Le Vampire (Morphy)/17

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 98-108).

CHAPITRE VIII

L’exécution.

Transportons-nous dans la cellule de Général, l’assassin de la rue Rambuteau.

C’est une pièce étroite et sombre.

Le bec de gaz qui l’éclaire est baissé.

Un gardien et un soldat sont assis et causent auprès du poêle qui répand une chaleur lourde et suffocante.

Dans le fond de la cellule, sur un lit, est étendu un jeune homme à la physionomie énergique et violente.

Il dort d’un sommeil pénible et se retourne fréquemment, agité par quelque horrible cauchemar.

La porte s’ouvre…

L’homme se réveille en sursaut.

Il distingue vaguement plusieurs personnes qui entrent sans bruit.

Il reconnaît le directeur de la prison et le chef de la sûreté, accompagnés de gardiens.

— Votre pourvoi est rejeté. Il faut vous préparer. Levez-vous, Général.

Épouvanté, la face convulsée, le malheureux se dressa sur son lit.

Il était emprisonné dans une camisole de force, attachée par derrière au moyen de solides courroies.

Les manches fermées à leur extrémité ne laissaient pas sortir les mains.

L’homme terrifié levait les bras…

On l’habilla rapidement.

Il reprit sa présence d’esprit et commença à se rendre compte de sa situation.

— Alors, c’est fini, dit-il avec un soupir étouffé. Tant mieux !

— Avez-vous des révélations à faire à la justice ? lui demanda le chef de la sûreté ! Un substitut du procureur général est au greffe à cet effet. Voulez-vous dire qui vous êtes ?

— Non, qu’on me foute la paix, répondit l’assassin.

Il s’abîma dans ses réflexions.

Tout à coup, il redressa la tête,

— Vous me regardez tous comme un monstre, n’est-ce pas ? s’écria-t-il avec exaltation. Pour vous, je suis un ennemi de la société ? Allons donc, je ne suis qu’une brute ! Je devrais vous dire mon vrai nom, et vous raconter mon histoire et celle des miens. C’est alors que je ferai réellement du mal ! J’ai tué une vieille femme quand j’aurais pu déshonorer toute une classe. Mon secret, je le garderai pour moi, mais vous devriez me bénir… Ah ! si vous saviez.

— C’est son éternelle chanson, dit le directeur au chef de la sûreté. Il veut se rendre intéressant.

— Singulier fils de famille ! répondit celui-ci sur le même ton.

L’assassin avait revêtu les vêtements qu’il portait le jour de l’assassinat.

Il était prêt à être remis entre les mains du bourreau.

On lui annonça l’aumônier.

Général fit un geste de refus.

Le prêtre était entré dans la cellule. Il insista auprès du condamné.

Général ne lui répondit rien.

Tout le monde s’était retiré laissant l’aumônier avec le prisonnier.

On frappa à la lourde porte du cachot.

L’abbé sortit un instant.

L’assassin, resté seul, eut une suprême pensée de salut qu’il réprima aussitôt.

Il était enfermé entre quatre murailles épaisses. Le vasistas était garni de solides barreaux.

D’ailleurs il était séparé du reste de la prison par la grille des morts, barrière funèbre qui sépare les condamnés à la peine capitale des autres détenus.

Pour arriver au dehors, il eut fallu desceller les barres de fer de la fenêtre et franchir deux murs d’enceinte, gardés par des sentinelles.

Le misérable se laissa aller à ses noires pensées.

— Faut-il parler ? se demanda-t-il avec un éclair dans les yeux. Quelle superbe vengeance ! Mais non, mieux vaut le silence et le mystère ; j’en serai plus grand dans l’armée du crime. Et j’ai soif de gloire, moi que l’on tuera dans quelques instants.

Il se releva et marcha à grands pas dans la cellule.

— C’est fini, dit-il encore ; fini le martyre dans la famille, ce bagne ! finie la vie de misère ! finie la lutte à main armée contre la société, cette gueuse ! finie enfin la prévention à Mazas, et le procès avec ses tortures lentes de tous les jours… Tout est fini, fini, fini ! On va me couper la tête… Il me semble que je vais respirer !

Une fièvre ardente agitait le bandit.

