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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/03/01

La bibliothèque libre.
E. Arrault et cie (1p. 97-122).


CHAPITRE III

INSTRUCTION DU CORRECTEUR
RECRUTEMENT ET APPRENTISSAGE



§ 1. — INSTRUCTION


I. — Considérations générales.


Spencer affirme que « le bouquin se prise par la forme, que le fonds n’y fait rien ».

Sans doute, il n’entrait point dans la pensée du philosophe anglais d’affirmer ainsi qu’il se souciait peu de la valeur des œuvres littéraires de ses contemporains. Tout au plus prétendait-il, par cette boutade ironiste, souligner la tendance regrettable de certains amateurs de livres, ou critiquer finement l’importance un peu exagérée, trop souvent hors de proportions avec le sujet, donnée par maints éditeurs à la forme de nombre d’ouvrages. Pour nous, Spencer était certes de ceux qui estiment que « la forme doit répondre à la grandeur du sujet et se confondre avec elle dans une magnifique unité ».

Il importe en effet d’affirmer que la perfection réclamée dans l’impression d’un livre ne doit pas être celle dont on se contente trop communément, perfection qui ne va pas au delà tantôt de la beauté d’un spécimen de caractères, tantôt du haut prix d’achat d’un luxueux papier, ou encore des ors brillants frappés dans les cuirs fauves, et aussi des chromos plutôt moins artistiques qui cachent aux yeux hypnotisés du lecteur la médiocrité du contenu.

Pour être réellement parfait, un livre doit réunir, aussi bien dans le fonds que dans la forme, les qualités qui résultent de toutes les difficultés surmontées, au cours de sa confection, dans la composition, dans la correction, dans l’impression, dans le choix du papier, dans la reliure, etc.

Les qualités littéraires d’un ouvrage sont au-dessus des considérations exposées ici : elles se déduisent d’autres lois ; elles sont du ressort propre de l’écrivain, en dehors du domaine de l’imprimeur. Toutefois, à ces qualités qui parmi beaucoup d’autres doivent tenir la première place, l’imprimeur est tenu d’apporter un appoint ; le soin qu’il prend de parfaire ce dernier, dans les limites qui lui sont imparties, est le vernis superficiel qui donne au travail toute sa valeur et en fait, au point de vue du texte, une œuvre irréprochable.

La correction — cet appoint qui donne au texte le « vernis superficiel » — est ainsi l’une des qualités techniques les plus importantes à exiger d’un livre.

Tel était autrefois le sentiment de nos illustres prédécesseurs dans la typographie, sentiment que Crapelet résumait si heureusement dans une phrase célèbre : « La correction, la plus belle parure des livres. »

Telle était aussi l’opinion de M. Bernier, président de la Société des Correcteurs parisiens, lorsqu’il écrivait, en juillet-août 1867, dans le journal l’Imprimerie : « Quand le véritable amateur, quand le bibliophile consciencieux, quand cette partie même du public qu’on est convenu d’appeler le public éclairé, achète un livre, quelle est sa plus grande, son unique préoccupation, devrais-je dire ? Le savant et le lettré s’occupent-ils donc tant de la teinte plus ou moins foncée de l’encre, de l’uniformité plus ou moins réelle du tirage ? Tiennent-ils donc si grand compte de la couleur, de l’épaisseur, de la fermeté du papier ? Non : ce qu’ils veulent, ce qu’ils recherchent, ce qu’ils trouvent, hélas ! trop rarement, par ce temps de marasme de la correction, c’est un livre bien fait, composé avec goût et méthode, selon les règles de l’art, et surtout exempt de ces fautes de toute nature qui pullulent même — qui pullulent surtout — dans les livres sortis de nos imprimeries les plus importantes ; en un mot, un livre comme on n’en voit plus… guère. »

En août 1879, ce même journal l’Imprimerie disait encore sous la signature de Ch. Verneuil : « Une bonne correction ajoute au mérite d’un livre, et la valeur que celui-ci tire de la pureté de son texte ne saurait lui être contestée », rappelant presque mot pour mot cette phrase de Fournier : « La correction constitue au plus haut point, et dans le sens le plus sérieux, le mérite d’un livre. Ses autres qualités peuvent être soumises à la diversité des goûts et des appréciations, mais la valeur qu’il tire de la pureté de son texte ne saurait lui être contestée, puisqu’elle repose sur des principes universellement admis. »


II. — Instruction du correcteur aux temps passés.


Le rôle du correcteur est donc, et a toujours été, dans l’imprimerie d’une importance capitale. Aussi, pour remplir ce rôle, durant plusieurs siècles on exigea du correcteur le fonds d’instruction d’un véritable savant et la connaissance au moins théorique, sinon pratique, de la typographie. « Cette assertion dont personne ne peut contester la véracité est justifiée par les exemples du passé. À l’origine de l’imprimerie tous ceux qui se livraient au travail de la correction étaient des savants de premier ordre : les labeurs se bornant presque exclusivement à la reproduction des prosateurs, des poètes et des historiens grecs et latins, des écrivains religieux et des livres saints surtout, les correcteurs, les compositeurs eux-mêmes étaient pour la plupart des gradués de l’Université, des maîtres ès arts ; il en était ainsi, bien entendu, du maître imprimeur qui cherchait, lui aussi, dans l’exercice de sa profession, bien plus l’occasion incessante de satisfaire son goût pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité et sa curiosité littéraire que le moyen d’édifier une grande fortune[1]. »

Un siècle après la découverte de l’imprimerie, la situation typographique au point de vue de la correction n’a pas varié, tout au contraire ; et elle ne se modifiera guère au cours des âges suivants. Nous ne saurions donner de preuves plus évidentes de ce fait que celles dont la vie de Théodore Zwinger et de Nicolas Edoard nous offre l’exemple :

« Riche de science, d’idées et d’espoirs, mais fort pauvre d’argent, Zwinger quittait Bâle en 1548 et venait à Lyon, alors un centre remarquable de productions typographiques, offrir ses services à Godefroy Beringen[2]. »

Nicolas Edoard, un Champenois, qui fut auteur et surtout prélecteur d’imprimerie chez Thibaud Payen, devint imprimeur et aussi libraire à Lyon dès 1554 ; il était fort instruit et aimait à faire parade de son érudition en émaillant de citations grecques ou latines les épîtres et poésies qu’il adressait aux auteurs dont il imprimait ou revisait les œuvres. En 1551, il corrigeait pour les héritiers de Jacques Junte le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand et le faisait précéder d’une longue épître latine adressée à son frère Nicolas Edoard, curé de Marcilly-sur-Seine. De cette curieuse épître, qui se retrouve dans les éditions du Rationale de 1559 et de 1565, faites pour les mêmes libraires, nous détachons le passage suivant : Nicolas Edoard, auquel le malheur des temps n’a pas permis de continuer ses études, n’a trouvé « aucune occasion meilleure de satisfaire son goût pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité et sa curiosité littéraire » que d’entrer dans la typographie : Itaque, dilectissime frater, cum post sex plus minus annos, funesta temporum injuria, Campania bello flagrante, e medio studiorum meorum cursu revocatus, Lugdunum divertissem, pene hospes, mearum partium esse putavi, de ingenii mei cultu vehementius laborare, ne ejus acies torpore et situ obducta, langueret vel extingueretur. Ad quod meum institutum non tam quæsita, quam nata visa est mihi occasio in Typographica militia : cujus saxum gravissimum volvere (ut Sisyphus ille apud Inferos) et laboris est multi et diligentiæ industriæ que non vulgaris. Quod quidem munus cum post tot annos sedulo pro ingenii mei facultate obiissem, judicavi non alienum esse a mea in te observantia, ut aliquid stylo, licet rudi et ineleganti, exigerem, quod tibi fore gratissimum meritoque devovendum videretur : cum, ut me ab illa gravissima inscitiæ vel ignaviæ injuria vindicarem : tum vero, ut immortalem tuæ virtutis, et multorum atque adeo summorum in me tuorum officiorum memoriam posteritati relinquerem[3].

