Le Vampire (Morphy)/36

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 229-237).

CHAPITRE XVIII

La perquisition.

Mélanie, la femme de chambre de Mme Bartier, la belle-sœur du Docteur-Noir, était restée dans la demeure de celui-ci.

Le médecin lui avait offert si gracieusement l’hospitalité, qu’elle l’avait acceptée simplement, sans démonstration de gratitude.

Mais la reconnaissance était dans son cœur.

Elle avait un profond respect pour cet homme loyal qui, par suite de drames intimes, se trouvait être le père de Georges, le fils adultérin de Mme Barlier.

La brave créature se promettait de servir le Docteur-Noir comme elle avait servie sa malheureuse maîtresse.

Elle se sentait prise d’une pitié immense en songeant aux souffrances qu’endureraient désormais les enfants du président, privés de leur mère…

Madeleine savait ce que faisait Jean-Baptiste Flack, Il était parti aussitôt après son maître, saisi d’un pressentiment de mauvais augure.

Son étonnement ne fut pas grand en voyant arriver le soir. Le Docteur devait avoir de nombreuses occupations qui l’avaient retardé.

Quant à son domestique, il ne devait pas le perdre de vue, et, sous la surveillance de ce gardien dévoué et intelligent, il n’y avait rien à craindre pour M. Lucien, — c’est ainsi que Madeleine appelait le frère du président.

Elle avait si souvent entendu sa pauvre maîtresse prononcer ce nom, qui lui rappelait une faute bien chère, qu’elle l’avait retenu…

Madeleine, installée dans la maison, mit tout en ordre et prépara le repas.

Quand la nuit fut complètement tombée, l’inquiétude la plus vive commença à la tourmenter…

Les heures s’écoulèrent.

Elle s’installa sur un fauteuil et attendit avec impatience.

Au moindre bruit, elle courait vers la porte, prêtant l’oreille.

Chaque fois, c’était une fausse alerte ; la nuit se passa sans amener rien de nouveau.

Elle finit par s’assoupir et quand elle se réveilla le jour commençait à poindre, gris et terne.

Comme elle réparait le désordre de sa toilette, un coup de sonnette la fit tressaillir.

Elle se hâta d’aller ouvrir…

— Comment ! vous revenez seul ? fit-elle en voyant apparaître Jean-Baptiste Flack.

Le domestique l’interrogea.

— Vous n’avez pas revu le docteur ?

— Mais non, et vous-même ?

Flack demeura perplexe. Cependant, une réflexion calma son inquiétude. Le Docteur-Noir n’avait pu sortir du cimetière la nuit. Il avait dû attendre l’ouverture des portes.

— Il va arriver d’un moment à l’autre, dit-il à Madeleine.

Et il s’approcha de la fenêtre.

— Diable ! exclama-t-il en se reculant vivement.

— Qu’y a-t-il ? mon Dieu !…

— Je viens de voir entrer dans la maison des hommes à l’air louche. Ça m’a tout l’air d’une descente de police.

— Mais, en tous cas, ils ne viennent pas ici.

— Je l’espère ; cependant, prenons nos précautions. Je vais garer les papiers du docteur.

Il entra dans une pièce voisine et revint avec un coffret.

— Pouvez-vous cacher cela sous vos vêtements ? demanda-t-il à Madeleine.

— Je vais essayer.

— Il est trop tard, les voilà.

Un violent coup de sonnette venait de retentir.

Madeleine ne perdit point la tête ; elle mit rapidement son chapeau, s’enveloppa dans son châle, en dissimulant le coffret.

Puis elle se rassit et attendit.

Jean-Baptiste Flack la comprit. Il courut ouvrir la porte.

Il avait devant lui quatre personnes.

— Un commissaire et trois, roussins, pensa-t-il. Attends un peu. Je vais les recevoir.

Et s’adressant à celui qui lui paraissait être le plus important :

— Vous venez pour une consultation ?

L’autre le regarda de son œil vif :

— Qui êtes vous ? interrogea-t-il.

— Monsieur, je suis Jean-Baptiste Flack, domestique au service de M. Lucien Bartier, docteur… Et vous ?

L’inconnu lui dit lentement, pensant le terrasser :

— Je suis M. Coënne, chef de la sûreté.