Il fut interrompu. La porte s’était rouverte…

Devant lui étaient deux prêtres, l’aumônier de la prison et un abbé qui portait une longue barbe.

L’aumônier présenta son confrère.

— Ce bon missionnaire, dit-il, vous a connu autrefois à l’étranger… Il vient de me l’apprendre… Il espère être plus heureux que moi et recevoir votre confession… Je lui ai volontiers accordé la faveur de me remplacer dans mon douloureux office…

— Ganache ! va, fit Général en regardant l’aumônier. Tu n’en crois pas un mot ou tu es rudement bête.

Le missionnaire s’approcha de l’assassin et lui dit vivement sans presque remuer les lèvres.

— Acceptez-moi comme confesseur… Je viens de la part des amis… de la Sauvage et de Sacrais.

Général fit un saut en arrière.

— Vrai ! demanda-t-il d’une voix sifflante.

— Chut ! fit le prétendu missionnaire.

Et se retournant vers l’aumônier :

— Le malheureux, comme je le pensais, accepte mes consolations et mourra dans la pénitence… Dieu soit loué.

Le prêtre de la Roquette, vieillard imbécile tombé en état d’enfance, n’eut aucun soupçon.

— Je vous laisse, dit-il en souriant au bandit.

— Bougre d’âne ! s’écria Général des Carrières, quand il se vit seul avec l’envoyé de la Sauvage.

Le faux missionnaire se rapprocha vivement.

Il était vêtu en ecclésiastique et toute sa personne semblait se prêter à ce déguisement, car ce devait en être un, étant donné ses paroles.

— Qui êtes-vous ? demanda le condamné.

— Je suis le nouveau chef de la bande, répondit-il. N’aies pas de crainte. Je viens te donner le dernier baiser de la Sauvage…

Il embrassa Général qui lui serra les mains avec effusion.

— C’est une brave fille, dit-il avec une indicible émotion, et ça me fait du bien de songer qu’elle ne m’oublie pas. Dis-lui de penser à moi et de me venger !

— Comment cela ?

— Écoute. Avant d’être l’amant de la Sauvage, j’avais pour maîtresse une garce du nom de Titille. Je l’ai lâchée. Depuis elle est devenue, devine quoi ? la femme, la paillasse de M. Dublair !

— Le bourreau ?

— Juste. Mais il ne l’était pas à cette époque-là. C’est un ancien élève en médecine qui s’est fait mouchard. C’est alors qu’il est devenu l’amant de Titille. Elle lui a donné tous les renseignements possibles sur moi et, grâce à cette trahison, j’ai été pincé.

— Est-ce certain ?

— Absolument. À l’instruction, tout s’est découvert. Elle m’a chargé à l’audience. J’ai su toute l’affaire par un compagnon de cellule qui connaissait Titille.

— Et puis ?

— Dame ! après ce beau fait, M. Dublair, poussé par le chef de la sûreté, a été nommé à la place de l’ancien exécuteur qui venait de mourir.

— Il a gardé cette Titille avec lui ?

— Oui, quelque temps, mais c’est la dernière des salopes ; il lui faudrait dix hommes par jour à cette pourriture ! Il a fini par se séparer d’avec elle. Il paraît qu’elle habite la place Maubert.

— Je la trouverai et la Sauvage sera son juge ; je crois qu’elle ne trouvera pas grâce.

— Bravo !

— Quant à Dublair…

— Son affaire est claire, si vous êtes des hommes ! s’écria Général avec un geste terrible.

Ou ouvrit le guichet pratiqué dans la porte de la cellule.

— L’heure s’avance, monsieur l’abbé, dit un surveillant.

— Une minute encore, répondit le faux missionnaire.

Le guichet se referma.

— J’ai encore quelque chose à te dire, mon brave, fit Général.

— Oui, relativement à l’affaire de la rue Rambuteau.

— Sais-tu qu’il s’agissait de retrouver la piste de millions disparus il y a beau temps ?

— La fortune des Lormières, n’est-ce pas ?

— Oui… Ah ! si Caudirol avait voulu, tout se serait arrangé sans assassinat. Je ne serais pas ici.

— Connais-tu Caudirol ? demanda le prétendu missionnaire.

