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Le Tour de France d’un petit Parisien/1/15

La bibliothèque libre.
Librairie illustrée (p. 168-178).

XV

Les châteaux de la Touraine

C’était affaire entendue ; Jean devait accompagner M. Pascalet et Modeste Vidal dans leur excursion en Touraine, en passant bien entendu par le Blaisois. Charmant voyage s’il en fut !

À huit heures 30 du matin, le vieux savant et ceux qu’il se plaisait à appeler ses « secrétaires » quittaient Orléans par le chemin de fer se dirigeant sur le département du Loir-et-Cher, non sans jeter un coup d’œil en passant sur quelques localités intéressantes, — sans oublier Meung, chef-lieu de canton situé sur le ruisseau des Trois-Mauves et relié à la rive gauche de la Loire par un pont suspendu ; on sait que c’est la patrie de Jean de Meung, l’un des auteurs du Roman de la Rose.

Les riches campagnes de la Beauce, si proches de la triste Sologne, étaient couvertes de meules de blés de la dernière récolte.

Enfin Beaugency apparut avec sa physionomie de ville du seizième siècle ; car il subsiste encore aujourd’hui à peu près tel qu’il fut rebâti à la suite des guerres de religion ; — avec son curieux pont sur la Loire, comptant vingt-six arches en pierre et en bois, datant de diverses époques ; avec la tour carrée et massive de l’ancien château, soutenue par d’énormes contreforts, improprement appelée Tour de César, ruine gigantesque assez sombre et obscurcie encore par les vols des corbeaux qui l’habitent.

— Il est fâcheux, observa M. Pascalet, que nous ne puissions pas voir d’un peu près les « chats » de Beaugency, ainsi qu’un sobriquet moqueur a qualifié les habitants ; pour moi, je trouve que chat est bien trouvé, car s’ils aiment à se pelotonner au soleil, ils dorment avec un œil ouvert… et vigilant. Le vieux

Il s’arrêta devant plusieurs maisons anciennes (voir texte).

homme de lettres ajouta : J’ai été vraiment touché en apprenant que dans leur ancien cimetière l’inscription qui honore la mort des victimes de décembre 1870, se termine par ces mots :

La France n’est jamais morte :
Elle n’est qu’endormie.

Quelques instants après le train traversait le ruisseau des Mauves, sur un viaduc qui a près de trois cents mètres, puis celui de Travers et entrait dans le Loir-et-Cher.

Un souvenir fut donné en passant au château de Ménars, œuvre de madame de Pompadour, et dont les jardins descendent en terrasse jusqu’à la Loire, offrant de forts beaux points de vue. Peu après, vers dix heures, on entrait en gare de Blois.

— Ici, dit le vieux savant, nous avons le château de Blois…

— Mais, observa Modeste Vidal en s’adressant surtout à Jean, ce n’est certainement pas un de ces châteaux dont voulait parler l’aubergiste des sources du Loiret.

— Sans doute, répliqua M. Pascalet, mais c’est à Blois que nous trouverons des voitures pour Chambord, pour Chaumont, pour Chenonceaux, pour Cheverny. Je compte pourtant visiter le château de Blois, pour compléter quelques informations.

Le petit Parisien sentait sa confiance renaître, il se voyait à Blois comme en un centre d’opérations. Quel bonheur pour lui, si, en parcourant ces belles campagnes du Blaisois et de la Touraine que l’on a appelées le « Jardin de la France », il allait se trouver enfin face à face avec l’homme qui pouvait témoigner de l’innocence de son père et fournir des preuves manifestes de la honteuse conduite de Louis Risler, le sabotier du Niderhoff ! Comme il serait fier aux yeux de tous et surtout de son bon ami Bordelais la Rose, d’avoir mené à bien cette recherche entreprise follement peut-être, mais avec cette confiance qu’il puisait dans son ardent désir de réhabiliter son père ! Toutefois, en voyant combien prendrait de temps toutes les excursions projetées (et encore tous les châteaux ne lui avaient pas été nommés), il demanda à M. Pascalet, d’une voix qui dissimulait mal un certain souci, à quel moment il ferait ces écritures, ces mises au net de notes dont il avait été parlé.

— Après, après, dit en souriant le vénérable M. Pascalet.

— Après ? fit Jean ; quand nous aurons trouvé Vincent Isnardon ?

— Oui, mon enfant.

