Le Vampire (Morphy)/59

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 358-363).

CHAPITRE XII

Madame Le Mordeley.

Dans sa lettre à la Sauvage, Caudirol n’avait dit qu’une partie de la vérité. Seul, Sacrais était entièrement au courant de ses projets.

Le défroqué avait mis à profit son séjour à Nantes pour prendre toutes ses informations. Il avait acquis la certitude que la légende des ducs de Lormières n’était pas éteinte. On ne considérait point dans le pays cette race comme disparue. On lui cita plusieurs branchés qui s’étaient fixées à l’étranger.

Les évènements politiques s’étaient, succédé et le drame qui avait précédé la naissance de son père n’avait laissé aucun souvenir. Ces diverses circonstances favorisaient ses idées ambitieuses.

Payant d’audace, il se fit annoncer chez madame Le Mordeley sous le nom de M. de Lormières.

Cette dame, déjà sur le retour, mais qui n’avait pas renoncé à plaire, reçut avec toute sorte de démonstrations le visiteur.

Caudirol joua son rôle à merveille. Il se donna comme un descendant de l’ancienne famille des Lormières, trop peu fortuné pour porter le titre auquel il avait droit. Il donna, comme motif de sa démarche, la fuite de Lydia de chez madame Le Mordeley.

— Alors cette méchante créature a été recueillie chez vous ? demanda celle-ci.

— Non pas, j’ai seulement appris qu’elle se recommandait de votre nom. Elle est chez des étrangers, elle vit avec des bohémiens qui la garderont si vous ne la réclamez pas. D’ailleurs, elle ne mérite guère d’éveiller votre charité ; elle ne cesse de parler en mal de sa bienfaitrice.

— Oh ! voyez donc ! Je vous en prie, monsieur, dites-moi où elle est. Je m’occuperai de la faire revenir.

— Je me chargerai bien volontiers de cette mission, repartit Caudirol.

— Vous habitez la capitale, sans doute ?

— Oui, madame, je suis venu à Nantes pour affaires et, par la même occasion, je me suis permis de vous donner ce léger renseignement.

— Mais je vous en suis toute reconnaissante. Vous êtes chez vous ici. Vous avez peut-être plus de droits que moi sur cette demeure !

— Oh ! nous ne vivons plus sous l’ancien régime. Les contrats de propriété ont plus de valeur que les titres.

— Alors, vous ne cherchez pas à me déposséder ? fit madame Le Mordeley en badinant.

— Mon Dieu, non, madame. Ce n’est pas le château que j’envierais.

— Bah ! et qu’est-ce donc ?

— Qui sait !… la châtelaine.

Madame Le Mordeley rougit de plaisir.

Ce fut ainsi que se termina cette première entrevue.

Caudirol avait produit son effet. Madame Le Mordeley resta sous le charme irrésistible et étrange de cet homme.

Elle ne cesse plus de penser à son illustre visiteur.

Cette pauvreté fière, cette distinction aristocratique, cette beauté mâle et enchanteresse, cette onction à la fois respectueuse et galante, tout cela contribua à faire perdre la tête à la pauvre femme.

Caudirol revint à la charge.

Cette fois, madame Le Mordeley, lui offrit un appartement au château pendant le temps qu’il resterait à Nantes.

L’intimité commença. Caudirol raconta dans tous ses détails l’existence de sa famille pendant l’émigration. La ruine des siens et les difficultés de sa vie. Il échafauda tout un roman.

Il montra incidemment des papiers qui eussent paru incontestables même à un officier de l’état civil.

Madame Le Mordeley n’en demandait pas tant. Son engouement l’eut fait passer par-dessus tout. Elle ne douta point qu’elle ne donnât véritablement, l’hospitalité au dernier descendant des ducs de Lornières.

Caudirol était un admirable comédien. Il captiva entièrement sa trop crédule victime. Dès lors, le succès de son entreprise était assuré.

Il passait ses journées avec madame Le Mordeley et il abondait dans son sens. En qualité de prêtre, il pouvait parler avec autorité des choses de la religion. Il charma de plus en plus la dévote qui ne pouvait plus se passer de sa présence.

Lui, profond anatomiste du cœur de la femme, se gardait bien de démasquer ses batteries. Il était galant mais réservé. Il avait un air de rêverie et de tristesse contemplative qui impressionnait vivement sa victime.

Entre temps, il examinait les allants et les aboutissants du château.

Il s’était installé dans le logement qu’on lui avait offert et il attendait patiemment les évènements en guettant sa proie… Déjà madame Le Mordeley était en son pouvoir. Le personnel domestique de la vaste demeure était très limité. Caudirol aurait pu se défaire impunément de la riche héritière, si tel avait été son but. Mais son tempérament d’aventurier lui commandait d’attendre un dénouement plus romanesque.

On connaît la lettre qu’il avait écrite à sa maîtresse.