— Oui, je l’ai entendu prêcher. J’ai été exprès à son église plusieurs fois avec Sacrais.

— Est-ce qu’il me ressemble ? demanda soudain l’envoyé de la Sauvage en retirant sa longue barbe.

— Lui ! s’écria Général, c’est lui !

— Silence, fit vivement Caudirol en remettant sa fausse barbe.

Et ajouta :

— Maintenant, parle sans crainte.

Général des Carrières fut quelques instants avant de se remettre de sa surprise.

— Hâtons-nous, répéta Caudirol.

— En effet, dit le condamné à mort, le temps presse.

Il frissonna malgré lui.

— Tu sais, que notre but était de recouvrer la fortune des ducs de Lormières. Pendant la Révolution, des sommes énormes ont été cachées dans leur château près de Nantes. Nous avons fait une expédition qui n’a pas eu de résultat. Il aurait fallu connaître exactement l’endroit où le trésor est enfoui.

— Sacrais m’a parlé de cela, fit Caudirol.

— Il eut fallu que toi, le seul descendant vivant, tu fisses valoir tes droits. Nous avions tous les papiers nécessaires. Alors, toi propriétaire du château, il était facile, en bouleversant tout, de découvrir les millions dont nous connaissons l’existence à n’en pouvoir douter.

Caudirol ne perdait pas une syllabe des paroles de Général.

— Nous n’ignorions pas que la duchesse de Lormières avait laissé tout ce qu’elle possédait, moins une rente viagère pour ses descendants, à une nièce dévote et avare qui habitait rue Rambuteau…

— Et que tu as envoyée dans l’autre monde.

— Malheureusement, oui.

— Continue.

— J’ai trouvé dans un coffre-fort, rue Rambuteau, chez la vieille héritière, un plan des souterrains du château mêlé à d’autres papiers.

— En connaissait-elle la valeur ?

— Je l’ignore, mais c’est probable. La duchesse de Lormières ne s’attendait pas à mourir subitement, comme cela est arrivé lorsqu’elle a accouché de ton père, mais elle a dû parler de cela à sa nièce qui l’a constamment soignée.

— Achève.

— Ce plan était marqué à un endroit par une étoile.

— Qu’est-il devenu ?

— Dame, j’ai été pris et je n’ai rien pu garer. Toutes les paperasses ont dû être remises aux héritiers de la vieille que je ne connais pas.

— Sacrais me les a indiqués.

— Tant mieux, il y a peut-être quelque chose à faire. L’important est de retrouver le plan en question, qui n’a de valeur que pour les initiés.

— Est-il sûr que des sommes importantes ont été cachées au château de Lormières.

— Les papiers soustraits par Sacrais chez le notaire de Nantes prouvent l’existence d’une fortune immense. Il reste à la trouver. Il y a d’autres indices que Sacrais t’indiquera. Il est possible que la vieille avare de la rue Rambuteau n’ait pas fait mention du secret des souterrains du château de Lormières. En ce cas, ses héritiers ne pourraient pas mettre la main sur le magot.

— C’est tout ce que tu peux me dire ? demanda Caudirol.

— Oui, embrassons-nous… et mort aux vaches !… Voilà mon dernier mot.

Les deux bandits s’embrassèrent.

La porte se rouvrit et l’on fit descendre Général au greffe de la prison, où se fait la toilette des condamnés à mort.

Le faux missionnaire se retira après avoir dit à l’aumônier de la Roquette :

— J’ai changé les sentiments de ce malheureux. Vous pouvez lui offrir à votre tour vos saintes consolations.

Tandis que Caudirol, déguisé et méconnaissable, parvenait jusqu’au condamné et l’entretenait impunément avec une audace inouie, M. Dublair et ses aides attendaient dans une petite pièce attenant au greffe.

À plusieurs reprises le bourreau fit observer que l’heure s’avançait…

Enfin, on amena Général qui s’assit dans l’avant-greffe, sur un tabouret placé au milieu de la salle.

M. Dublair alla vers lui et l’examina attentivement, comme pour juger des précautions qu’il aurait à prendre avec un homme de cette force.

Il lui posa la main sur l’épaule.

Général eut un tressaillement instinctif.

L’un des aides ouvrit un sac contenant des courroies et une paire de ciseaux qu’il remit à Flack, son nouveau collègue.