— C’est qu’alors, objecta timidement le petit Parisien, j’aurai tant de hâte de retourner à Mauriac auprès du pauvre blessé !

Et il pensait aussi, tout en désignant Bordelais la Rose, retrouver auprès de lui, l’autre blessé, Jacob Risler, que l’on pourrait convaincre de fausseté et de manœuvres coupables.

Après le déjeuner dans un restaurant de la ville basse, on monta au château en suivant les indications de l’homme de lettres, dont la vive intelligence et l’esprit présent suppléaient presque à l’affaiblissement de la vue ; c’est ainsi qu’à travers les ruelles tortueuses de la vieille ville il s’arrêta devant plusieurs anciennes maisons sculptées et les restes de quelques hôtels de la Renaissance. On sait que Blois est bâti en amphithéâtre, et dans une situation pittoresque sur une colline escarpée de la rive droite de la Loire, laquelle s’arrondit en un demi-cercle dont les extrémités s’appuient au fleuve ; sur l’une s’élève le château, sur l’autre la cathédrale, bel édifice de la fin du dix-septième siècle, la ville occupant l’espace intermédiaire, avec le pont, au centre, qui met le faubourg de Vienne en communication avec elle.

Quand on fut arrivé, M. Pascalet dit à ses amis :

— Regardez bien, mes enfants, vous qui pouvez tout voir. Cette large façade avec ses trois galeries superposées, c’est l’œuvre de bien des siècles ! Ce château n’a pas toujours eu l’aspect qu’il présente ; il a d’abord été une forteresse féodale, et il n’a plus l’air d’une forteresse, n’est-ce pas ? Il se compose, vous le verrez, de quatre corps disposés autour d’une cour. Le plus ancien, des douzième et treizième siècles, renferme la salle des États ; la chapelle de Saint-Calais et le corps de bâtiment dans lequel s’ouvre la porte principale ont été construits par Louis XII ; la façade nord date de François Ier ; la façade de l’ouest, élevée par Gaston d’Orléans, a eu le premier Mansard pour architecte : c’est la plus régulière assurément, mais elle n’offre pas les curieux détails d’architecture des trois autres façades, bien que celles-ci soient un peu lourdes. — L’aile de François Ier est une des plus belles œuvres de la Renaissance ; la tourelle de l’escalier octogonal, aérien, brodé de festons à jour, où le chef de la dynastie des Valois a mis sa salamandre, est sans conteste une admirable merveille.

Un gardien, avisant des visiteurs, s’était approché. C’était un vieux soldat manchot.

— Vincent Isnardon ? Vous ne le connaissez pas ? lui demanda Jean à demi-voix.

— Cet enfant a raison, dit le bon M. Pascalet, c’est par là que nous aurions dû commencer.

— Isnardon, répéta le gardien, non… non… Il y a bien ici un Vincent, mais il s’appelle Coquardeau.

— Qu’est-ce qu’il fait ? dit l’obstiné Jean, s’attachant à la moindre lueur d’espoir. — Coquardeau rappelait cocarde à l’esprit et cocarde, l’armée. Si c’était un surnom ! — Est-ce un ancien soldat ?

— Jamais de la vie ! répondit l’autre fièrement. Il a une jambe courte d’au moins une aune, et la tête rentrée dans les épaules — il semblait lui reprocher son infirmité, — c’est le lampiste, ajouta-t-il dédaigneusement.

C’était là une première déception pour le petit Parisien ; mais Modeste Vidal le réconforta par quelques paroles d’encouragement, et le vieux savant put reprendre l’historique du château.

Il fit observer que les différences de style qu’il accuse indiquent assez qu’il est l’œuvre de divers siècles. Ce château fondé par les comtes de Blois a été, en effet, agrandi par Louis XI, François Ier, Louis XII, Louis XIII ou plus exactement son frère Gaston d’Orléans, et enfin Louis XIV.

— Sachez bien, dit M. Pascalet, que le château de Blois n’a pris toute son importance qu’en devenant l’apanage des princes de la famille royale ; à la fin du quatorzième siècle, le château passa avec le comté de Blois tout entier entre les mains de Louis d’Orléans, frère de Charles VI : il eut ce beau domaine, à la mort de Guy de Châtillon, auquel il l’avait acheté en le payant au moyen de la riche dot que lui avait apportée Valentine de Milan, sa femme. Le comte de Blois s’en était réservé la jouissance sa vie durant ; mais au moment de la vente, il reçut comptant deux cent mille couronnes d’or, qui équivaudraient à deux millions quatre cent mille francs de notre monnaie.