— Ah ! mais, donnez-vous donc la peine d’entrer, fit Jean-Baptiste Flack d’un air dégagé.

Les policiers pénétrèrent dans la pièce où se tenait Madeleine.

— Quelle est cette personne ? demanda M. Coënne.

— Une amie à moi, fit le domestique en se rengorgeant.

— Elle vient d’arriver ? dit encore le chef de la sûreté.

— Oui, et nous n’avons pas encore eu le loisir de causer.

— Ce sera pour une autre fois. Mademoiselle est de trop pour le moment.

— Oh ! si je vous dérange, je m’en vais, fit Madeleine simulant la plus grande confusion.

Et elle s’empressa de gagner la porte.

Les policiers la laissèrent sortir sans le moindre soupçon.

— Je reviendrai ce tantôt, monsieur Flack, dit-elle en se retirant.

— Ah ! maintenant, nous allons causer, mon ami, fit M. Coënne.

Flack écoutait gravement.

— Ma présence ne vous surprend pas ? demanda le chef de la sûreté ?

— Non, en aucune façon.

— Tiens ! tiens !

— C’est toujours cette histoire de l’Opéra qui se continue. Voilà un coup de pistolet qui a fait du bruit !

— Il y en a qui en font moins, fit le chef de la sûreté d’un air fin.

Et il ajouta en pesant sur chacun de ses mots :

— Surtout, quand on emploi des armes à air comprimé.

Jean-Baptiste Flack resta ébahi.

— Où avez-vous passé la nuit ? continua M. Coënne.

— Mais… dans un lit, répartit le domestique d’une façon évasive.

Il présentait qu’un malheur était arrivé, à son maître et il ne savait que répondre pour ne pas le charger par ses déclarations.

— Je vais être arrêté, pensa-t-il.

— Vous avez passé la nuit dans un lit, en effet, reprit M. Coënne. Mais avec qui ?

— Fichtre ! il est bien renseigné, se dit le pauvre Flack qui devint tout déconfit.

Le chef de la sûreté jouissait de sa confusion.

— Eh bien ! répondez… Pourquoi cacher cela ?…

— Vous me demandez avec qui j’ai passé la nuit ? finit par dire Jean-Baptiste Flack.

— Vous avez l’intelligence vive, fit M. Coënne, vous avez parfaitement compris ma question. Tout serait pour le mieux si vous y répondiez.

— Je n’y répondrai pas, déclara le domestique. Laissez-moi seulement vous adresser des compliments sur vos agents.

— Ils ne sont pas trop mauvais, il est vrai, dit le chef de la sûreté en souriant à ses compagnons.

Ceux-ci eurent l’air d’admirer la bonhomie et la pénétration de leur supérieur.

M. Coënne crut devoir mettre fin à ce dialogue embrouillé.

— Je ne veux pas jouer avec vous comme le chat avec la souris, dit-il à Flack. Vous avez passé la nuit… dans un lit, comme vous me le disiez avec beaucoup d’à-propos. Mais il y avait une autre personne dans ce lit.

— Nous y voilà, pensa Flack.

— Il y avait une femme… et fort passable… ma foi. Votre nuit a dû être excellente.

— Supposez-vous que ?… s’écria le domestique, qui comprit qu’on l’accusait d’avoir abusé de la baronne de Cénac… Oh ! monsieur…

Le chef de la sûreté se prit à rire malicieusement.

— Voyons, vous n’avez pas gardé vos caleçons, ni même votre chemise, peut-être.

— Il est sorcier ! pensa Flack en regardant M. Coënne avec une admiration mêlée d’effroi.

— Vous avouez ? demanda le policier.

Jean-Baptiste Flack se souvint qu’en matière de justice, il faut toujours nier tout… même l’évidence.

— Je n’avoue rien, fit-il.

— Vous avez tort… Il faut que jeunesse se passe… Ah ! ah ! mon gaillard !

— Et puis… votre gaillard ?

— Ne vous fâchez pas, fit M. Coënne. Il n’y a qu’une chose qui m’étonne. C’est que, passant la nuit pour la première fois avec une bonne amie, vous ayez eu le courage d’être si matinal. Vous me surprenez, monsieur Flack.

— C’est possible, M. Coënne.

Le chef de la sûreté n’aimait pas que l’on prononçât son nom d’une certaine façon.