L’aide attacha aux chevilles du condamné deux sangles reliées par une corde de trente centimètres à peine. Le patient pouvait marcher à petits pas, mais s’il eût essayé de fuir, il serait tombé par terre.

On lui retira la camisole de force.

Il s’était levé.

Les aides lui joignirent les poignets derrière le dos ; on les lia solidement. Ensuite on attacha ses bras au-dessus des coudes, et, pour plus de sûreté, on réunit la ligotte des jambes à celle des bras. Un simple tiraillement sur cette courroie aurait suffi au bourreau pour renverser le condamné, en cas de résistance.

M. Dublair regardait avec inquiétude le domestique du Docteur-Noir qu’il avait dû embaucher d’une si singulière façon.

Il avait lieu de craindre toutes les menaces, car Titille, que Jean-Baptiste Flack appelait ironiquement madame Dublair, pouvait le compromettre gravement. Étant agent de la sûreté, il la laissait participer à des entreprises criminelles et partageait avec elle le butin ; puis, avec son aide, il retrouvait ses complices et les livrait à la justice.

L’exécuteur croyait que Titille, qu’il avait perdue de vue, était à présent la maîtresse de ce Flack. Il tremblait, car il y avait des preuves contre lui dans une affaire d’assassinat qu’il avait organisée avec Titille, et les révélations de cette femme en auraient fait découvrir le vrai promoteur.

Il regardait le condamné à mort et, en lui-même, il se demandait pourquoi c’était Général et non pas Titille qu’il avait mission d’exécuter !

Au moins, il eut pu dormir tranquille…

Flack, en aide expert, découpait la partie supérieure des vêtements du condamné et mettait sa gorge et ses épaules à nu.

Ensuite, il plaça un morceau d’étoffe noire sur le cou de l’homme qui frissonna.

Il faisait un froid très vif.

Jean-Baptiste Flack se mit en devoir de faire la taille des cheveux et se pencha contre Général.

— Ne faites pas un mouvement, lui dit-il tout bas, et répondez-moi sans vous trahir… Vous avez caché votre nom ?

— Oui, fit Général en inclinant légèrement le tête. — Je vous connais, moi.


Le condamné eut un sourire d’incrédulité.

— Voici votre histoire en deux mots : Vous êtes le fils d’un haut personnage qui vous a légué ses passions et ses vices. Seulement, vous n’avez pas son hypocrisie ni son adresse. Vous avez été roué de coups par votre père et vous êtes échappé plusieurs fois de chez lui quand vous étiez enfant. Bref, un jour vous avez disparu pour toujours… et vous voilà.

Flack avait dans la voix une nuance de tristesse en parlant ainsi.

— Vous avez bien fait de taire votre nom, continua-t-il. Si votre père est un monstre qui ne mérite pas de pitié, vous avez un oncle qui a toujours été bon pour vous et qui s’appelle aussi… Bartier.

Général des Carrières fit un mouvement qu’il réprima aussitôt.

— C’est pour lui, surtout, que j’ai gardé le secret de ma naissance, dit-il.

Mais qui donc êtes-vous ?

— Je suis le domestique du Docteur-Noir, que vous veniez voir souvent dans vos instants de repentir,

— Ah ! si je l’avais écouté !

— Il n’est plus temps. Un dernier mot : Votre père sait bien que le prétendu Général des Carrières est son fils. Il attend votre mort impatiemment pour être enfin tranquille. Il est venu ce soir devant l’échafaud. Il veut voir !

— Puisse mon sang rejaillir sur lui et lui brûler les yeux, fit le condamné avec une sourde colère.

— Vous venez de prononcer son châtiment, répondit gravement le domestique du Docteur-Noir.

— Est-ce tout ?

— Non, j’ai une dernière chose à vous dire. Voulez-vous échapper à la mort hideuse qui vous attend et vous éteindre ici doucement sans souffrances.

— Comment cela ?

— C’est le secret de mon maître et de la science.

— Oui, j’accepte… Oh ! vous m’avez piqué.

— Adieu.

Cette conversation faite à voix basse et à l’écart n’avait été remarquée de personne. Flack n’avait pas un seul instant interrompu son travail. Il avait entièrement coupé les cheveux du condamné sur le cou.

