Le Vampire (Morphy)/54

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 326-332).

CHAPITRE VII

La pendue.

Les bandits et la Sauvage s’étaient tassés dans le cabinet, et en attendant le moment d’agir ils devisaient entre eux.

— Nous avons l’air de sardines dans une boîte, fit La Marmite. Mais ce n’est pas une raison pour ne point causer. Dites donc, la patronne, donnez-nous encore des nouvelles du chef.

Cette phrase s’adressait à la Sauvage.

Elle répondit au gamin :

— Il va bien, et ses affaires, c’est-à-dire les vôtres, sont en bonne voie.

— Mais alors, questionna La Puce, vous ne savez pas comment ça se fait que, l’autre fois, au cimetière du Père-Lachaise, un médecin ait été pincé pour le coup que nous avions monté ?

— Non, je n’en sais rien, ni le chef non plus. Je vous l’ai déjà dit en venant.

— C’est drôle la façon dont cette affaire-là s’est terminée, dit à son tour Tord-la-Gueule. Moi, en lisant ça dans les journaux, je croyais rêver.

La Sauvage imposa le silence.

— Attention, fit-elle, nous allons avoir à travailler…

Bambouli et Titille étaient enfermés dans la chambre, et rien ne s’opposait à ce que la vengeance de la Sauvage s’accomplît…

En cet instant, la porte du cabinet de toilette s’ouvrit, et les bandits firent irruption dans la chambre.

La Sauvage s’était ruée vers Titille et déjà elle la menaçait.

— C’est le moment de payer ses vieilles dettes, s’écria-t-elle.

Titille, surprise par cette brusque invasion, n’eut même pas la force d’articuler un son.

Le cri qu’elle essaya de jeter se perdit dans sa gorge.

Avant qu’elle eût fait un mouvement, les bandits s’étaient emparés d’elle et la maintenaient couchée sur un fauteuil.

Une lampe à huile éclairait faiblement cette scène de violence.

— Tu as dénoncé Général à Dublair, paillasse à mouchard ! lui dit la Sauvage d’une voix que la haine faisait trembler.

— Ce n’est pas vrai, murmura Titille.

— Oh ! la gueuse ! elle nie… Tu n’as pas fait arrêter Général des Carrières ?… Ce n’est pas Dublair, ton ancien amant, qui l’a guillotiné ?… Réponds !

Titille ne répliqua point.

Elle tremblait de tous ses membres et ses dents claquaient violemment.

La malheureuse était terrifiée.

La Sauvage poursuivit :

— Tu n’as pas chargé Général devant la Cour d’assises, peut-être ? Les journaux ont tous menti ?

Titille muette et anéantie semblait une vivante statue de la frayeur.

— Ne me faites rien, gémit-elle enfin.

La Sauvage eut un ricanement féroce.

Elle s’adressa à Tord-la-Gueule.

— Bâillonne-moi cette moucharde, ordonna-t-elle.

Le colosse, en dépit d’une résistance désespérée, enfonça un mouchoir dans la bouche de la malheureuse.

Celle-ci regardait ses bourreaux d’un air affolé.

Ses yeux s’ouvraient démesurément.

La Sauvage rejeta son manteau en arrière et apparut la taille enroulée dans une ceinture de soie.

Elle la défit en souriant d’un air sinistre.

Lentement, avec soin, elle fit un nœud coulant ; après quoi elle regarda autour d’elle.

Titille comprit le supplice qu’on lui réservait, et elle essaya de se dégager.

Ce fut en vain. Ses mouvements étaient paralysés par la vigoureuse étreinte des bandits, qui parlaient entre eux à voix basse.

— Ça manque de gaieté, observa La Marmite qui alla tirer les rideaux des fenêtres avec soin, et revint s’asseoir sur le pied du lit.

Tout à coup la Sauvage poussa une exclamation joyeuse :

— À merveille ! c’est cela même !…

Elle venait d’apercevoir, au milieu du plafond, le crochet qui sert à suspendre les lampes.

Une table était placée dessous. Elle y monta, et ainsi haussée, elle put passer l’extrémité de sa longue ceinture dans l’anneau.

