peine d’en chercher de nouvelles.

« Mais mes ordres, continuèrent les doigts, étaient positifs ; aussi je me dirigeai vers la station pour partir par le train de trois heures trente, et comme j’entrais dans la gare, j’entendis le sifflet et vis le train s’éloigner. J’arrivai trop tard, et comme le train suivant ne devait partir que dans trois heures, je pensai que je pouvais faire une promenade et visiter les curiosités de Slopperton. Je me mets donc à marcher à l’aventure, jusqu’à ce que j’arrive sur le bord d’une gentille rivière à l’aspect sale, et comme en ce moment je me sentais le gosier un peu sec, je continuai de marcher pour trouver un cabaret ; mais je ne pus en découvrir un seul avant de tomber presque dans un misérable endroit sombre, qui avait l’air de vendre environ une demi-pinte par jour, régulièrement, quand les affaires allaient bien. Néanmoins, j’entrai, je passai devant le comptoir et j’aperçus une porte, droit devant moi, qui conduisait dans la salle. Le corridor était très-sombre, la porte était entrebâillée, et j’entendis des voix dans l’intérieur : « Eh bien, voyez-vous, les affaires sont les affaires, et les plaisirs sont les plaisirs ; mais quand un individu du métier prend un plaisir dans ses affaires, il trouve le moyen de faire celles-ci comme d’habitude sans en avoir l’air, tout en se divertissant ; » aussi écoutai-je. La voix que j’entendis d’abord était une voix d’homme, et quoique l’endroit fût une espèce d’étable, fréquentée seulement par des mariniers ou des individus de cette classe, cette voix-là était celle d’un gentleman. Je ne puis dire si j’ai prêté jamais beaucoup d’attention moi-même à la grammaire, quoique je ne doute pas que ce ne soit chose fort agréable et très-amusante de la posséder ; mais, malgré tout, j’ai assez roulé dans le monde pour distinguer la manière de parler d’un gentleman de celle d’un marinier, aussi bien que je ferais la différence du son d’un accordéon de celui d’un autre instrument. C’était une voix claire, au timbre doux et tout à fait mélodieuse et agréable ; mais elle faisait entendre les mots les plus cruels et les plus durs qui aient jamais été adressés à une femme par un être assez hardi pour s’appeler un homme. Vous n’êtes pas trop bon, mon ami, me dis-je, avec vos mots lardés de pointes et vos froides railleries, qui que vous soyez. Vous êtes un homme bien élevé, avec vos cheveux blonds et vos mains blanches, quoique je ne vous aie jamais vu, et vous ne me paraissez pas très-éloigné de vouloir faire un mauvais coup. Bientôt, comme je faisais ces réflexions, il dit quelque chose qui fit monter le sang à mon visage et le rendit brûlant comme du feu : « J’espérais une somme d’argent, et j’ai été désappointé. » Et avant que la jeune fille eût eu le temps d’ouvrir la bouche pour parler, il reprit aussitôt : « Ne vous avisez jamais de savoir comment, » dit-il ; « ne vous en avisez jamais. » Il espérait une somme d’argent, et il avait été désappointé. C’est ainsi qu’avait été l’homme qui avait assassiné l’oncle de ce jeune gentleman. Il n’y avait pas grand’chose, peut-être, dans tout cela. Mais pourquoi était-il aussi effrayé à l’idée qu’elle pût lui demander d’où il espérait cet argent et comment il avait été désappointé ? Il y avait là quelque chose. À quelque prix que ce soit, je veux jeter un coup d’œil sur vous, mon ami, et en conséquence, j’entre très-doucement et sans me faire remarquer. Il était assis, tournant le dos à la porte, et la jeune femme à qui il parlait était debout, occupée à regarder dehors par la croisée ; ainsi aucun d’eux ne m’aperçut. Il était en train d’élever un édifice avec des cartes, et était parvenu à le monter très-haut, quand je posai, soudain, ma main sur son épaule. Il se retourna et me regarda.

M. Peters s’arrêta ici un instant et promena ses yeux sur le petit groupe, qui ne cessait de considérer ses doigts avec une vive attention. Il était évidemment arrivé à l’endroit palpitant de son récit.

