Le Vampire (Morphy)/53

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 322-326).

CHAPITRE VI

Préparatifs.

Arrivés à la hauteur du Panthéon, les bandits entrèrent chez un restaurateur où ils passèrent une partie de la journée.

Jean-Baptiste Flack attendit patiemment leur sortie.

Ce ne fut pas sans précautions que la Sauvage et ses compagnons pénétrèrent ensuite dans la rue des Lyonnais.

La mère Peignotte était sur la porte de son ignoble garni. Elle vit arriver les bandits et elle leur fit un petit signe de la main, pour leur indiquer qu’il n’y avait pas de danger.

L’estaminet de l’hôtel était vide.

Les nouveaux venus allèrent s’installer dans le coin le plus sombre.

La Sauvage se mit à causer avec la mère Peignotte.

— Vous n’avez pas peur, ma petite ? fit celle-ci avec un effroi mal dissimulé.

— Pourquoi donc ? Cette bêtise ! La police saura que je suis venue ici dans quinze jours peut-être. On vous surveillera pendant une semaine et tout rentrera dans l’ordre.

— Vous m’étonnez, fit la patronne avec admiration.

Puis se ravisant, elle reprit très inquiète :

— Sans indiscrétion. Qu’est-ce que vous allez faire ?

— Nous ? Mais rien du tout. Qu’est-ce que vous voulez que nous fassions ?

— Est-ce que je sais, moi ? Vous avez de si drôles d’idées.

La Sauvage se prit à sourire.

— Nous avons à causer de choses sérieuses avec un de nos amis qui demeure chez vous.

— Ah ! et qui donc ?

Le Nourrisseur qui les écoutait intervint :

— Eh ! vous savez bien, la mère !

— Mais non !

— Si, si. Le type qui vous a loué la chambre du premier étage hier au soir.

— Tiens, vous le connaissez ? Il est à son aise, le gaillard ; il paie trois francs la nuit, rien que ça !

— C’est une connaissance à Sacrais et à la Sauvage. Ils ont à causer de choses sérieuses.

La mère Peignotte pressentait quelque mauvais coup qui se machinait.

— Il est en haut pour le moment, si vous voulez monter…

Les bandits qui étaient restés au fond de la boutique sortirent avec la Sauvage et gravirent l’escalier sombre et humide de la maison.

La mère Peignotte ferma le débit de liqueurs, et, restée seule avec son mari qui dormait affaissé sur le comptoir, elle secoua violemment celui-ci.

— Je crois qu’il se trafique quelque chose de pas clair ici. La Sauvage et un tas de brigands de sa suite sont venus voir notre locataire du premier. Je flaire un tour de Sacrais.

— Pas de danger, il ne voudrait pas nous attirer d’histoires, répondit le patron en s’étirant les bras. D’abord, le Nourrisseur est là pour un coup, et il ne laisserait pas arriver du grabuge chez nous.

La patronne peu rassurée reprit sa place à la porte de la boutique.

Tandis qu’elle émettait ces craintes, les bandits faisaient irruption dans la chambre du premier où se trouvait Zim-Zim, leur camarade.

C’est lui qui, la veille, avait loué la chambre sur l’ordre de Sacrais.

C’était une grande pièce, la meilleure de l’hôtel Peignotte.

Après quelques paroles d’amitié, Sacrais s’adressa aux bandits :

— Titille est en bonnes mains. Bambouli nous la ramènera saine et sauve.

— Et puis ? questionna Zim-Zim.

— Ils entreront à l’estaminet et prendront un verre ou deux. Ensuite Bambouli demandera à la mère Peignotte ; « Dites donc, vous n’avez pas une jolie chambre pour la nuit, avec un bon lit et un sommier qui ne fasse pas trop de musique ? » Au même moment, toi, Zim-Zim, tu redescendras et tu rendras ta clé en disant que tu t’en vas.

— De sorte que la chambre sera libre ?

— Parfaitement. D’autant plus que tu diras tout bas à la mère Peignotte que nous sommes partis depuis cinq minutes par le couloir et que tu nous rejoins pour faire une petite expédition.

— Très bien. Ça passera comme une lettre à la poste. Les patrons ne connaissent pas Bambouli ?

— Non, il n’est jamais venu ici.

— Ah ! tant mieux.

— Donc ; la mère Peignolte donne cette chambre-ci à Bambouli et à sa payse. Elle les y conduit et constate qu’effectivement nous sommes tous partis… Bien entendu, nous serons tassés dans le cabinet de toilette,

— Diable ! on n’aura pas froid ! exclama La Marmite.

— C’est probable. Maintenant vous devinez la suite : Nous réglons nos comptes en famille avec cette chère Titille et nous attendons la fermeture. Alors, vers deux heures du matin, nous décampons sans tambour ni trompette.