Il se retira, faisant place à M. Dublair ; un spectateur vigilant l’eût vu jeter dans le poêle allumé, une grosse aiguille tachée à son extrémité.

— En avant ! dit le bourreau.

Mais à sa grande surprise, Général ne bougea point.

— Il s’est évanoui, sans doute, fit observer le chef de la sûreté.

M. Dublair jeta un coup d’œil soupçonneux sur Jean-Baptiste Flack qui avait repris sa physionomie souriante.

— Il a une syncope, voilà tout, approuva l’exécuteur.

— Une syncope dont on ne revient pas, murmura le domestique du Docteur-Noir.

— Que faut il faire ? questionna le directeur de la Roquette ;

— Rien, fit vivement le bourreau, je l’emmène comme cela.

Il saisit le corps inerte de Général par la courroie de derrière, et deux aides se placèrent de chaque côté, le soutenant par les coudes.

On se mit en marche dans cet appareil.

Général des Carrières était mort, foudroyé par un poison subtil que lui avait inoculé le faux aide du bourreau.

Sa tête était renversée en arrière, et son corps s’agitait d’une façon bizarre, secoué par la marche.

Il semblait se débattre et lutter.

Ce fut l’impression des spectateurs de cette scène.

On déboucha dans la cour de la Roquette, bordée de trois côtés par des bâtiments.

La grande porte d’entrée étais fermée et masquait la place.

On entendait le murmure d’une foule houleuse.

Deux surveillants tenaient chacun un battant de la porte…

Tout à coup, ils l’ouvrirent et l’échafaud apparut rougeâtre, hideux, dans son cadre de soldats, de policiers et de curieux.

— Allons vite, les enfants, dit M. Dublair.

En un clin d’œil, le corps inanimé de Général fut porté jusque sur la bascule de la guillotine.

Au premier rang, un homme regardait avidement.

L’émotion le secouait.

— Enfin !… murmura-t-il.

Cet homme, c’était le président Bartier, l’immonde magistrat.

Ou allait guillotiner son fils !

Et il répétait :

— Enfin ! enfin !…

Pendant quelques secondes, la foule avait vu le combat fantastique, désordonné, du cadavre contre le bourreau et ses aides.

Le mort semblait doué d’une vie étrange, terrifiante.

L’aumônier courait le crucifix à la main…

Sur l’échafaud, tout mouvement cessa et le corps s’affaissa sur la bascule.

Flack enleva prestement l’étoffe noire qui recouvrait le cou. Un aide se plaça a droite auprès du vaste panier rouge dont il repoussa le couvercle.

Un autre alla se placer devant la lunette, prêt à retenir la tête du décapité.

Le bourreau appliqua violemment sa main sur le dos du cadavre, tandis que le dernier aide soulevait la bascule par en bas.

— Houp ! allons-y.

La bascule fit un quart de cercle et roula vers le trou béant.

M. Dublair baissa rapidement la partie supérieure de la lunette.

Un silence funèbre régnait sur la place.

Quelques cris de femmes retentirent, perdus bientôt dans une clameur immense.

L’exécuteur avait tourné la poignée fatale.

Le mouton descendit comme une ombre noire sur la raie étincelante du tranchant.

Le coup sourd et rapide fit passer un tressaillement dans la foule.

L’aide, placé devant la guillotine, tenait par les cheveux la tête livide du supplicié.

Il la jeta dans le panier.

Le corps poussé dans la manne fut rapidement chargé sur un fourgon qui attendait.

Le fiacre de l’aumônier se mit en marche.

Deux gendarmes à cheval prirent la tête du convoi qui se dirigea vers le cimetière d’Ivry.

Deux autres gendarmes suivirent.

Les spectateurs s’écartèrent et le sinistre cortège prit le galop, s’évanouissant dans l’ombre matinale, comme une fuite de fantômes…

Sur la place de la Roquette, il ne resta bientôt plus de trace de l’affreuse scène…

On jeta des sceaux d’eau.

Des ouvriers démolirent rapidement les bois de justice.

L’échafaud avait disparu quand le jour commença à poindre.

Il s’évanouit avec le matin comme un cauchemar qui s’envole…