Le Vampire (Morphy)/28

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 172-176).

CHAPITRE IX

La voiture cellulaire.

Onze heures sonnaient quand la voiture cellulaire s’arrêta devant le poste de gendarmerie de Saint-Ouen.

En raison de l’importance de la capture, on avait pris des précautions spéciales, sans se borner à suivre les usages administratifs.

Les huit compartiments du lourd véhicule étaient absolument vides.

Dans l’allée se tenait un agent de police.

De plus, outre le cocher et l’employé de service, il y avait encore un garde municipal.

Toutes les précautions étaient donc prises.

Une attaque avait bien peu de chances de réussir dans des conditions aussi défavorables.

Cependant Caudirol avait résolu de tenter la chance.

Dissimulé à quelques pas du poste, ainsi que ses hommes, il attendait le moment favorable.

Il causait avec Tintin qui lui racontait tous les détails de l’arrestation de Sacrais.

— On l’a fouillé, c’est sûr. Aussi il n’a aucun instrument sur lui. C’est dommage !

— Pourquoi cela ?

— C’est bien simple. Vous savez… ou plutôt, non, vous ne savez pas encore comment est fait l’intérieur d’un panier à salade.

— Eh bien ?

— On est enfermé dans une petite boîte de cinquante centimètres de côtés, haute à peu près d’un mètre quarante.

— À quoi me sert cette description ?

— Voilà : c’est que le plancher est à claires-voies. On voit le pavé sous soi… c’est même vexant. Du moins, c’est l’effet que ça me produit.

— Continue, fit Caudirol, j’ai une idée.

— Oh ! je devine… si Sacrais avait une scie… n’est-ce pas ?

— En effet.

— Il n’aurait qu’à scier quelques bouts de bois et se laisser glisser en bas… Quand on ouvrirait la boîte. Plus personne… bonsoir !

— As-tu une scie ? interrogea Caudirol.

— Non, mais La Puce en a une, sûrement.

— Appelle-le et reste éloigné.

Un instant après, La Puce accourut par bonds.

— Il est gros comme rien, pensa Caudirol. Il fera l’affaire.

Il demanda au jeune bandit :

— Tu as une scie ?

— Oui, patron, et une fameuse encore !

— C’est bien… Tu vois cette voiture ?

— Le panier à salade ? je vous crois !…

— Tu vas te glisser dessous.

— Hum ! ça peut se faire… Et puis ?

— Et puis tu regarderas dans quel compartiment on mettra Sacrais.

— Compris… et je lui passe ma scie, pas vrai ?

— Juste. Fais en sorte de n’être pas vu.

— Dame ! c’est mon jeu.

La Puce, à qui ce surnom avait été donné en raison de l’exiguïté de sa taille et de son incomparable vivacité, se glissa jusqu’à la voiture cellulaire.

Cette première partie de sa mission n’était pas la plus difficile à remplir.

Favorisé par la nuit, il put se couler sous le véhicule.

Il se blottit auprès d’une roue.

L’agent de police était descendu et venait d’entrer à la gendarmerie.

L’employé et le garde municipal causaient ensemble.

— Voyez-vous, disait le premier. Nous mettrons notre gaillard dans cette cellule du fond… Ici.

Et il ouvrit un des compartiments.

— Merci du renseignement, pensa La Puce.

Il se mit en devoir de scier les barreaux du fond à claires-voies.

La scie mordait facilement dans le bois mou…

Le travail s’avançait.

Le bruit de la pluie et des rafales empêchait d’entendre le léger frottement de la scie.

— Ça sera toujours autant de moins à faire pour Sacrais, se dit La Puce.

Déjà un côté des barreaux était scié.

La Puce entamait l’autre partie, quand un bruit de pas et un mouvement de bascule de la voiture lui apprit qu’on amenait Sacrais.

— Fourre-toi là-dedans, disait une voix. Ah ! mon vieux, si je n’avais pas perdu mon temps à chercher une espèce de récidiviste d’occasion… un Larcier de malheur… tu aurais déjà fait connaissance avec le papa Haroux.

La Puce entendit un bruit de porte refermée.

Pendant que l’employé faisait jouer les trois serrures qui ferment les compartiments de toute part, il appela doucement :

— Sacrais, c’est un ami… Je suis La Puce.

Il attendit une réponse.

— Quoi ? demanda Sacrais anxieusement.

— Voilà une scie… tiens, attrape… J’ai déjà défait ce côté-là des barreaux… fais le reste.