Le Nourrisseur écoutait attentivement.

— Ma foi, dit-il, si ça se passe comme ça tout le monde sera dépisté, La mère Peignotte elle-même croira bonnement que nous ne sommes pour rien dans l’affaire.

— Certainement, fit Sacrais. Voyez un peu : Un inconnu et une fille louent une chambre pour la nuit. Le lendemain, on ne trouve plus l’inconnu, mais en revanche on remarque que sa donzelle a le sommeil dur… Oh ! mais d’un dur !…

Les bandits éclatèrent de rire en entendant cette plaisanterie,

— Il est épatant, ce Sacrais, s’écria Zim-Zim.

— De cette façon, ajouta le Nourrisseur, la mère Peignotte n’aura rien à me reprocher. D’ailleurs c’est de la réclame pour sa maison.

Sacrais approuva :

— Elle n’aura rien à dire. Et puis nous ne pouvons pas prudemment faire notre petite farce dans une autre maison. Ici, on peut crier à la garde, du diable si quelqu’un se dérangera.

En achevant sa phrase, il alla se poster à la fenêtre en observation.

Il ne remarqua pas Jean-Baptiste Flack qui se promenait à quelque distance de l’hôtel.

Son regard tomba sur un couple bruyant qui faisait son entrée dans la rue.

— Les voilà, dit-il, avec une expression de physionomie hideuse.

Titille et Bambouli se dirigeaient vers l’hôtel Peignotte ; ils entrèrent dans l’estaminet.

— C’est le moment, fit Sacrais à Zim-Zim.

Celui-ci s’empressa de descendre, tandis que la Sauvage et les bandits s’enfermaient dans le cabinet attenant à la chambre.

Quand il entra dans le débit, par la porte de la cour, Zim-Zim aperçut Titille et Bambouli installés devant une table.

Versez,… versez-nous donc à boire,

chantait le bandit qui affectait d’être ivre.

Et, tout à coup, interrompant sa chanson, il cria à la patronne :

— Dites donc, la commère, avez-vous une chambre d’aristo ?

Juste au même instant, Zim-Zim rendait sa clé en annonçant qu’il rejoignait ses amis, qui avaient pris les devants.

— Ils ont bien fait de ne pas entrer ici, fit la mère Peignotte, car je remarque depuis pas mal de temps un individu assez louche qui se ballade devant la maison.

— Nous l’avons bien vu, déclara effrontément Zim-Zim.

La patronne se retourna vers Bambouli et Titille.

— Vous tombez bien, fit-elle, j’ai justement une chambre superbe.

Et s’adressant à Zim-Zim :

— Elle a été faite ce matin par mon mari. Vous n’avez pas défait le lit ?

— Non, répondit celui-ci, tout est en ordre.

— Alors vous pouvez monter, dit la mère Peignotte à Bambouli et Titille… C’est trois francs pour la nuit.

Zim-Zim était sorti de la boutique.

Il se trouvait dans la rue.

Pendant un instant il hésita ; enfin, il prit son parti et gagna le couloir de l’entrée.

Il le suivit jusqu’au bout, marchant courbé en deux, pour ne pas être vu par les patrons à travers le carreau donnant sur l’estaminet.

Puis il gravit lestement l’escalier et frappa doucement à la porte.

— Ouvrez, fit-il, c’est moi… Zim-Zim… Le tour est joué.

La porte s’ouvrit et se referma.

— On ne t’a pas vu remonter, demanda Sacrais.

— Non, mon vieux.

— C’était assez imprudent !

— Dame ! je voulais être de la fête. Mais cachons-nous. Ils vont monter. Je les entends déjà…

Les bandits se renfermèrent dans le cabinet.

Bientôt, la porte s’ouvrit livrant passage à Titille et à son compagnon.

— Ah ! maintenant, vous êtes chez vous, dit la voix de la mère Peignotte. Si vous avez besoin de quelque chose, vous n’avez qu’à descendre… Ah ! tenez ! remplissez-moi ces deux bulletins. C’est pour être en règle avec la préfecture.

Titille et Bambouli inscrivirent des noms de fantaisies, comme c’est l’usage dans les hôtels.

— Bonsoir, mes enfants, fit encore la mère Peignotte qui se retira.

Bambouli alla fermer la porte et mit la clé dans sa poche.

Pour plus de précautions, il poussa le verrou.

Titille se mit à rire :

— Oh ! n’aie pas peur ; on ne nous violera pas.

Elle commença à se débarrasser de son chapeau, et, s’adressant à son compagnon :

— Dis donc, tu es joliment veinard… Une virginité de quinze jours !

Le beau Bambouli restait froid et indifférent. Il souriait d’un air singulier.

— Qu’est-ce que tu as donc ? lui demanda Titille.

Il ne répondit rien et continua de la regarder en silence…