Sa bonne humeur apparente disparut comme par enchantement.

— Il ne s’agit point de cela, fit-il d’un ton sec. Vous avez reçu hier la visite de cette femme qui vient de sortir sur mon invitation. Vous n’êtes pas sorti depuis ce moment. Vous avez passé la nuit ici avec elle, je le sais !
Ils sont restés à se lamenter dans une pièce de l’hôtel.

— Oh ! l’imbécile, le crétin, le pocheté ! murmura Jean-Baptiste Flack avec ravissement. Est-il permis d’être chef de la sûreté et de se montrer aussi bête ?

Il comprit immédiatement le quiproquo.

La concierge ne l’avait vu ni sortir la veille ni rentrer le matin.

Elle avait remarqué que Madeleine restait chez le docteur.

Cancanière avant tout, elle avait été colporter dans le voisinage les amours prétendus de Flack et de la femme de chambre.

Le chef de la sûreté venait de pratiquer une rapide enquête, et il avait pris ces racontars pour argent comptant.

De là ces mots à double entente qui avaient, donné le change à Jean-Baptiste Flack.

— Est-ce vrai ? fit M. Coënne d’un ait fin.

— Je ne conteste rien.

— Ah ! enfin… Mais vous conviendrez que la police n’est pas aussi mal faite qu’on veut bien le dire.

— Quelle tourte ! murmura Flack.

— Vous dites ? demanda le chef de sûreté.

— Je dis quel tour !… Quel tour vous me jouez.

— Ne parlons plus de cela, M. Flack, c’était, simplement pour entrer en matière, et vous prouver qu’avec nous il vaut mieux jouer franc jeu.

Le domestique acquiesça d’un signe de tête.

M. Coënne interrogea longuement Jean-Baptiste Flack sur son maître.

Le fidèle domestique se garda bien de dire la moindre chose qui put le compromettre.

Il se tenait sur la défensive, attendant le résultat de cet interrogatoire.

Qu’était-il advenu au docteur ? voilà ce qu’il se demandait anxieusement.

— Vos renseignements me paraissent suffisants, lui dit M. Coënne. Je pourrais vous arrêter préventivement, mais je ne le juge pas nécessaire.

— Ni moi non plus, fit Jean-Baptiste Flack à l’un des policiers, tandis que M. Coënne parcourait l’appartement.

Le policier prit Flack par un bouton de son paletot.

— Vous avez une chance extraordinaire, lui dit-il confidentiellement. Il ne veut pas vous impliquer dans l’affaire, et vous n’y serez pas. Son idée est que vous n’êtes pas de connivence avec votre maître. C’est un bonheur pour vous.

— Effectivement.

Le policier continua sur un ton plus bas :

— Ça dépend comme il est luné. S’il se mettait dans la tête que vous avez empoisonné deux ou trois femmes, vous auriez beau dire : Mon bel ami, vous n’y couperiez pas. Il vous ferait condamner à mort, comme rien du tout.

— Diable d’homme ! dit Flack à haute voix.

Et en lui-même il pensait :

— Fichue bête, va !

M. Coënne procéda à une perquisition minutieuse.

Il maugréait tout en fouillant partout sans rien découvrir.

Rien ne lui tombait sous la main…

Il revint vers Jean-Baptiste Flack.

— Votre maître a une maison de campagne, n’est-ce pas ?

La concierge interrogée, avait donné ce détails ; mais elle ne savait pas l’endroit exact.

M. Coënne reprit d’un air indifférent :

— Il a une maison à… Comment appelez-vous ce petit pays-là ?

— Ah ! pour cela, je l’ignore. Le docteur ne m’a jamais donné l’adresse, mais je crois que c’est…

Il pensa à part lui :

— C’est à Noisy, mais cherche, mon vieux.

— Vous dites que c’est à ?… répéta le chef de la sûreté.

— Ça doit être du côté de… Clamart.

M. Coënne s’empressa de prendre l’adresse en note.

Il fit encore quelques questions auxquelles Jean-Baptiste Flack répondit de la même façon et la perquisition se poursuivit.

Le chef de la sûreté saisit pour la forme un certain nombre de lettres insignifiantes et des documents de médecins.

— Vous n’avez rien trouvé de suspect aux allures de votre maître, hier ? fit M. Coënne.