Les connaissances du correcteur, son désir de s’instruire encore et toujours plus n’étaient pas un vain mot, une formule platonique : le travail journalier lui en faisait un devoir ; les règlements, une obligation : si fréquemment le Pouvoir crut devoir fermer les yeux sur ces nombreuses infractions auxquelles le cours des événements obligea parfois, il sut cependant, lorsque le mal lui sembla dépasser les limites, rappeler sévèrement les intéressés au respect de prescriptions qui constituaient la sauvegarde de la réputation de la corporation.

Songeant au public, à l’acheteur de livres, l’Université avait, on s’en souvient, réglementé, dès la fin du xiie siècle, le commerce des livres ; ces règles fort sévères furent reproduites par le règlement du 8 décembre 1275. Les copistes et les libraires — suppôts, c’est-à-dire subordonnés de l’Université — devaient se conformer rigoureusement à ces prescriptions sous peine de « perdre le droit d’exercer librement la profession à laquelle ils avaient été admis dans l’intérêt des études, en sorte qu’aucun maître ou écolier n’ait plus le moindre commerce avec de tels libraires ».

Dès l’apparition de l’imprimerie, l’autorité — c’est-à-dire le Pouvoir royal — par des édits, par des ordonnances, par des lettres patentes, ou par des arrêts fit sienne cette réglementation[4] et la renforça plus ou moins heureusement ; plus tard, reprenant à l’égard de l’imprimerie le procédé qu’elle avait déjà employé pour d’autres corporations, elle prescrivit une série de règles qui devaient contribuer à ne mettre au jour que des produits sinon irréprochables, du moins aussi parfaits que possible[5].

Ainsi furent, tout d’abord, confirmées, même au temps où l’imprimerie est encore reconnue « libre », les règles édictées à l’époque des manuscrits pour la correction des ouvrages. Sous sa responsabilité l’imprimeur est tenu de ne livrer à la vente que des livres corrects ; s’il se reconnaît incapable de satisfaire à cette obligation, il doit s’entourer d’individus plus savants et plus compétents que lui, ainsi que François Ier l’ordonne par l’article 16 de l’édit du 31 août 1539 : « Se les maistres imprimeurs des livres en latin ne sont savans ne suffisans pour corriger les livres qu’ils imprimeront, seront tenuz avoir correcteurs suffisans, sur peine d’amende arbitraire[6]… » Cette prescription fut souvent rappelée aux intéressés : par la déclaration du 27 juin 1551, par les articles 12 et 23 de l’édit de 1571, par la déclaration de 1572, puis aussi par l’article 12 du règlement du 20 novembre 1610, par l’article 36 du règlement de 1649 et par un arrêt du Conseil en date du 27 février 1665 ; enfin, l’article 56 du règlement de 1723 décidait encore : « Les imprimeurs qui ne pourront eux-mêmes vacquer à la correction de leurs ouvrages se serviront de correcteurs capables… »

« Correcteurs suffisants », dit l’édit de 1539 ; « correcteurs capables », ordonne le règlement de 1723 : quelles connaissances techniques, littéraires et scientifiques le correcteur devait-il posséder pour être jugé « suffisant » ; quel critérium un maître imprimeur avait-il pour reconnaître et apprécier les « capacités » de son correcteur ? Les textes sont muets à cet égard ; mais il est aisé, à l’aide de faits certains — degré d’instruction exigé de l’apprenti typographe, conditions auxquelles le compagnon doit satisfaire pour accéder à la maîtrise — d’obtenir sur ce sujet une approximation aussi précise qu’on peut le désirer.


A. — Instruction exigée de l’apprenti typographe aux temps anciens


Rappelons, tout d’abord, que l’exercice de la profession d’imprimeur fut, pendant un siècle, de 1470 à 1571, entièrement libre[7] ; les formalités, obligatoires dans les autres corporations, de l’apprentissage, du compagnonnage, du chef-d’œuvre n’étaient pas encore réglementées dans la typographie : « s’établissait maître qui voulait ». L’apprenti n’avait dès lors, au moment de son entrée chez le patron, à satisfaire à aucune prescription légale particulière. Il est évident, toutefois, que, pour s’assimiler, pour acquérir suffisamment une technique d’essence aussi particulière que l’est celle de notre métier, chaque débutant devait se soumettre pendant quelque temps à une éducation préparatoire à l’exercice de la typographie. Mais le stage n’avait d’obligation que cette nécessité même et la volonté du candidat ; l’accord réciproque du maître et du futur apprenti en déterminait seul la durée, sans doute proportionnée à l’instruction littéraire que l’élève possédait et à l’intelligence dont il était doué et dont il faisait preuve. Aux premiers temps, cet accord était peut-être verbal ; un quart de siècle après l’apparition de l’imprimerie à Paris, il était devenu notarié[8], suivant l’usage adopté par tous les autres corps de métiers.

Ainsi en cette matière, comme en beaucoup d’autres dans l’imprimerie, l’initiative privée devança la réglementation royale : l’apprentissage était, en fait, devenu obligatoire depuis longtemps lorsque François Ier, par sa déclaration du 21 décembre 1541, en imposa la nécessité, affirmée à nouveau par l’édit de Gaillon du 9 mai 1571. Toutefois, le roi n’exige encore du futur apprenti aucune condition spéciale, au point de vue de l’âge, non plus que des connaissances nécessaires[9]. Ce ne fut guère que sous la pression des événements et pour donner satisfaction à des « remontrances » fort vives et justifiées de la part des compagnons que, le 10 septembre 1572, Charles IX, dans sa déclaration, ordonna : « Et quant au dix-neuvième article, nul apprenti compositeur ne sera reçu à son apprentissage qu’il ne sache lire et écrire… »

On conviendra aisément que l’obligation imposée à un apprenti compositeur de « savoir lire et écrire » était en quelque sorte une prescription dont, employant une expression moderne, M. de la Palisse n’eût point renié la paternité. Mais, précisément en raison de sa nécessité évidente — peut-être aussi pour des motifs impérieux que nous ne pouvons aujourd’hui connaître, mais qui ne permettaient pas alors au Pouvoir royal d’exiger plus — cette obligation est confirmée par Louis XIII, dans l’article 10 du règlement du 20 novembre 1610 et dans les articles 2 et 3 des lettres patentes du 1er juin 1618.

Grâce aux réclamations pressantes des compagnons, ces connaissances furent cependant enfin jugées insuffisantes. L’article 5 du règlement de 1649 ordonna : « Enjoignons, à l’avenir, aux imprimeurs et libraires de prendre seulement un apprenti de bonnes vie et mœurs, catholique, originaire Français, capable de servir le public, congru en la langue latine et qui sache lire le grec, dont il aura certificat du recteur de l’Université, à peine de 300 livres et de nullité du brevet. » L’arrêt du Parlement du 12 juillet 1659, l’édit d’août 1686 dans son article 21 rappellent la même prescription que l’article 20 du règlement du 28 février 1723 répète ainsi : « Aucun ne pourra être admis à faire apprentissage pour parvenir à la maîtrise de librairie et d’imprimerie, s’il n’est congru en langue latine et s’il ne sait lire le grec dont il sera tenu de rapporter le certificat du recteur de l’Université… » L’article 3 de l’arrêt du Conseil du 10 décembre 1725, l’article 21 du règlement de 1744 maintinrent ces conditions qui restèrent en vigueur jusqu’à la Révolution.