— Franchement, c’était pour rien ! observa le musicien.

— Après l’assassinat de son mari par le duc de Bourgogne, reprit l’homme de lettres, Valentine de Milan se retira avec ses enfants au château de Blois. Ce fut ici que des messagers vinrent annoncer au petit-fils de Louis d’Orléans la mort inopinée du roi Charles VIII, qui l’appelait au trône. Celui qui devait être Louis XII, et mériter par la sagesse de son administration le glorieux surnom de Père du peuple, était né au château de Blois. Cette résidence lui plaisait beaucoup.

» La reine Anne de Bretagne y rendit le dernier soupir. François Ier parut souvent à Blois ; ses préférences furent plus tard pour le château de Chambord, mais Henri II et François II, Catherine de Médicis et Henri III rendirent son lustre à Blois, qui vit alors des fêtes éclatantes et de brillants tournois ; les noces du duc d’Alençon avec Marguerite d’Anjou, celles de Henri IV avec Marguerite de Valois.

» Henri III convoqua à Blois les États généraux du royaume. Le duc de Guise, chef du parti de la Ligue, se montra audacieux au point que le roi ne trouva d’autre moyen de se débarrasser de lui qu’en le faisant assassiner. Le lendemain de cette tragédie vit la mort violente du cardinal de Guise. Les corps des deux frères furent brûlés et jetés dans la Loire ; douze jours après la reine Catherine de Médicis, dévorée par une fièvre ardente, expirait dans une chambre qu’on vous montrera. Depuis ces événements lugubres, ajouta M. Pascalet, le château de Blois a servi de prison à Marie de Médicis, mère de Louis XIII ; Gaston d’Orléans, frère de ce roi, y fut exilé à son tour. En 1668, je crois, Louis XIV revenant de Chambord donna ici une fête somptueuse. Le château dont la démolition avait été commencée en 1793, fut restauré quelques années plus tard, et reçut Marie-Louise après la capitulation de Paris.

— Mes amis, ajouta M. Pascalet, je vais vous abandonner à un guide et je vous attendrai à cette place. Modeste, prenez note des restaurations qui ont été faites dans ces dernières années, les noms des architectes ; le nom de celui qui a dirigé la restauration de l’escalier de François Ier.

— C’est M. Duban, dit le gardien à qui Jean avait adressé la parole.

Le vieux savant s’assit sur un banc de pierre ; Modeste et Jean suivirent le gardien.

Une demi-heure après, ils revinrent, ayant parcouru le château un peu au pas de course.

— Qu’avez-vous vu ? leur demanda M. Pascalet.

— D’abord la salle des États, répondit Modeste Vidal, elle a quarante mètres de long sur vingt de largeur, a dit notre guide ; elle est divisée en deux parties par une rangée de huit colonnes ; nous avons ensuite admiré le magnifique escalier à jour.

— Et toi Jean, de quoi as-tu été le plus frappé ?

— L’escalier, toujours l’escalier, répondit le petit Parisien. On ne voit rien de semblable au Louvre… Ensuite, l’arrière-cabinet à l’entrée duquel le duc de Guise fut assassiné. On nous a raconté qu’Henri III avait fait aposter des gardes qui frappèrent le duc par derrière au moment où il sortait de la salle du conseil. Renversé, il alla tomber aux pieds du lit du roi en criant : « Mon Dieu ! mon Dieu ! miséricorde ! » Le gardien nous a montré la place qu’il a tachée de son sang.

— Rien n’est moins certain que cette place, selon les historiens modernes, dit M. Pascalet. Et puis ? quoi encore ?

— La chambre à coucher du roi ; les salles des gardes du roi et des gardes de la reine ; le grand salon de la reine, le cabinet de Catherine de Médicis ; la chambre où elle est morte…

— Dont le plafond est charmant, ajouta Modeste Vidal, aux yeux de qui les manifestations de l’art primaient tout.

— L’oratoire de la reine et son cabinet de travail, poursuivit Jean.

— Où il y a de ravissantes boiseries, dit encore le musicien.

— Enfin nous avons vu la tour des Moulins et ses oubliettes ; vous savez, m’sieu, on faisait culbuter les gens tout vivants dans un puits profond, une trappe s’ouvrait, crac !… et on n’entendait plus jamais parler du malheureux.