Cela fait, elle redescendit.

— Enlève cette table, fit-elle à Tord-la-Gueule.

Le bandit obéit, et prenant la table comme il eut fait d’un jouet, il la déposa plus loin.

— À présent, tiens bon le bout de cette ceinture.

Tord-la-Gueule s’empara de l’extrémité de l’écharpe qu’on lui tendait.

Alors, la Sauvage se suspendit par les mains, du côté du nœud coulant, et se débattit violemment.

— N’aie pas peur de tomber, ma petite, fit-elle à Titille, c’est solide.

La malheureuse créature était plus morte que vive. Ses yeux épouvantés sortaient de leur orbite. Elle se débattit avec angoisse.

— Apporte le paquet, dit encore la Sauvage à Tord-la-Gueule.

Le géant prit Titille à bras le corps et l’amena au milieu de la pièce.

La Sauvage lui passa le nœud coulant et le serra.

— Enlevez-la, vous autres, cria-t-elle aux bandits.

Ceux-ci tirèrent sur l’écharpe de soie et Titille se débattit dans le vide.

— Redescendez-Ia, reprit la Sauvage.

Ils obéirent ; la pendue reprit pied et recommença à lutter.

— Remontez, commanda la Sauvage.

Et pendant que l’on exécutait son ordre, elle courut arracher un matelas du lit et elle le poussa au milieu de la chambre.

— Là ! redescendez la moucharde ; elle pourra danser à son aise.

En effet, le bruit des trépignements de la malheureuse était étouffé.

À plusieurs reprises la même scène se répéta.

— Hum, grogna la Marmite. J’aimerais mieux autre chose. Si c’était moi, je l’expédierais d’un coup et ça ferait le compte. C’est égal, les femmes quand ça s’en mêle, c’est rien féroce !

La Sauvage venait de pousser une nouvelle exclamation.

— Desserrez le nœud. Il faut varier les plaisirs de madame la moucharde. Pendons-la par les pieds !

Ce fut fait en un clin d’œil.

Titille, les traits bouleversés, suffocante, affolée, se laissait faire sans opposer de résistance.

Ses pieds furent attachés à la ceinture et on l’enleva brusquement en l’air.

Ce fut un éclat de rire général.

Sacrais et le Nourrisseur, qui étaient restés les témoins muets de cet atroce tableau, durent rappeler les hommes au sentiment du danger.

— Chut ! taisez-vous donc, firent-ils…

La Marmite.

Titille se balançait en l’air, les jupons rabattus sur la tête.

Elle apparaissait les cuisses et le ventre nus devant les bandits.

Un frisson de fièvre passa chez tous ces misérables.

La Sauvage s’en aperçut,

— La voulez-vous ? demanda-t-elle à ses hommes. Dites ?

— Mais tout de même, fit Bambouli ; d’abord, pour ce qui me concerne, c’était dans le programme.

— Accepté, firent les bandits à la ronde.

— Alors, payez-vous la ?

Seul, La Marmite eut un geste de refus.

— Merci de l’occasion, dit-il, moi je donne ma part aux autres…

Titille avait été descendue et jetée sur le matelas, par terre.

Les scélérats la tirèrent successivement au sort jusqu’au dernier.

Glissons sur cet abominable tableau.

La Sauvage n’avait pas encore assouvi entièrement sa vengeance.

Quand les scélérats eurent abandonné la malheureuse Titille, la maîtresse de Caudirol la saisit et lui passa encore une fois le nœud coulant.

— Au secours ! à moi ! s’écria la suppliciée.

— Hardi, Tord-la-Gueule, fit la Sauvage.

Elle avait regardé l’ignoble scène de rut qui venait de se dérouler sous ses yeux avec un sentiment de dégoût et de lassitude.

En voyant Titille, pendue encore une fois, étranglée, se tordant horriblement dans le vide, elle recommença à savourer le plaisir de la haine satisfaite.

Ses yeux s’allumaient comme des charbons dans la demi-obscurité.

Elle laissait échapper un sifflement de joie farouche.

Bientôt sa victime cessa de se débattre, et le corps inerte, sans vie, se balança avec la régularité d’un pendule.