L’apprenti compositeur obligé à une instruction certes fort étendue ne pouvait, semble-t-il, commencer l’étude du métier avant dix-huit ans. En fait, l’âge moyen d’entrée dans la typographie relevé d’après les contrats d’apprentissage qui nous ont été conservés est compris entre dix-huit et vingt-cinq ans. Quelques-uns de ces contrats donnent, toutefois, un âge inférieur ; sur nombre d’autres, par contre, l’âge est bien plus élevé ; mais ces cas paraissent exceptionnels, et on peut en attribuer la raison aux fonctions ou à la situation des apprentis, parmi lesquels se trouvent des conseillers d’État, des prieurs, des greffiers, des notaires garde-notes, des chanoines, des bourgeois de Paris : la typographie avait depuis longtemps le mérite d’attirer sous ses lois l’élite intellectuelle de la nation. Dans un Mémoire de Remontrances adressé au roi le 17 juin 1572, les compagnons citaient ce fait comme une preuve incontestable de la haute réputation dans laquelle notre art fut tenu dès son apparition en France : « … Jadis il n’y avait presque sinon que gens doctes ès langues et ès sciences, et entre iceux on y remarquoit plusieurs gentilzhommes qui s’appliquoient à cest estat… »

Lorsque le temps fixé pour la durée de l’apprentissage était écoulé — cette durée fut assez variable : de trois à cinq, six et sept ans — « le maître mentionnait sur le contrat, en présence de témoins, que le titulaire avait fini son engagement », et l’apprenti devenait compagnon sans autre formalité[10].


B. — Conditions imposées pour l’accession à la maîtrise aux temps anciens


Les obligations imparties à l’apprenti entré dans la profession avec le dessein de devenir maître différaient de celles imposées à l’apprenti qui devait rester compagnon.

Nous avons déjà dit que de 1470, date de l’introduction de l’imprimerie à Paris, à 1571, l’exercice de l’imprimerie fut entièrement libre : « s’établissait maître qui voulait et qui en avait les… moyens ». François Ier le déclarait très nettement le 19 novembre 1542 : « Ce n’est point métier que l’imprimerie, et n’y fait-on point chef-d’œuvre, mais est maître qui veut. » Mais, en 1571, le « Père des lettres » n’est plus de ce monde, et ses idées ne lui ont point survécu. Dans l’édit de Gaillon, Charles IX apporte une première restriction au principe de liberté qui jusque-là avait, à l’encontre des autres métiers, constitué la charte de l’imprimerie : « Aulcun ne pourra dresser imprimerie nouvelle, ne faire estat de maistre imprimeur sinon qu’il ait faict apprentissage en la forme dessus dicte[11], ou qu’il ne soit certifié capable de bien faire ledict estat, et ce par la certification de deux libraires jurez et de deux maistres imprimeurs, tous chefs de maison et de bonne réputation : qui se fera sans exaction d’aulcun salaire ou loyer[12]. »

Cette disposition était le premier acte d’une série de mesures plus importantes qui devaient aboutir à la constitution définitive en 1618 de la Communauté des Maîtres du Livre ; elle ne comportait qu’une formalité dont ne pouvait s’émouvoir nul candidat. Les compagnons imprimeurs protestèrent contre cette prescription qu’ils trouvaient trop libérale ; mais la déclaration de 1572 maintint les termes de l’article 20 de l’édit de Gaillon. Des abus nombreux ne tardèrent pas à se produire : compagnons tenant atelier sans autorisation, certificats accordés par complaisance, etc. On vit même, affirment MM. Radiguer et Mellottée, s’établir imprimeurs des libraires « ne sachant ni lire ni écrire ». Sous le coup des plaintes qui s’élèvent alors, le Parlement intervient, et, le 27 mai 1577, rend un arrêt défendant de « tenir boutique » à tous ceux n’ayant pas fait régulièrement un apprentissage.

Au cours des années suivantes, on ne rencontre dans la législation en vigueur que des modifications de détail : alors que l’édit de Gaillon exige que l’aspirant à la maîtrise soit déclaré « capable… par la certification de deux libraires jurez et de deux maistres imprimeurs », une sentence du 12 octobre 1586, les lettres patentes du 15 juillet 1609 ne parlent plus que de la « certification d’un maître » ; un arrêt du Parlement de mai 1615 exige l’attestation de deux libraires, deux imprimeurs, deux relieurs.

En 1618, le roi érige en communauté de métier la Corporation des libraires, imprimeurs et relieurs ; l’accession à la maîtrise est l’objet d’une réglementation nouvelle. L’article 2 du règlement s’exprime ainsi : « Sera défendu à tous libraires, imprimeurs et relieurs de livres de tenir imprimerie, boutique de librairie et reliure de livres en notre ville de Paris, qu’ils n’aient fait apprentissage[13] en icelle, à savoir pour les imprimeurs par le temps et espace de quatre années et pour le regard desdits libraires et relieurs par le temps et espace de cinq années entières et consécutives, s’ils ne sont enfants ou veuves de libraires, imprimeurs ou relieurs, ainsi qu’il sera dict cy-après. »

La Communauté ne devait admettre, chaque année, à la maîtrise qu’un seul aspirant par catégorie : un imprimeur, un libraire, un relieur, « lesquels seront tenus eux présenter un an auparavant leur réception, afin d’être immatriculés sur le registre de ladite Communauté » (art. 16).

L’article 40 du règlement de 1686, rappelant un arrêt du Parlement de 1609, prescrivait : « Aucun ne pourra à l’avenir tenir imprimerie ou boutique de libraire à Paris, en conséquence d’aucunes lettres de maîtrise ou d’aucun privilège tel qu’il puisse être, ni être reçu maître, qu’il n’ait fait apprentissage pendant le temps et espace de quatre années entières et consécutives et servi les maîtres en qualité de compagnon au moins durant trois années après le temps de son apprentissage achevé ; qu’il n’ait au moins vingt ans accomplis, qu’il ne soit congru en langue latine et sache lire le grec dont il sera tenu de rapporter certificat du recteur de l’Université avant de se présenter pour être admis à la maîtrise de laquelle tous étrangers seront exclus, si pour des causes et raisons importantes il n’en est par nous autrement ordonné.

« Les compagnons qui se trouveront avoir les conditions requises seront reçus par les syndic et adjoints de la Communauté après qu’il leur sera apparu de leurs bonnes vie et mœurs, profession de la religion catholique, et après qu’ils auront été certifiés capables d’exercer la profession de maître imprimeur ou libraire par deux autres maîtres de ladite Communauté, après quoi lesdits nouveaux maîtres ainsi admis seront tenus de prêter serment par-devant le lieutenant général de police, ce qui sera fait sans aucuns frais à condition néanmoins par l’aspirant à la maîtrise de mettre ès mains du syndic la somme de 300 livres pour être employée entièrement aux affaires de ladite Communauté et dont le syndic sera tenu de se charger dans son compte.