— Je sais, je sais, dit M. Pascalet en souriant.

Les touristes redescendirent vers la ville, et M. Pascalet eut plus d’une occasion de faire remarquer à ses jeunes amis, qu’à Blois l’art est partout : dans les monuments comme dans les demeures les plus modestes. Le goût y est épuré par la vue de chefs-d’œuvre de la Renaissance, épanouis en une éclatante floraison. Les châteaux, les églises, les vieux hôtels, sont construits avec une pensée, un style, une intention, et sont des livres où, dès l’enfance, chacun épelle la langue du beau. Un simple maçon sait éfiler un toit, espacer des fenêtres, découper un pignon, tracer un cordon sous des poutres, et jusque dans les villages, sur la façade des chaumières, se glisse comme une vague réminiscence des formes inconsciemment étudiés, et se retrouvent les traces du génie d’une merveilleuse époque.

Une ville qui possède, — outre son château, — dans ses environs des joyaux tels que Chambord, Chaumont, Chenonceaux, Cheverny, Amboise, Azay-le-Rideau, Ussé, Langeais, Moncontour, est naturellement ouverte aux initiations artistiques les plus délicates. Si l’on envoyait des élèves s’instruire en Touraine, on formerait des architectes habiles à marier la beauté des lignes aux convenances de la destination, chose assez difficile à réaliser.

— Demain, ajouta M. Pascalet qui s’était complu à développer ces idées, nous irons au château de Chaumont, le plus beau de tous ceux qui sont autour de nous, par le site qu’il occupe. Vous verrez qu’il commande une admirable vue sur la plaine, le fleuve, les bois et les coteaux. Aujourd’hui, nous n’aurons pas trop des heures qui nous restent, pour prendre une idée de la ville et du caractère des gens du pays. Blois doit compter un peu plus de vingt mille habitants ; il y a ici et aux environs quelques fabriques de draps, de cotonnade, d’étoffes de laine et de molleton ; il y a des papeteries et aussi des vinaigreries qui ne le cèdent en rien pour la renommée de leurs produits à celles d’Orléans.

» Laissez-moi vous dire que des princes sont nés à Blois qui ont tenu une moins grande place dans le monde qu’un humble savant du dix-septième siècle, Denis Papin, natif de cette ville, et l’un des premiers inventeurs de la machine à vapeur. Il était fils d’un médecin protestant et médecin lui-même. On raconte qu’un jour de l’eau bouillait devant lui dans un vase couvert, et il remarqua que la vapeur soulevait par moments le couvercle et le laissait retomber dès qu’elle s’était échappée ; ce fut le point de départ de sa découverte. Laville lui a dressé une statue, méritée autant par la grandeur de son invention que par les tribulations d’une vie finie dans la pauvreté. Ses compatriotes lui ont, vous le voyez, rendu justice…

La journée du lendemain se présenta superbe. Après une courte délibération avec Modeste Vidal, M. Pascalet décida que cette journée serait consacrée au château de Chaumont. Ce château est situé à environ quatre lieues au sud-ouest de Blois, sur une colline qui domine la Loire. On trouve à Blois des voitures qui y conduisent. Nos touristes roulèrent bientôt vers Onzain en longeant la rive droite du fleuve. C’est à Onzain que l’on aperçoit, sur la rive gauche de la Loire, le château de Chaumont sous son plus bel aspect. À Escure, un pont suspendu de six travées permet le passage du fleuve.

Le château de Chaumont, entièrement gothique, avec son pont-levis, sa poterne, sa herse, parle vivement à l’imagination des siècles passés.

Le coteau qu’il domine et qui lui a donné son nom est escarpé. M. Pascalet et ses amis le gravirent par un escalier creusé dans le roc, et firent une station sur une petite plate-forme qui sert d’emplacement à l’église du village.

Reconstruit au quinzième siècle par les seigneurs d’Amboise, le château se compose à l’extérieur, du côté de la plaine, de deux corps de logis irréguliers, flanqués d’une très grosse tour à chaque angle, et réunies au pavillon de la voûte d’entrée par deux autres tours pourvues de mâchicoulis ; toutes ces tours sont terminées par des toits en pointes.

M. Pascalet et ses deux « secrétaires » — Jean passant devant — pénétrèrent dans le château, et cette fois, on ne manqua pas de se renseigner tout d’abord sur le sergent « bleu » qu’il importait tant au jeune garçon de découvrir. Le nom de Vincent Isnardon était inconnu au château.