— Absolument rien. Il était parfaitement calme… Mais, à mon tour, puis-je savoir ce qui s’est passé ?

— Je n’y vois pas d’inconvénients, répondit le policier. Autant que vous le sachiez aujourd’hui par nous, que demain par les journaux.

Et s’adressant à l’un des agents.

— Vous pouvez causer avec ce domestique, lui dit-il.

Jean-Baptiste Flack se rapprocha du mouchard.

— Eh bien ? questionna-t-il, tandis que M. Coënne furetait partout.

— Votre maître a commis un crime épouvantable. Il a déterré une femme et en a fait disparaître le cadavre. Il y avait de l’argent en masse dans la bière. Tout a disparu, sauf un rouleau d’or qui est resté caché dans un coin…

— Qui avait mis l’argent dans ce cercueil ?

— Le mari. Oh ! M. Coënne a reconstruit toute l’histoire. Parbleu ! ce n’était pas étonnant si M. de Cénac ne laissait rien à ses héritiers. Il avait réalisé toute sa fortune en valeurs au porteur et en billets de banque !

— Et il a tout mis dans la bière ?

— Cela s’est su, et voici comment : Les parents de Mme de Cénac, héritiers du baron, s’étaient empressés de venir à l’hôtel après l’affaire de la rue des Gravilliers.

— C’était leur intérêt !

— Mais ça n’a pas réussi. Le baron leur a fait interdire sa chambre et ils sont restés à se lamenter dans une pièce de l’hôtel.

— Ah ! ah ! les pauvres héritiers !

— Pas tant que cela ! Le baron avait quitté son lit, malgré sa blessure, et s’était promené dans l’hôtel, on ne sait pourquoi. Quand il a été mort et enterré, lorsque les héritiers ont vu qu’il ne laissait rien, leur imagination a travaillé.

— Et ils ont découvert le pot au roses.

— Justement. M. de Cénac, en mourant, a avoué qu’il avait caché son argent. L’idée est venue hier à l’un de ses parents que la cachette n’était autre que le cercueil de sa femme. Il a écrit au préfet de police ; mais votre maître a devancé l’exhumation légale…

— Vous croyez qu’il savait le contenu du cercueil ?

— C’est évident. Il faisait partie des médecins qui ont soigné le baron.

Jean-Baptiste Flack réfléchit sur ce récit qui lui semblait invraisemblable.

— Vous dites que le corps de la baronne a disparu ?

— En effet, il n’en reste, pas de traces.

— C’est bien étrange.

— Pas trop. Votre maître avait des complices. La preuve c’est que l’un d’eux a trouvé la mort dans l’entreprise.

La police avait, en effet, retrouvé au fond du caveau, le corps de La Guiche tué par Caudirol.

Le mouchard continua :

— Votre maître est sûr de son affaire ! Il a tué le garde du cimetière, le pauvre Bonnasse.

— Par exemple ! s’exclama Jean-Baptiste Flack.

M. Coënne guettait le domestique du coin de l’œil.

Cette explosion de surprise lui sembla de bon augure.

— Décidément le docteur ne l’a pas initié à ses secrets, pensa-t-il.

Flack resta abasourdi, sans pouvoir articuler une parole…

La perquisition était terminée.

M. Coënne et ses agents quittèrent l’appartement du Docteur-Noir.

À peine étaient-ils descendus que Flack perçut un léger grattement contre la porte.

Il ouvrit d’un air inconscient.

C’était Madeleine qui, au lieu de s’en aller, avait monté un étage et avait guetté le départ des policiers.

— Qu’avez-vous ? demanda-t-elle au malheureux Flack qui restait devant elle, bouche béante, sans souffler mot.

— Le docteur est accusé de meurtre et de vol, fit le domestique, mais soyez certaine qu’il est innocent.

— Que dites-vous ? s’écria Madeleine.

Flack se rapprocha d’elle.

— La vérité, répondit-il. Malheureusement, le fait est trop certain.

— N’importe, nous le sauverons.

— Bien dit, approuva Flack qui prit les mains de la femme de chambre et les serra dans les siennes.

L’intelligence de la situation lui revint tout à coup.

Il se précipita dehors.

— Il faut retenir la baronne de Cénac. Là est le salut de mon maître.