« Art. 41. — Les fils de maîtres qui auront les qualités requises seront reçus à leur première requête, en mettant ès mains du syndic la somme de 100 livres seulement pour les frais de la Communauté. »

Le règlement du 28 février 1723 aggrava ces prescriptions, en donnant une sanction à l’apprentissage et aux années de compagnonnage. « Comme il est important, dit l’article 44, que ceux qui exercent lesdites professions d’imprimeurs et de libraires soient pourvus d’une capacité et d’une expérience suffisante, veut Sa Majesté que les fils et gendres de maîtres ainsi que les apprentis… soient tenus de subir, savoir : ceux qui aspireront à être reçus libraires, un examen sur le fait de la librairie, et ceux qui aspireront à être reçus imprimeurs après ledit examen sur le fait de la librairie, une épreuve de leur capacité au fait de l’imprimerie et choses en dépendantes ; ce qu’ils seront tenus de faire par-devant les syndic et adjoints en charge accompagnés de quatre anciens officiers de leur Communauté… et quatre autres libraires qui n’auront pas passé les charges, mais qui auront au moins dix ans de réception… »

L’arrêt du Conseil du 30 août 1777 — le dernier acte qui devait, sous l’ancien régime, « régler les formalités à observer pour la réception des libraires et imprimeurs » — ne fit que confirmer les prescriptions du règlement de 1723. — L’aspirant tirait au sort les noms des huit examinateurs (art. 2), qui devaient « procéder tous ensemble auxdits examens », lesquels devaient durer « chacun au moins deux heures » ; le candidat n’était déclaré reçu que s’il avait obtenu « les deux tiers des voix en sa faveur » (art. 4) ; l’examen roulait « sur la manutention générale de l’imprimerie » ; et il n’y avait « point d’articles communiqués » (art. 7), à la différence de ce qui se passait pour « l’examen sur le fait de la librairie » en vue duquel « les articles, préalablement choisis par les syndic et adjoints, après avoir été communiqués au récipiendaire, étaient fermés dans une boîte jusqu’au jour de l’examen » (art. 5) ; les libraires étaient tenus d’un seul examen ; les imprimeurs, d’un examen sur le fait de la librairie et d’un examen sur le fait de l’imprimerie (art. 2).

D’après un procès-verbal en date du 10 décembre 1659, rapporté par M. Morin[14], M. Mellottée[15] donne une courte explication de ce que pouvait être l’examen d’imprimerie : « Il consistait généralement en une interrogation sur les ouvrages spéciaux à la typographie, l’indication des divers outils et du matériel qu’on y emploie avec la façon de s’en servir, les différents formats de papier, etc. : c’était la partie théorique. Pour justifier de la science pratique, l’épreuve comportait la composition, la correction et la distribution d’une page, en présence des syndic, adjoints et suppôts, différentes impositions et autres opérations du métier. » — L’aspirant avait à se pourvoir directement auprès du recteur de l’Université du certificat qui constatait ses connaissances littéraires en latin et en grec.


C. — Conclusion


Apprentis et compagnons typographes avaient, au cours du xve et du xvie siècle, joui d’une liberté d’abord absolue, puis relative, au point de vue de l’instruction qu’ils devaient posséder lors de leur entrée dans la corporation ; au xviie et particulièrement au xviiie siècle, ils furent astreints sous ce rapport à une réglementation assez rigoureuse. — À cette dernière époque, soumis à un examen dont nous avons analysé sommairement les conditions, les maîtres durent faire la preuve des capacités techniques qu’ils avaient acquises pendant l’apprentissage et fortifiées durant le stage de compagnonnage auquel ils étaient obligés. Il y eut de nombreux privilégiés, le fait est certain, qui surent se soustraire, soit par des faveurs particulières, soit de toute autre manière, aux prescriptions du Pouvoir[16] ; pouvait-il en être autrement sous le régime du « bon plaisir », alors qu’en notre siècle d’égalité et de fraternité le favoritisme, grâce aux excès de maintes libertés, sévit avec peut-être non moins d’intensité ? Toutefois, à la lumière des faits que nous venons d’exposer on reconnaîtra volontiers, pensons-nous, que maîtres et compagnons possédaient à un haut degré les qualités précieuses de l’érudit et du typographe.

Pas n’est besoin dès lors d’une plus longue dissertation pour fournir la preuve incontestable que le correcteur devait être et était, lui aussi, aux temps dont nous avons parlé, érudit et typographe.

Érudit, le correcteur l’était avec ce « Nicolas Dixmont, maître correcteur d’imprimerie qui, le 4 novembre 1585, assiste et signe, nous dit M. Renouard[17], au contrat de mariage de Raoullin Thierry, maître imprimeur rue Saint-Jacques, au Soleil d’Or » ; il l’était aussi avec ce « Jacques David, prêtre, correcteur d’imprimerie, qui, le 20 juin 1564, dicte un testament dont son frère, maître imprimeur, est l’un des exécuteurs testamentaires » ; il l’était encore avec ce Me Mamer Patisson, « correcteur d’imprimerie, dont le contrat de mariage avec Denyse Barbé, veuve de Robert II Estienne, est passé le 20 janvier 1574 » ; il l’était avec toute cette lignée de correcteurs parisiens, lyonnais, champenois ou autres, dont nous avons donné ou dont nous donnerons ultérieurement une courte biographie ; il l’était enfin avec « ces conseillers d’État, ces prieurs, ces greffiers, ces chanoines, ces notaires garde-notes » dont les archives de l’ancienne Communauté des Maîtres du Livre nous ont transmis et les noms et les contrats d’apprentissage, ainsi qu’avec ces gentilshommes dont parlent les compagnons dans leur Mémoire de Remontrances de 1572 ; il devait l’être, puisque le maître, érudit lui aussi, était tenu d’avoir, pour le suppléer aux soins de la correction, « correcteur suffisant ».

Typographe, le correcteur le devenait au cours d’un apprentissage, que nous voulons croire effectif, de trois à quatre années, peut-être moins, et surtout par un stage de compagnonnage de quelque durée. Ils étaient bien typographes ces correcteurs que l’histoire nous dit être devenus — tels Josse Bade — maîtres imprimeurs soit à Paris, soit à Lyon ; il était bien typographe, ce Kiliaan[18], qui fut un moment prote chez Plantin à Anvers ; il était typographe ce clerc nommé André Saulnier qui, le 8 juin 1548, s’affermait « au faict et art de la composition et correction de l’imprimerie[19] » chez Macé Bonhomme, imprimeur à Lyon de 1535 à 1540 et (après un séjour à Vienne, en 1541-1542) de 1542 à 1569.

Est-il nécessaire d’illustrer d’un exemple nouveau cette longue dissertation ? La démonstration sera plus complète : « Arias Montanus dirigea, à l’imprimerie Plantin d’Anvers, tout le travail de la Bible polyglotte. Il nous renseigne dans la préface de cet ouvrage et dans sa correspondance sur les collaborateurs qui l’assistèrent dans sa lourde tâche et sur la part que chacun prit à l’œuvre commune : « Nous avons encore cinq correcteurs qui m’aident, écrit-il le 6 avril 1569 ; deux d’entre eux connaissent toutes les langues, trois entendent le grec et le latin ; il y a, en outre, moi-même et mon aide avec lequel je revois les textes dans toutes les langues. » Par son aide principal il faut entendre François de Raphelengien[20], le gendre de Plantin ; par les deux savants qui connaissent toutes les langues, les frères Guy et Nicolas Le Fevre de La Boderie ; et par les trois autres, les correcteurs ordinaires de l’imprimerie qui étaient en ce moment Corneille Kiel[21], Théodore Kemp et Antoine Spitaels[22]. »

Sans dire qu’il « connaissait toutes les langues », on peut affirmer qu’il « entendait au moins, lui aussi, le grec et le latin », ce « Guillaume Guéroult[23], natif de Rouan en Normandie, poëte françois », qualifié de traducteur : alors qu’il était « prélecteur d’imprimerie » en la bonne ville de Lyon, il épousa Jaquette Barbou, fille de Jean Barbou[24] et sœur de Hugues Barbou[25], l’auteur de la dynastie typographique dont s’illustra longtemps l’antique cité capitale du Limousin[26].