— Patience, mon enfant, dit le vieux savant au petit Parisien, il y en a tant de châteaux dans ce pays ! Notre recherche est à peine commencée.

La cour d’honneur du château se présentait entourée de bâtiments portant tous les caractères de l’architecture française qui précéda immédiatement la Renaissance. Un corps de logis, flanqué de deux tours qui commandaient la Loire, a été démoli il y a un siècle environ ; il est remplacé par une esplanade d’où la vue embrasse un immense et magnifique panorama. À gauche, sont les bâtiments d’habitation ; à droite, la chapelle, percée de plusieurs fenêtres du style flamboyant.

Nos amis visitèrent la grande galerie, les salons, les appartements, garnis du mobilier des aïeux, la salle du conseil royal, d’autres pièces historiques tendues de tapisseries de haute lisse du temps de Charles VIII. On leur montra la chambre de Catherine de Médicis, vaste et sombre pièce située à un étage élevé, où arrivent les gémissements du vent engouffré dans une tour sonore.

Le guide assura que c’est dans cette chambre que l’astrologue Ruggieri fit apparaître, à la reine dans un miroir magique, l’image de ses trois fils qui prophétisèrent tour à tour leurs sinistres destinées.

— Quelles destinées ? demanda Jean au guide.

Celui-ci se déconcerta visiblement, et ne sut trop que répondre. M. Pascalet prit la parole.

— Les trois fils de Catherine, dit-il, furent François II, enlevé très jeune à l’affection de sa jeune épouse Marie Stuart, Charles IX qui mourut peu après la Saint-Barthélemy, et Henri III poignardé par Jacques Clément.

On raconte, poursuivit M. Pascalet, — mais des auteurs sérieux — que Ruggieri conduisit la reine mère devant un miroir magique, sans doute appliqué à la muraille qui fait face à la cheminée, à l’endroit même où nous voyons ce lit à colonnes torses : en sorte que la lumière, — une pâle lumière, d’une après-midi d’octobre, teintée par des vitraux de couleur, ne frappait le miroir que par réfraction. Dans ce miroir, où plutôt à travers ce miroir, la reine vit une salle, et le magicien l’avertit que ceux qui allaient apparaître régneraient autant d’années qu’ils feraient de fois le tour de cette salle.

» D’abord s’avança le jeune roi François II, figure triste et désolée que la reine mère eut à peine le temps d’apercevoir, tant le fantôme fut prompt à s’évanouir.

» Catherine, pâle de terreur, connut ainsi qu’avant une année entière écoulée elle devait voir mourir son fils aîné.

» Aussitôt après, se présenta le futur Charles IX, qui fit treize tours et demi et disparut, laissant sur le cristal comme un nuage sanglant.

» Ensuite le duc d’Anjou, qui devait être Henri III, fit quinze tours avant de s’arrêter.

» Et comme Henri troisième, dit le grave historien Pasquier, eut fait
Il se trouva face à face avec un gardien(voir texte).

quinze tours, voilà le roi Henri IV qui entre dans la carrière, gaillard et dispos, qui fit vingt tours entiers, et voulant achever le vingt-unième, il disparut. À la suite, dit encore Pasquier, vint un petit prince de l’âge de huit à neuf ans. C’était Louis XIII, qui fit trente-sept ou trente-huit tours, et après cela toutes choses se rendirent invisibles, parce que la reine mère n’en voulut pas voir davantage.

— Ce fut la dernière fois, reprit M. Pascalet lorsqu’il jugea son auditoire suffisamment impressionné, que Catherine de Médicis séjourna à Chaumont. Peu de temps après, elle échangea avec Diane de Poitiers ce château contre celui de Chenonceaux.

Après avoir ainsi parlé, M. Pascalet glissa généreusement dans la main du cicerone, ébahi de tant d’érudition et un peu confus, une pièce blanche, — qu’il n’avait pas tout à fait gagnée.

Mais il prit sa revanche en apprenant à ses visiteurs que madame de Staël vint résider à Chaumont en 1810. Benjamin Constant fut aussi l’hôte du vieux château des seigneurs d’Amboise. Enfin le guide s’étendit longuement sur les importantes restaurations dans le style du seizième siècle dues au comte d’Aramon, mort en 1847, et terminées par le vicomte Walsh, qui a épousé la veuve de ce dernier.