« Et maintenant, que remarquai-je sur sa figure, quand il me regarda ! D’abord ce regard que je n’avais pu trouver sur le visage du jeune gentleman quand Jinks l’arrêta dans la matinée, ce regard que j’ai remarqué sur de nombreuses figures, sans l’avoir jamais vu différer, qu’il se manifestât d’une manière ou d’une autre, toujours le même regard au fond : le regard d’un homme coupable d’une action qui doit le conduire à la potence et qui se sent découvert. Mais comme on ne peut donner un regard comme preuve, ceci ne valait rien comme but pratique. Mais je me dis à moi-même, si jamais il y a eu quelque chose de certain dans ce monde depuis son commencement, j’ai rencontré une certitude. Je m’assis donc et pris un journal. Je lui déclarai que j’étais muet, et il crut que j’étais sourd également ; aussi continua-t-il de parler à la jeune fille. C’était une assez vieille histoire que celle qui s’était passée entre la jeune fille et lui, et qui faisait le sujet de la conversation ; mais chaque mot nouveau qu’il prononçait faisait ressortir davantage la vilenie de ce cynique personnage. Bientôt il lui offrit quelque argent, quatre souverains. Elle le remercia comme il devait l’avoir mérité, et lui jeta violemment toutes les pièces au visage. L’une d’elles le blessa au-dessus de l’œil, et j’en fus enchanté. « Vous êtes marqué, mon homme, » pensai-je, « et rien ne saurait arriver de plus heureux pour moi. » Il ramassa trois des souverains : mais, malgré toutes ses recherches, il ne put trouver le quatrième. Il fit panser sa blessure, qui était d’une jolie profondeur, et s’éloigna. Quant à la jeune fille, elle fixa la rivière d’un œil particulièrement triste, puis elle s’éloigna aussi. Je n’aimais pas beaucoup le regard qu’elle avait jeté sur la rivière ; aussi, comme j’avais encore une demi-heure avant le départ du train, je la suivis. Je crois qu’elle le comprit, car elle coupa court bientôt par une petite rue, et quand je fis le détour après elle, on ne la voyait plus ni à droite ni à gauche. Alors, comme je n’avais qu’une demi-heure, je pensai qu’il était inutile de poursuivre cette jeune et infortunée créature à travers tous les tours et détours de tous les bourbiers reculés de Slopperton ; aussi, après quelques minutes de réflexion, je me dirigeai vers la station. Que je sois pendu, si je n’étais pas encore en retard pour le départ du train. Je ne sais comment cela se faisait, mais je ne pouvais chasser la jeune femme de mon esprit, et je ne pouvais m’empêcher de songer à ce qu’elle avait l’intention de faire d’elle et de son petit enfant. Je redescendis donc du côté de l’eau, et comme j’avais une bonne heure et demie à dépenser, je fis un bon bout de chemin, en pensant au jeune homme et à sa blessure sur le front. Peut-être avais-je fait un mille au plus, quand j’arrivai à un bateau solitaire qui était à l’ancre. C’était une embarcation à charbon, et il y avait à bord un jeune homme, assis sur la quille, occupé à fumer et à regarder dans l’eau. Lui et moi étions les seuls êtres en vue dans cet endroit, et il ne se fut pas plutôt aperçu que je venais le long du bord, qu’il se mit à crier : « Eh ! là-bas ! avez-vous rencontré Une jeune femme descendant dans votre chemin ? » Ces mots me saisirent d’étonnement, je ne sais pourquoi, cela se rapportait si bien à ce que je pensais en moi-même. Je secouai la tête, et il ajouta : « Il y a eu quelque malheureuse jeune fille par ici qui a essayé de noyer son petit enfant. J’ai vu la petite créature dans l’eau, et je l’ai repêchée avec ma gaffe. J’avais vu la jeune fille rôder aux environs, à la brune, et puis j’ai entendu le bruit de l’eau quand elle y a jeté l’enfant ; mais le brouillard était si épais, que je n’ai rien pu voir sur le bord pendant ce temps-là. » Le bateau était justement près du rivage, et je sautai dedans. N’étant pas assez fortuné pour posséder une voix, vous savez combien cela est désagréable avec des étrangers, je ne pouvais parvenir à me faire comprendre du jeune homme, et il cessa de crier quand il vint à savoir que j’étais muet ; il n’eût pas parlé sur un ton plus élevé si j’avais été un monsieur. Il me dit qu’il porterait l’enfant au dépôt de mendicité, et qu’il espérait que la mère ne s’était pas portée à quelque violence contre elle-même. Je n’espérais pas de même, car je me souvenais du regard qu’elle avait jeté sur la rivière, et cela ne me rassurait pas beaucoup sur son compte. Je pris dans mes bras la petite créature toute mouillée. Le jeune homme l’avait enveloppée dans une vieille cotte, elle criait piteusement et avait un air, oh ! un air si misérable et si meurtri ! Eh bien ! cela peut sembler une ridicule plaisanterie ; mais j’ai le cœur facilement attendri au sujet des petits enfants, et j’avais eu souvent la pensée que j’aimerais à essayer la puissance de l’éducation dans la direction de mon métier, et à élever un enfant, dès le berceau, pour la position d’agent de police, pour voir si je ne pourrais pas en faire un ornement pour la police active. Je n’étais pas marié, et n’étais nullement destiné probablement à avoir une famille par moi-même ; aussi, quand je pris ce baby-là dans mes bras, il me vint dans la tête, je ne sais comment, de l’adopter et de l’emporter. Sur cela, je l’enveloppai dans mon manteau, et le pris avec moi pour aller à Gardenford.