Au surplus, au pays de Kiliaan, de Raphelengien et de Juste Lipse, l’accès aux fonctions de correcteur n’était point exempt de quelque formalité : « Aux Pays-Bas, les commissaires députés à l’inspection des imprimeries étaient tenus de s’assurer de la capacité des correcteurs, d’inscrire leurs noms, le lieu et la date de leur naissance, le nom de leurs parents et leur manière de vivre. Ils examinaient les récipiendaires sur les langues dans lesquelles ceux-ci voulaient corriger[27]. »

Nous n’avons vu nulle part qu’en France les « officiers » de la Communauté des Libraires et Imprimeurs aient été chargés de s’assurer, au cours des visites qu’ils devaient effectuer dans les imprimeries, des capacités techniques ou littéraires des correcteurs qui y étaient employés. Mais nous croyons pouvoir affirmer que les compagnons typographes dont le tempérament frondeur était redouté, et dont l’indiscipline donna maintes fois sujet d’inquiétude au Pouvoir royal, n’auraient point supporté la présence à leurs côtés d’un correcteur insuffisant ou même médiocre ; dans les circonstances où la besogne de la correction incombait au prote, ces mêmes compagnons n’auraient pas accepté les ordres d’un confrère de connaissances inférieures aux leurs, eux qui se rebellaient si volontiers contre l’autorité des maîtres, lorsque cette autorité leur semblait outrepasser les usages anciens ou empiéter sur leurs prérogatives.

Brullé, ce prote de l’imprimerie Le Breton qui fut le collaborateur de l’Encyclopédie, jugeait certes également qu’aucun correcteur ne saurait être inférieur à ses compagnons de travail, lorsqu’il écrivait : « Pour ce qui regarde la composition, le prote[28] doit savoir sa langue et être instruit dans les langues latine et grecque ; posséder à fond l’orthographe et la ponctuation ; connaître et savoir exécuter la partie du compositeur pour lui indiquer en quoi il a manqué et le moyen le plus convenable pour réparer ses fautes… Pour la lecture des épreuves, comme c’est sur lui que tombe le reproche des fautes qui peuvent se glisser dans une édition, il faudrait qu’il connût autant qu’il est possible les termes usités et savoir à quelle science, à quel art, et à quelle matière ils appartiennent. Il y a de l’injustice à lui imputer les irrégularités, quelquefois même certaines fautes d’orthographe ; chaque auteur s’en faisant une à son goût, il est obligé d’exécuter ce qui lui est prescrit à cet égard. En un mot, on exige d’un prote qu’il joigne les connaissances d’un grammairien à l’intelligence nécessaire pour toutes les parties du manuel de son talent. »

Moins explicite peut-être, mais non moins affirmatif, Momoro estimait, lui aussi, que le correcteur doit être érudit et typographe : « Un correcteur ne doit s’occuper que de la lecture des épreuves, et si son temps le lui permet, il peut s’occuper dans l’imprimerie, s’il le veut, à composer, corriger, aider la conscience ; mais s’il le fait, il en est le maître, on ne peut l’y forcer, parce que le talent qu’il a de lire les épreuves est un talent si rare parmi les imprimeurs, qu’il mérite beaucoup d’égards, et qu’un correcteur n’est pas censé un ouvrier ; car on peut être bon correcteur, sans être seulement imprimeur, puisqu’il ne faut que posséder parfaitement sa langue latine et sa langue françoise, et avoir une notion suffisante de l’imprimerie pour pouvoir être correcteur. »

À la même époque, M. François-Ambroise Didot dit l’Aîné (1730-1804) donnait du « véritable imprimeur » — nous pourrions écrire du « véritable correcteur », tant la similitude d’idées est complète avec les lignes écrites par Brullé — la définition suivante : « Un bon imprimeur doit faire la nuance entre l’homme de lettres et l’artisan. Il n’est pas nécessaire qu’il soit homme de lettres, il s’occuperait trop exclusivement de quelques parties qui auraient plus d’attraits pour lui ou qu’il aurait plus étudiées : mais il faut qu’il ait sur presque toutes les sciences des notions générales, afin que les diverses matières contenues dans les ouvrages dont on lui confie l’exécution ne lui soient pas tout à fait étrangères. Il lui importe surtout d’être bon grammairien, et il serait à désirer qu’à la connaissance de la langue latine exigée par les règlements, il joignît celle du grec et de deux ou trois langues vivantes les plus répandues… Enfin il doit être exercé dans les fonctions manuelles des ouvriers afin de les diriger dans leurs travaux et de leur indiquer les méthodes les plus promptes et les plus sûres. »

François-Ambroise Didot parlant du maître imprimeur, Momoro analysant la tâche du correcteur, Brullé indiquant les connaissances exigées du prote, tracent à leurs modèles un programme analogue, les astreignent aux mêmes obligations. Ainsi, avant la Révolution, l’instruction technique et littéraire exigée du patron par les règlements était indispensable au correcteur. Cette instruction était fort étendue, on le voit ; mais ni Didot, ni Brullé, ni Momoro, encore moins sans doute Dominique Fertel que nous avons eu le regret de ne pouvoir consulter, ne songent à s’étonner de l’étendue aussi considérable fixée au savoir de ces travailleurs : préparés par les siècles précédents aux exigences de la profession, ils justifient la nécessité de cette instruction, et parfois même ils en étendent les limites.


III. — Instruction exigée du correcteur
à l’époque actuelle
.recteur


De nos jours, édits du roi, ordonnances, arrêts rendus en Conseil d’État, règlements de l’Université ou du Conseil des Censeurs sont lettre morte. L’imprimerie et la librairie sont libres, et libre aussi pour l’ignare comme pour le savant l’accès à ces professions ; des clés nouvelles donnent entrée à une carrière où les maîtres d’autrefois cherchaient surtout honneur et profit pour les lettres. D’ailleurs, l’imprimerie a pris une telle extension « que l’on s’est vu dans la nécessité de recruter, pour le travail de la correction, soit des typographes, soit des lettrés de plus ou moins grande envergure[29] ».

Cependant l’empreinte des âges précédents est restée si vive, la marque du passé est encore si persistante et, il faut l’avouer, les nécessités de la profession si pressantes, que la tradition s’est conservée presque entière. À l’exemple de François-Ambroise Didot, de Momoro et de Brullé, tous les bons esprits, tous les auteurs techniques exigent du correcteur la double qualité d’érudit et de typographe.

Donnons quelques exemples.