— Compris, répondit vivement Sacrais.

Il allait se mettre à la besogne quand survint un contre-temps.

On ouvrit le guichet de fer ménagé dans la porte.

— Faut avoir l’œil sur ce gaillard-là, disait l’agent Haroux.

— Merde ! fit La Puce avec dépit.

Et sans être aperçu des gendarmes qui étaient derrière la voiture, il s’esquiva.

Caudirol le rejoignit.

— Eh bien ?

— Pas de chance ! s’écria La Puce. On a ouvert le guichet… Jamais ça ne se fait… Cré bon sang ! quel guignon, et moi qui avais déjà fait la moitié de l’ouvrage.

— Tant pis, fit sourdement Caudirol, nous donnerons l’attaque…

Il fit entendre un léger sifflement.

Tous les bandits arrivèrent de différentes directions.

— Marchons en avant sur la route, leur dit Caudirol… À cinquante mètres d’ici, nous prendrons la voiture de vive force, la ruse ne nous réussit pas.

— Bravo, approuva Tord-la-Gueule.

Aucune opposition ne se produisit ; d’ailleurs pour ces hommes l’ordre du chef était sacré.

La Sauvage, qui s’était tenue à l’écart, se rapprocha de Caudirol.

— J’en suis, moi, n’est-ce pas ? fit-elle d’un air câlin.

— Soit, mais de la prudence !

— En effet, ce n’est pas une plaisanterie, fichtre ! appuya Bambouli… Donner l’assaut au panier !

— Qu’est-ce à dire ? demanda violemment Caudirol. Ai-je des hommes avec moi ?

Personne ne répliqua.

Les bandits se perdirent dans la nuit.

La voiture cellulaire s’ébranla et prit le grand trot.

Les gendarmes rentrèrent dans leur poste.

La route redevint déserte.

Tout à coup la voiture eut un brusque cahot et s’arrêta.

— Diable ! s’écria l’agent Haroux en prêtant l’oreille.

Au dehors il entendit une forte voix qui disait :

— Aussi vrai que j’m’appelle Tord-la-Gueule, voilà un nom de Dieu d’cocher qui n’trimballera plus les amis.

— Attention ! fit l’agent Haroux, gare à la porte… Feu ! Vous y êtes, municipal ?

— Pour sûr qu’il y est, hurla Caudirol qui apparut soudain à la portière et planta son poignard dans la gorge du soldat.

Une double détonation retentit.

Le conducteur et l’agent avaient tiré sur l’assassin.

Caudirol se jeta brusquement en bas de la voiture.

Il n’avait pas été atteint.

Sacrais profita du tumulte pour secouer la porte.

L’agent Haroux courut fermer le guichet.

— Agite-toi maintenant, gredin, dit-il à Sacrais.

— Imbécile ! ricana celui-ci.

Et, fiévreusement, il se mit à scier les barreaux de bois qui tombaient un à un, mais trop lentement à son gré.

— Oh ! mais ça ne finira donc pas ! disait-il.

La lutte continuait entre les assaillants et les assiégés solidement enfermés.

— Nom d’un tonnerre ! hurla Tord-la-Gueule.

Et s’arc-boutant contre une roue, il essaya de renverser l’énorme voiture sur le flanc.

Ce fut en vain.

Caudirol, furieux de la mauvaise tournure que prenait l’attaque, se précipita vers Tord-la-Gueule qu’il rejeta de côté.

— Tiens, dit-il, voilà comme on travaille.

Il exerça une poussée terrible, tout en soulevant la roue de ses mains crispées.

La voiture s’éleva et bascula, entraînant les chevaux qui roulèrent avec elle.

Au loin, on entendait des cris.

On arrivait du poste de la gendarmerie.

Sacrais sciait toujours les barreaux.

— Hardi ! les amis, criait-il.

Tord-la-Gueule voulut prendre sa revanche. Il s’adressa à Sacrais.

— Gare-toi, dit-il, et jette ta ferraille.

Il saisit les barreaux et les arracha sur toute la longueur de la voiture.

Sacrais se glissa hors du compartiment.

— À une autre fois, monsieur Haroux, dit-il avec un éclat de rire sauvage.

— Malédiction sur moi l fit celui-ci avec rage.

Les secours arrivaient, mais il était trop tard…

Les bandits s’étaient enfuis à la faveur des ténèbres.

La victoire leur restait.