« C’est un étonnant garçon que celui-là, dit Richard, nous l’élèverons, Peters, et nous en ferons un gentleman.

— Un instant ! dirent les doigts avec beaucoup de vivacité. Je vous remercie de votre bonté, monsieur, mais si la police de ce pays était privée de ce garçon-là, elle serait volée d’un bijou qu’elle ne consentirait pas à perdre.

— Poursuivez, Peters, racontez-nous le reste de votre histoire.

— Eh bien ! quoique je sentisse en moi-même que, par une de ces chances bizarres qui arrivent dans la vie peut-être aussi souvent qu’elles arrivent dans les romans, j’étais tombé sur l’homme qui avait commis le meurtre ; je n’avais pas cependant de preuve suffisante pour obtenir un mandat d’amener. Je fus transféré de Gardenford à Slopperton, et pendant tous les moments de loisir que je pouvais avoir, je m’efforçais de retrouver l’homme que j’avais remarqué ; mais je ne le vis plus nulle part, et je n’entendis plus parler d’un individu quelconque répondant à son signalement. J’allai dans les églises, car je le croyais capable de se cacher derrière un masque de piété. J’allai au théâtre, et je vis sur la scène une jeune femme accusée d’avoir empoisonné une famille, et dont l’innocence était prouvée par un gaillard de la police, qui ne connaissait pas plus son métier qu’une mouche. J’allai partout et de tous les côtés, mais je ne revis jamais cet homme, et voilà que l’on était excessivement près du procès de ce jeune gentleman, et rien de fait. Comment faire pour le sauver ? Je réfléchissais à cela le jour et la nuit ; mais l’affaire dépassait mon imagination, je ne trouvais absolument rien. Un jour j’entendis parler d’un vieil ami du prisonnier qui était assigné en chair et en os comme témoin à l’audience ; cet ami, je résolus de le voir, car deux têtes… (M. Peters regarde autour de lui, comme s’il s’attendait à être contredit), valent mieux qu’une.

— Et cet ami, dit Gus, était votre humble serviteur, qui était heureux de prouver que le pauvre Dick avait dans le monde un ami sincère qui croyait à son innocence, comme je suis sûr de la mienne.

— Eh bien, M. Darley et moi, reprit M. Peters, nous réunîmes nos idées et nous arrivâmes à cette conclusion, que si ce jeune gentleman était fou quand il avait commis le meurtre, on ne pourrait le pendre, mais qu’on l’enfermerait dans un asile pour le reste de sa vie, ce qui peut ne pas être agréable en résumé, mais ce qui vaut mieux que d’être pendu, un beau matin.