Dans son Manuel typographique[30], Frey disait : « Un correcteur doté des qualités rares et précieuses qui constituent son aptitude typographique est déjà par cela seul un homme distingué[31]. »

De cette phrase qu’il rapporte dans le Guide pratique du Compositeur et de l’Imprimeur typographe[32], Théotiste Lefevre donne le commentaire suivant : « Le prote doit mettre tous ses soins à se procurer des correcteurs qui joignent à l’érudition convenable les connaissances au moins théoriques des règles de la typographie… » « La personne qui est chargée de la lecture des épreuves et que nous supposerons connaître au moins théoriquement la composition dans tous ses détails… »

H. Fournier, un des élèves de l’illustre Firmin-Didot, écrivait de son côté, peut-être dès la première édition de son Traité de la Typographie : « Le correcteur doit posséder la connaissance imperturbable des principes de sa langue, celle de la langue latine et au moins quelques éléments de la langue grecque. Ce fonds d’instruction lui est rigoureusement nécessaire, et la plus longue expérience ne pourrait y suppléer que très imparfaitement. S’il sait, en outre, quelques idiomes étrangers, s’il s’est livré à l’étude de quelque science d’un usage habituel, telle que celle du droit ou des mathématiques, il en recueillera le fruit… Parmi les personnes chargées de l’emploi de correcteur, il en est qui sont dépourvues des notions élémentaires de la typographie… Quelque riche que soit, d’ailleurs, la culture de leur esprit, quelque habitude qu’elles acquièrent du travail de la correction, ces qualités remplaceront difficilement en elles la science pratique qui leur aura manqué d’abord. Si le correcteur ne s’est exercé préalablement à la composition, une foule d’arrangements vicieux et de dispositions contraires au goût échapperont à son inexpérience ; si, au contraire, il s’est familiarisé avec ce travail, il saura faire disparaître toutes les taches qui défigureraient une édition. »

Daupeley-Gouverneur[33] n’est pas moins explicite ni moins catégorique : « … Si l’on n’est plus en droit de réclamer du correcteur le fonds d’instruction d’un véritable savant, il n’en doit pas moins, pour mériter son titre, connaître parfaitement la langue française et posséder des notions au moins élémentaires de latin et de grec, et même des langues vivantes les plus usuelles, telles que l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol. Il doit, en outre, être initié suffisamment aux travaux de l’imprimerie, non seulement par l’étude théorique des traités, mais encore par une bonne expérience pratique. S’il ne remplit cette dernière condition, il ne sera jamais un correcteur complet. »

En 1868, dans une lettre à M. A. Firmin-Didot, M. A. Bernard écrivait : « Mais il faut encore s’entendre sur la valeur de ce mot [correcteur]. Le véritable correcteur doit être à la fois érudit et typographe. Si ce n’est qu’un érudit, un déclassé qui fait ce métier parce qu’il n’en trouve pas de meilleur, il ne remplira que la moitié de sa tâche.

« C’est malheureusement ce qui arriva au Dictionnaire de l’Académie de 1835 : non seulement il n’y avait pas de typographe dans la commission académique, ce qui était déjà très fâcheux, mais encore les deux correcteurs chargés de lire ce livre n’étaient pas non plus typographes. L’un, M. Audiguier, était un Méridional plein de finesse, mais sans aucune notion d’imprimerie et se souciant peu d’en acquérir ; de plus, il était d’un amour-propre extraordinaire, et, plutôt que de reconnaître qu’il avait laissé passer une faute, il aurait volontiers inventé un système pour la justifier, et, par suite, l’aurait répétée au lieu de la rectifier. Je l’ai retrouvé plus tard à l’Imprimerie Royale, avec les mêmes défauts, aggravés encore par les exigences d’une position exceptionnelle.

« L’autre correcteur s’appelait, je crois, Bonhours. C’était un érudit de premier mérite, mais aussi étranger à l’imprimerie que le précédent. Il ne se doutait même pas de la manière dont le compositeur assemblait les caractères. Une coquille l’interloquait ; une lettre retournée le mettait en fureur, car il supposait que l’ouvrier, pour lui faire une niche, avait pris la peine de retourner le papier pour y appliquer la lettre à rebours. Il voulut un jour en avoir le cœur net et vint étudier la composition pendant quelque temps. Alors il comprit que rien n’était si peu extraordinaire que de mettre un r pour un a, etc. ; mais cela ne lui donna pas la logique du correcteur typographe. »

M. Desormes[34] envisage, il est vrai, dans la correction surtout le côté technique : « Pour bien lire une épreuve en premières, il est indispensable d’être typographe, car la correction n’a pas seulement pour objet la recherche des coquilles et autres accidents, tels que bourdons, doublons, lettres retournées, etc., mais elle consiste aussi dans le redressement des infractions commises aux règles typographiques… Or, l’on ne connaît bien ces règles, et l’on n’en peut faire une sage application que si l’on a été, comme ouvrier, aux prises avec les difficultés que leur mise en pratique occasionne dans un très grand nombre de cas. » Mais Desormes ne peut dans une courte phrase se retenir de faire une allusion discrète à l’érudition nécessaire au correcteur : « … Quand il revient de chez l’auteur, le bon à tirer est relu en entier par un correcteur en secondes, homme d’une capacité solide, d’expérience et d’observation. »

Presque aussi bref dans ses considérations — qualité rare, estimeront quelques-uns ! — mais plus explicite, cet autre auteur : « À une érudition convenable un correcteur doit joindre la connaissance au moins théorique des règles typographiques, afin de pouvoir non seulement signaler les défauts qui peuvent, sous ce rapport, se produire dans la composition, mais encore le moyen d’y remédier à coup sûr. Pour le véritable correcteur typographe, il ne suffit pas en effet que le livre dont la lecture lui est confiée soit irréprochable quant au fonds, il faut encore que la forme en soit convenable. »

En un long article, peut-être dû à la plume érudite de Bernier, le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse résume ainsi la question : « Une connaissance approfondie de la langue française, au point de vue théorique, aussi bien qu’au point de vue pratique, est indispensable au correcteur. Il doit également connaître les divers systèmes d’orthographe pour être en mesure de prémunir les auteurs contre les méthodes fantaisistes ou arbitraires qu’ils seraient tentés d’adopter et les rallier à l’orthographe de l’Académie qui est la meilleure… Il doit savoir le grec et le latin de façon à pouvoir traduire au moins Démosthène et Cicéron ; enfin, la connaissance d’une langue moderne, l’anglais, l’allemand, l’italien, etc., devient de jour en jour plus nécessaire pour lui. Mais ces connaissances ne sont pas les seules que doive posséder le correcteur : il doit avoir étudié avec fruit l’histoire universelle, la géographie, la botanique, la zoologie, la paléontologie, assez de médecine pour posséder la langue médicale, et de jurisprudence pour comprendre la langue du droit.

« Dans les imprimeries où se font un grand nombre d’ouvrages spéciaux, comme les livres de littérature étrangère, les traités scientifiques, mathématiques, etc., il est indispensable, pour leur bonne exécution, de s’attacher des correcteurs possédant des connaissances et des aptitudes spéciales ou ayant étudié sérieusement ces matières. La composition des livres traitant de sciences exactes, surtout de l’algèbre, de l’analyse mathématique, de la chimie, de la physique, etc., offre des difficultés si nombreuses et est soumise à une multiplicité de règles telle que le correcteur auquel ces lectures sont confiées doit être rompu à ce genre de travaux, et avoir fait des études, élémentaires au moins, dans cette direction, s’il tient à remplir dignement sa mission. »

De ces longues considérations on peut conclure, avec Daupeley-Gouverneur : « Il ressort de ce qui précède que le premier pédagogue venu peut, avec l’aide d’une scrupuleuse attention, corriger une épreuve en la châtiant au double point de vue de la syntaxe et de l’orthographe, mais que, seul, l’homme de l’art, connaissant parfaitement et sa langue et l’imprimerie, est capable d’amener un ouvrage à ce degré de perfection tangible qui doit être l’objet de notre préoccupation la plus ardente. »


quelques critiques de la situation


Combien malheureusement la réalité est loin parfois de ce qui devrait être une règle immuable[35] !