— Crevée, la charogne ! dit la Sauvage entre ses dents.

Les bandits, fatigués, écœurés, considéraient en silence le cadavre qui, à présent, tournait sur lui-même, à mesure que la ceinture s’enroulait et se déroulait,

Sur un signe de la Sauvage, on descendit Titille et on la débarrassa de l’écharpe qui l’avait étranglée.

Le matelas fut remis en place, et le cadavre resta étendu sur le plancher.

— Voilà qui est bien, fit Sacrais, il ne s’agit plus que de s’en aller au bon moment. Toutes nos précautions sont prises. Attendons ici sans faire de bruit.

Les misérables avaient besoin de se donner du courage mutuellement,

— Il n’y a rien à craindre, reprit Tinlin, on n’a rien entendu.

— Eh ! la garce a gueulé, remarqua Bambouli.

— Pas fort.

— C’est à peine si elle a jeté un cri.

Le silence se rétablit et les bandits se disposèrent à passer le temps, les uns en se couchant sur le lit, les autres en s’installant le mieux possible sur les sièges.

La Sauvage se promenait dans la chambre, s’arrêtant de temps à autre devant la morte…

— Je vais voir si tout va bien, dit-elle enfin.

Elle ouvrit la porte et descendit l’escalier à pas de loup.

Comme elle arrivait au bas de l’escalier, elle entendit le bruit d’une vive discussion dans le bureau de l’hôtel.

Elle crut remarquer un cliquetis d’armes contre les murs.

Instinctivement, elle recula et s’enfonça dans la cour de l’hôtel.

Tout le monde était rentré dans les baraquements.

À une seule chambre, elle vit une lumière.

En ce moment, des agents en uniforme débouchèrent dans l’étroite allée.

Le père Peignotte les précédait en jurant que l’on se trompait.

— C’est bien, nous verrons, interrompit un homme en redingote noire.

La Sauvage se recula.

— Pas de chance, fit-elle. Nous sommes pincés.

Elle voulut s’engager à son tour dans le corridor, tandis que les agents montaient dans l’escalier.

L’entrée était gardée…

Elle rebroussa chemin et rentra dans la cour.

La chambre éclairée lui apparut comme le seul refuge où elle pût se cacher.

Sans perdre une seconde, elle y frappa.

Une minute, qui lui sembla sans fin, s’écoula…

La porte s’ouvrit, et une vieille femme, tenant une petite lampe à la main, reçut la Sauvage.

— Je voudrais bien passer la nuit chez vous, fit celle-ci. Rendez-moi ce service et vous ne vous en repentirez pas.

La vieille la regarda d’un air égaré.

Puis, tout à coup, sans transition, elle la tira vers elle et referma le porte.

— On me croit folle, dit la vieille… Ils m’appellent ici la mère Vengeance… Voyez-vous, j’ai une chanson à moi… Ils ne comprennent pas, eux !

Et la pauvre Marita, — nos lecteurs l’ont reconnue, — se prit à chanter son refrain lugubre :

Ma Pitchounette
Sera vengée ;
Ma Pitchounette
Sera vengée !

Malgré elle, la Sauvage frissonna, tant cette mélodie de la malheureuse femme vibrait avec une douloureuse passion.

— Vous voulez vous venger ? lui dit-elle.

L’Italienne lui fit répéter sa question plusieurs fois.

— Oui, répondit-elle enfin. Oui… Oui !

— Eh bien, je vis moi-même pour la vengeance… rien que pour cela, reprit la Sauvage… Je vous aiderai.

— Vous me ferez retrouver le prêtre… Celui qui a tué ma Pitchounette ?

Et elle tendait les mains d’un air de supplication suprême.

— Je vous le promets, déclara la Sauvage.

Celle-ci, on ne l’a pas oublié, ne connaissait pas le passé de son amant. Elle ignorait qu’elle fût la maîtresse du défroqué Caudirol.

Seul, parmi les bandits de Saint-Ouen, Sacrais connaissait sa véritable identité.

La Sauvage ne prit donc pas garde aux paroles de la vieille.

Elle éteignit la lumière et s’accroupit dans un coin du taudis, pour rester à écouter.