— Ainsi vous résolûtes de prouver que j’étais fou ? dit Richard.

— Nous n’eûmes pas de trop mauvaises preuves pour y réussir, peut-être, mon vieil ami, répliqua Darley, cette fièvre cérébrale, que nous considérions comme un malheur, quand elle vous tint pendant trois mortelles semaines, nous fut d’une grande utilité, nous avions à nous appuyer dessus, car nous savions que nous ne pouvions vous sauver par aucun autre moyen : mais pour vous tirer de ce mauvais pas, nous avions besoin de votre participation, et nous ne pûmes arrêter le plan que lorsqu’il était trop tard pour aller vous trouver, et vous communiquer nos projets ; nous ne l’arrêtâmes qu’à minuit dans la nuit qui précéda votre procès. Nous essayâmes de voir votre avocat, mais il avait quitté la ville le matin de ce jour et ne devait être de retour qu’après le commencement de l’affaire. Peters rôda autour du Palais toute la matinée, mais il ne put le voir, et rien n’était fait quand le juge et le jury prirent leurs places. Vous savez le reste ; vous savez comment, par une heureuse chance, le juge vous comprit mal, comment Peters attira votre attention, comment, sous sa direction, vous plaidâtes coupable.

— Oui, ajouta Dick, et comment sept doubles lettres formées par ses doigts me dirent tout le plan et m’indiquèrent mon rôle ; ces lettres formaient ces trois mots : simulez la folie.

— Et vraiment vous vous conformâtes bien au rapide avertissement, Dick, dit Gus, sur ma parole, dans le moment je fus presque bouleversé, et je pensai qu’en supposant avoir imaginé ce mensonge, nous n’avions fait que rencontrer la vérité, et que notre pauvre ami avait réellement perdu la raison, à la suite de cette effroyable accusation.

— Un morceau de papier, dit M. Peters, sur ses doigts actifs, donnèrent le mot à votre avocat, un gaillard assez délié, quoique jeune.

— Je puis lui offrir maintenant une récompense digne de ses services, dit Richard, et je dois aller le trouver dans ce but. Mais Peters, pour l’amour du ciel, dites-nous ce que vous savez sur ce jeune homme, que vous soupçonnez être l’assassin. S’il me faut courir jusqu’aux confins du monde pour l’atteindre, je le trouverai, et le traînerai à la lumière lui et son infamie, afin que mon nom puisse être lavé de la tache honteuse dont il est souillé. »

M. Peters prit un air très-sérieux.

« Vous devez courir un peu plus loin qu’aux confins de ce monde pour le trouver, j’en ai peur, monsieur, dirent les doigts. À quoi vous servirait de le chercher à présent, car je puis vous dire la station d’où il s’est élancé la dernière fois que je le vis, et je crois que sur cette ligne, exception faite de temps en temps pour quelque fantôme de vieille femme, on ne donne pas de billets de retour.

— Mort ? dit Richard, mort et échappé à la justice ?

— C’est à peu près cela, monsieur, répliqua M. Peters. A-t-il pensé que quelque chose était découvert et qu’il était trahi, a-t-il été contrarié au delà de toute expression en ne trouvant aucun argent dans le secrétaire, je ne puis prendre sur moi de vous le dire ; mais je l’ai trouvé six mois après l’assassinat, sur la bruyère, mort, avec une fiole de laudanum gisant à côté de lui.

— Et découvrîtes-vous qui il était ? demanda Gus.

— C’était un sous-maître dans une institution de jeunes gens, et j’ai entendu dire que c’était un jeune homme rempli de piété ; ce qui n’empêche pas qu’il a assassiné l’oncle de ce jeune gentleman, ou mon nom n’est pas Peters.

— Hors de l’atteinte de la justice, dit Richard, alors la vérité ne pourra jamais être mise en lumière, et jusqu’à la fin de mes jours je suis condamné à porter le stigmate d’un crime dont je suis innocent. »