On consacre correcteur un typographe quelconque, parce que l’on a remarqué qu’il composait proprement ; on ne s’inquiète aucunement de son bagage littéraire, scientifique et même grammatical ; ce bagage serait-il nul, cela paraît de peu d’importance.

Ou bien, on s’adresse à une personne qui inspire confiance par son savoir, mais qui ne connaît rien de l’imprimerie. Sans explication aucune, on lui confie un emploi pour lequel elle n’a pas été préparée, des fonctions qui ne manquent pas d’être compliquées et pleines de graves responsabilités.

Pour regrettables que soient ces faits, c’est ainsi, reconnaissons-le loyalement, que les choses se passent, et cela depuis longtemps. Malgré l’affirmation maintes fois répétée que l’imprimeur qui n’accorde pas à la correction l’importance, l’attention qu’elle mérite, méconnaît l’une des conditions essentielles de la bonne exécution de ses travaux et paraît dès lors fort peu se soucier du bon renom typographique de sa Maison, toute tentative de remédier à cette situation a jusqu’ici échoué.

Aussi ne faut-il point s’étonner de voir dans notre corporation toute cette catégorie de travailleurs intellectuels que forment les correcteurs particulièrement mal rétribuée et privée d’une considération à laquelle elle aurait légitimement droit.

Bien qu’un typographe ait réussi, après plusieurs années de pratique et un labeur constant, à acquérir les connaissances littéraires suffisantes pour mériter le titre de correcteur, pour s’imposer à tous ceux qui, dès ses débuts, le traitaient avec une vague condescendance d’égalité, ou se croyaient supérieurs à lui, son sort risque beaucoup de ne pas s’améliorer. — Bien qu’un érudit, après de longs efforts, après des mois d’application, d’observation et d’étude des manuels, soit enfin parvenu à une connaissance sérieuse des règles typographiques, connaissance qui le fait, au point de vue technique, l’égal de ses devanciers, cependant la valeur qu’on lui concède est toujours inférieure à celle de ses collègues. — Si ces deux correcteurs, le typographe et l’érudit, se remarquent dans l’imprimerie, s’ils se signalent à l’attention du personnel, ce ne sera certes jamais par… le montant de leurs appointements.

Mauvais débuts : telle est la principale raison de l’insuccès de la majorité des correcteurs qui se plaignent de leur situation. La cause en est dans le fait que le maître imprimeur — et son subordonné direct surtout — commence par négliger la formation, ou littéraire ou technique, de ces collaborateurs et finit par oublier d’apprécier et, dès lors, de récompenser comme ils le méritent et leurs connaissances et leurs services.

On s’étonnera peut-être de nous voir dire ici ; le prote ne doit point négliger « la formation littéraire » de ces collaborateurs [les typographes promus correcteurs]. Le fait n’a pourtant rien qui puisse surprendre… Nous sommes de ceux qui pensent et qui affirment que « le prote ne saurait avoir des connaissances trop étendues dans les lettres, les sciences et les arts, car il est souvent consulté par les auteurs et devient même leur arbitre[36] ». Bien que ces lignes aient été écrites il y a près d’un siècle et demi, elles n’ont rien perdu de leur actualité et de leur nécessité : le prote doit posséder pour lui-même, ou « il a trois instructions [personnelles] à acquérir en même temps : l’instruction technique, l’instruction grammaticale et l’instruction commerciale[37] ». Ayant une « instruction grammaticale », le prote doit s’assurer que le typographe devenu correcteur possède cette même instruction ; ou, au cas contraire, l’obliger ou lui donner les moyens de l’acquérir.

Si sur ce point quelques protes — dont le nombre sera fort rare heureusement — estiment n’être point d’accord avec nos sentiments, il en est un autre sur lequel ils se sépareront encore de nous ; nous nous élevons avec force contre ceux qui malhonnêtement prétendent considérer le correcteur érudit comme un arriviste adversaire du prote. « Plus l’instruction du prote sera faible, moins l’Imprimerie reviendra aux imprimeurs… L’instruction négligée du prote crée des proteries à deux tronçons. Le plus souvent un étudiant en mal de bachot, absolument indifférent à l’imprimerie, mais surtout arriviste, se greffe sur l’emploi comme le gui sur le chêne. Alors on paye le prote selon sa stricte valeur[38] ; alors, nos imprimeries s’emplissent petit à petit d’hérétiques à la profession — instruits, personne ne le conteste — qui bientôt jouiront d’une situation prépondérante là où le prote n’a su que garder le collier. À qui la faute ? Comme nous serions forts[39] si l’imprimerie pouvait assurer ses services par des sujets capables extraits de son sein ! Le soleil luit pour tout le monde, dit-on. Eh oui ! Mais, par certains côtés, il cesse de luire pour beaucoup de nous. Est-ce en mêlant les professions[40], les croisant, les abâtardissant qu’on arrivera à un résultat pratique ? On prépare l’anarchie, pas autre chose[41]. »

Depuis que l’imprimerie est « au monde », le chiffre est innombrable de ces « étudiants en mal de bachot qui se sont greffés sur elle comme le gui sur le chêne », et certes on doit reconnaître — nous en avons donné suffisamment d’exemples — que quelques-uns firent plus qu’honorable figure dans leur nouvelle situation. Mais de combien de ces « hérétiques » les historiens peuvent-ils dire qu’ils ont joui « d’une situation prépondérante là où le prote n’a su que garder le collier » ? Pour combien de protes « le soleil a-t-il cessé de luire » au profit de ces métis, de ces bâtards instruits qui aux plis de leur manteau ont apporté l’anarchie dans la profession ?

Du prote qui éprouve des sentiments semblables on ne peut dire qu’il est « le premier des ouvriers » et qu’il possède l’étoffe d’un chef ; loin qu’il soit le maître de sa « monture », à tout instant ses subordonnés sont capables « de le désarçonner[42] ». Il est à craindre que, si le recrutement du personnel lui est confié, ce trembleur qui prétend étouffer sa faiblesse sous la force de son habileté, loin de mettre the right man in the right place, ne donne la préférence à l’ignorant, à l’incapable, pour sauvegarder une situation qu’il croira toujours menacée. Cet homme ne sera jamais l’aller ego du patron : incapable de tenir en un juste équilibre le plateau ouvrier de la balance industrielle qui lui est confiée, il ne méritera en aucun temps la confiance du maître imprimeur, encore moins celle des « compagnons » ; loin d’être un guide, un entraîneur éclairé, il entravera sans cesse, tel un pesant fardeau, la marche de l’établissement. S’étant « abâtardi » lui-même, ce prote ne saurait « séjourner ».


