La goélette mystérieuse ou Les prouesses d’un policier de seize ans/19

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Anonyme
Bibliothèque à cinq cents (p. 100-102).

CHAPITRE XIX

« L’AMOUR NE VEUT PAS ATTENDRE »


M. Robert Halt avait-il subitement conquis les bonnes grâces de Mme Marsy ? Quelques mots dits à propos par Hélène, sur l’existence de Mme d’Hervart et sur l’identité présumée de M. Halt avec son fils perdu, avaient-ils chatouillé orgueilleusement le cœur de cette mère de famille, entichée d’aristocratie ? Toujours est-il qu’en recevant avec sa fille la visite de M. Halt, Mme Marsy se rappela, au bout de quelques minutes, une affaire qui l’obligeait à laisser les deux jeunes gens en tête à tête.

Ni l’un ni l’autre ne lui en voulut ; et bientôt ils furent engagés dans une conversation qui leur fit oublier tout le reste.

— Pensez-vous bien, disait Hélène, que cet affreux homme est venu chez moi, et qu’il a osé me parler d’amour ? Je ne puis songer, sans rougir, que j’ai été en relations avec un forçat.

— J’ose à peine songer, reprit M. Halt, en se rapprochant, que j’ai été à deux doigts d’en être un, moi-même.

— Oh ! dit-elle en se tournant vers lui, avec un regard candide, cela n’était pas du tout la même chose.

— En quoi était-ce si différent, si j’avais été condamné T demanda M. Halt dont les yeux s’arrêtèrent sur la jeune fille, avec une expression passionnée.

— Quelle idée ! fit Hélène. Je ne sais vraiment pas comment nous en sommes venus à une question aussi singulière. Voulez-vous me jouer quelque chose, pour faire diversion, M. Halt.

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous joue ?

— Tout ce qu’il vous plaira.

— Voulez-vous reprendre notre leçon interrompue : « L’amour attend » !

— Vous tenez donc bien à cette romance ? demanda Hélène en rougissant.

— Est-ce qu’elle vous déplaît ?

— Oh ! vous savez, dit-elle en riant, c’est à force d’en entendre parler. Mais je suis prête à l’essuyer tout de même, pour aujourd’hui.

M. Halt se mit au piano et commença à chanter.

On peint l’amour, un bandeau sur les yeux ;
L’amour aveugle ! Quel blasphème !
Me dit Sylvain, en regardant les cieux ;
J’y vois pourtant quand je vous aime !

Puis, il me dit d’une voix tendre,
L’amour est là, suivons ses pas,
Car l’amour ne veut pas attendre ;
Le temps perdu ne revient pas.

Les yeux du jeune homme étaient attachés sur ceux de Mlle Marsy, avec une expression qui disait éloquemment que chez lui du moins, l’amour n’était point aveugle.

Il se leva soudain, lui prenant la main et vint s’asseoir à côté d’elle, sur le canapé.

— « Non, l’amour ne veut plus attendre, » répétait-il, avec une voix qui eut pu remplacer la musique la plus délicieuse. Il s’est tu pendant que l’orage était sur nos têtes. Mais maintenant les beaux jours sont revenus. Voulez-vous, Hélène, que nous ne laissions subsister aucun nuage, entre nous ?

— Il n’y a jamais eu de nuage entre vous et moi, murmura-t-elle en lui abandonnant sa main.

— Hélène, chère Hélène, dites-moi, je vous en prie, que je n’aurai point espéré en vain !

— « Non, l’amour n’a plus besoin d’attendre, » dit-elle avec un charmant sourire, en se détournant à demi, pour dissimuler sa rougeur.

— Hélène, chère Hélène, dit M. Halt, en passant doucement son bras autour de la taille de la jeune fille, vous faites de moi, aujourd’hui, le plus heureux homme qu’il y ait sur la terre. Tournez vos jolis yeux de mon côté, je vous en prie. Il me manque un rayon de bonheur, quand je ne sens pas votre doux regard.

Elle tourna ses jolis yeux et rapprocha sa tête rougissante ; leurs mains se serrèrent ; et ce fut par un mouvement presque magnétique, que leurs lèvres se touchèrent et qu’ils se pressèrent l’un contre l’autre, dans un long baiser, cet innocent, ce premier baiser d’amour, dans lequel deux âmes se confondent, en un instant d’ivresse délicieuse, et oublient tout ce qui n’est pas elles.