  1. H. Fournier, Traité de la Typographie.
  2. Libris quidem mullis onustus, sed viatico pene omni destitutus… — Voir page 527.
  3. Bibliographie lyonnaise, 4e série, p. 103. — Nicolas Edoard quitta Lyon en 1561 pour aller habiter Paris via Jacobæ, ab insigne Salamandræ, où, dès 1562, il imprime un ouvrage de Taboët, cité à la fin de ses éditions lyonnaises.
  4. Le premier acte du Pouvoir royal à cet égard daterait du 13 juin 1521.
  5. L’édit de Villers-Cotterets, du 31 août 1539, contient dans son article 16 la première mesure prise à ce sujet.
  6. « Arbitraire » : expression d’usage courant dans les règlements anciens ; elle laissait au juge la faculté de fixer le taux de l’amende suivant la situation de l’accusé, la gravité de la faute, et le plus ou moins de faveur dont pouvait se prévaloir la personnalité en cause.
  7. Voir page 105 et, note 2, page 542.
  8. Le premier contrat notarié dont fassent mention les auteurs que nous avons consultés date de 1504. Il en existe, sans doute, d’autres antérieurs à cette époque ; mais il ne nous a pas été donné de les rencontrer.
  9. Ce mutisme s’explique suffisamment en raison des usages qui s’étaient établis dans la corporation et du degré d’instruction que possédaient ordinairement les compagnons, instruction indispensable pour lire et composer couramment le latin, parfois le grec, et même l’hébreu.
  10. Déclaration de François Ier du 21 décembre 1541, art. 19 : « Pour les libraires et imprimeurs de Lyon, tous apprentifs suivant l’art d’imprimerie feront leur apprentissage par temps suffisans soubz maistres imprimeurs après lequel temps prendront attestation du maistre soubz lequel ils auront faict leur apprentissage. »

    Édit de Gaillon du 9 mai 1571, art. 19 : « Tous apprentifs d’imprimerie, suivant ledict article, feront leur apprentissage par temps suffisans soubz maistres imprimeurs après lequel temps prendront attestation du maistre soubz lequel ils auront faict apprentissage et de deux aultres bourgeois chefs de famille : ladicte attestation contenant que lesdicts apprentifs ont faict leur apprentissage soubz ledict maistre et qu’ils seront suffisans pour exercer ledict estat, et moyennant ladicte attestation l’apprentif de là en avant sera receu à besongner tant ès impressions de Paris que de Lyon et par tout ailleurs, encores qu’il eust faict son apprentissage en aultre part, aux conditions que les aultres compagnons dudict estat. »

  11. Voir ci-dessus, page 105, note 1 (art. 19 de l’édit de Gaillon).
  12. Art. 20 (édit de Gaillon, 9 mai 1571).
  13. L’article 40, cité plus loin (p. 107), spécifiait les capacités exigées de l’apprenti, les conditions d’âge, la durée d’apprentissage, un stage de compagnonnage, etc.
  14. Histoire corporative des artisans du Livre à Troyes, 1900.
  15. Histoire économique de l’Imprimerie : t. I, l’Imprimerie sous l’ancien régime, p. 271.
  16. Des plaintes nombreuses s’élevèrent d’ailleurs à toutes les époques contre l’incapacité de certains maîtres, contre leur défaut d’instruction. En mai 1618, dans les Remontrances adressées au roi, les marchands libraires et imprimeurs ne craignaient pas de dénoncer eux-mêmes ces multiples abus : « Aulcuns desquels libraires et imprimeurs sont tellement ignorants qu’ils ne savent pas seulement lire, n’ayant la connaissance requise de l’impression ni de la vente. » — Il faut consulter, sur ce sujet, les ouvrages de M. Louis Radiguer et de M. Paul Mellottée pour apprécier suffisamment les doléances que cette situation suscita de tout temps.
  17. Voir, à ce sujet, Documents sur les imprimeurs, libraires, etc., de 1450 à 1600.
  18. Voir pages 84 et 502.
  19. Voir page 171.
  20. Voir pages 85 et 504.
  21. Nous l’appelons plus volontiers Kiliaan. — Voir pages 84 et 502.
  22. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois.
  23. Voir encore page 458.
  24. Jean Barbou dit Normand, né vers 1489 à Saussay près Coutances, imprimeur à Lyon vers 1529, mort en 1542. — Guillaume Guéroult était, on le voit, chez un compatriote.
  25. Hugues Barbou, fils de Jean, né à Lyon le 24 janvier 1538 ; établi d’abord à Lyon où il exerça au moins jusqu’en l’année 1566, Hugues Barbou transporta ses presses à Limoges où il décéda le 30 novembre 1603.
  26. D’après Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 5e série, p. 2 et 6.
  27. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 204.
  28. Il ne faut pas attribuer ici au mot prote le sens que lui donnent de nos jours nos grands ateliers modernes, dans lesquels un travail tout autre que celui de la correction sollicite l’attention et constitue la besogne normale du prote. À l’époque de Brullé la correction était encore l’une des attributions les plus absorbantes et les plus importantes du prote : c’est donc exclusivement sous cet aspect de correcteur que nous envisageons dans ces lignes celui qui se dit aujourd’hui l’alter ego du patron, et qui n’était autrefois que « le premier des ouvriers ». — Voici, d’ailleurs, les termes mêmes de Brullé : « Le prote doit lire sur la copie toutes les premières épreuves, les faire corriger par les compositeurs, et envoyer les secondes à l’auteur ou au correcteur ; ensuite il doit avoir soin de faire redemander ces secondes épreuves, les revoir, les faire corriger et en donner les formes aux imprimeurs. » (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, au mot Prote, t. XXVII, p. 667.) — On remarquera que la lecture en secondes est réservée, d’après Brullé, à un correcteur qui ne parait pas être attaché à l’imprimerie.

    Momoro, sur ce dernier point, ne partage pas l’opinion de Brullé : « Le correcteur… est une personne… particulièrement chargée de corriger les épreuves en premières, quelquefois en secondes. Cette fonction regarde le prote ; mais dans les imprimeries où il y a un correcteur particulier, c’est au prote à lire les secondes épreuves. »

  29. D’après H. Fournier.
  30. Page 130.
  31. Frey avait ainsi du correcteur un sentiment analogue à celui de Momoro qui écrivait : « Le correcteur d’une imprimerie est une personne de talent particulièrement chargée de corriger les épreuves en premières, quelquefois en secondes… »
  32. Page 484.
  33. Le Compositeur et le Correcteur typographes, p. 214.
  34. Notions de Typographie, p. 260.
  35. Voir l’Imprimeur chef d’industrie et commerçant : chapitre le Correcteur.
  36. Audouin de Géronval.
  37. Ch. Ifan, le Prote, p. 22.
  38. Le cas est plutôt rare d’un patron payant ses employés au delà de leur valeur.
  39. Que signifie exactement ce mot ? À quoi fait ainsi allusion Ch. Ifan ? — Il serait curieux, et cortes inédit, de voir les protes soutenir pour leur compte personnel les théories extrémistes qu’ils blâment si vivement lorsqu’elles prennent naissance et se développent chez leurs subordonnés.
  40. Ch. Ifan nous paraît, pour faire aboutir sa thèse, vouloir ignorer systématiquement les services rendus à la typographie par les lettres et les sciences. Que serait l’imprimerie si ces fées bienfaisantes, après l’avoir nourrie et guidée dès son berceau, ne l’avaient encouragée dans sa marche parfois chancelante ? Et que seraient devenues ces fées si l’imprimerie n’avait existé ? D’elles-mêmes les professions ne se sont-elles point obligatoirement « mêlées » ?
  41. Ch. Ifan, le Prote, p. 24.
  42. D’après une comparaison de Ch. Ifan (le Prote, p. 38). — Nous conseillons à nos collègues la lecture du chapitre De la Correction (le Prote, p. 27).