Après avoir donné l’ordre que Lydia fût ramenée à Nantes, il s’occupa de découvrir la fameuse cachette dont Sacrais lui avait révélé l’existence. On n’a pas oublié que ce bandit, ancien clerc de notaire, s’était enfui avec les papiers les plus importants de son étude. Il avait, de la sorte, appris bien des secrets lucratifs. Pendant longtemps, il avait pratiqué un chantage éhonté contre plusieurs familles dont il tenait entre les mains l’honneur et la réputation.

Sa principale découverte avait été celle des sommes enfouies dans les souterrains du château de Lormières pendant la période révolutionnaire.

Il s’agissait de trouver les moyens pratiques de s’emparer de cette fortune.

Une première tentative dirigée contre la vieille héritière de la rue Rambuteau n’avait pas abouti. Les documents précieux dont on recherchait l’existence ne tombèrent pas entre les mains des bandits.

Général des Carrières, qui avait dirigé l’expédition, paya de sa tête son insuccès… Mais, avant de mourir, il fit part à Caudirol de la découverte d’un plan des souterrains, trouvé dans les papiers de la vieille avare.

Cette pièce, si importante, devait être en la possession de madame Le Mordeley, la nouvelle héritière.

Caudirol, on l’a vu, s’était bien gardé de parler à Sacrais de ce renseignement qu’il avait recueilli dans la cellule du condamné à mort.

Il se servait des bandits sans leur faire part de ses découvertes.

Sacrais pensait donc que le chef tâtonnait et cherchait péniblement à l’aveuglette ; lui-même connaissait les difficultés de l’entreprise, car il avait organisé contre le château une expédition qui n’avait pas réussi.

Loin de se fatiguer en recherches vaines, Caudirol marchait au but avec connaissance de cause… Il lui fallait ce fameux plan des souterrains.

Pour l’avoir, il recourut à la ruse.

Il profita d’une de ses fréquentes entrevues avec madame Le Mordeley pour l’amener à parler de son héritage. La conversation tomba fatalement sur le crime de la rue Rambuteau.

Madame Le Mordeley frissonna en racontant les détails de ce drame.

— Vous allez me traiter d’enfant, dit-elle à son interlocuteur ; mais, je vous l’avoue, j’ai peur que cette succession ne me porte malheur.

Gaudirol eut un sourire sinistre qui échappa à l’héritière.

Elle continua :

— Ce qui m’empêche d’être tout à fait inquiète, c’est que Dieu me protégera. Je prie ; je ne reçois que des gens pieux, comme vous avez pu le remarquer ; et, enfin, je souscris à toutes les œuvres de dévotion.

Le défroqué s’inclina comme devant une sainte.

— Vous n’avez rien à craindre, dit-il impudemment ; si un danger vous menaçait, les anges le détourneraient de vous.

Et il reprit :

— J’aurai une grâce à vous demander.

— Laquelle ? demanda vivement madame Le Mordeley tout émue.

Caudirol réfléchit quelques instants.

— Je vous ai montré la plupart des papiers établissant mon titre et ma parenté ; mais il se pourrait que yous ayez en votre possession, par suite de l’héritage que vous avez fait, d’autres pièces appartenant à ma famille, qui ne vous sont d’aucune utilité.

Madame de Mordeley saisit avec empressement cette occasion d’être agréable à son hôte.

— En effet, dit-elle, j’ai un coffret rempli de papiers qui me vient de ma succession. Je ne l’ai pas encore examiné en détail ; si cela ne vous ennuie pas outre mesure, nous allons en faire l’inventaire ensemble.

Caudirol se confondit en remerciements et madame Le Mordeley, après s’être absentée quelques instants revint avec le coffret.

Elle l’ouvrit et le poussa devant le bandit.

Celui-ci prit les papiers et les ouvrit successivement en disant à haute voix ce qu’ils contenaient.

Tout à coup, ses doigts tremblèrent. Il venait de reconnaître les plans des souterrains du château.

Il simula une maladresse et laissa échapper le coffret dont le contenu s’éparpilla sur le plancher.

En se baissant pour les ramasser, il s’empara vivement du précieux papier qu’il cacha dans une poche de gilet.

Puis, sans affectation, il remit les papiers dans la boîte et poursuivit son examen.

Il demanda pour la forme quelques pièces se rattachant au passé de la famille de Lormières.

Madame Le Mordeley ignorait complètement l’histoire de cette aristocratique maison. Elle se laissa duper par l’audacieux imposteur qu’elle avait reçu chez elle.

Au premier abord, elle avait craint que ce M. de Lormières, qui apparaissait tout à coup, n’émit des prétentions à l’héritage qui lui était advenu. Mais, bientôt, elle s’était complètement rassurée à cet égard.

Le château avait été tout nouvellement restauré, et à présent il était parfaitement habitable, mais madame Le Mordeley n’avait pas quitté le pavillon qu’elle occupait.

Elle n’aurait pas osé passer une nuit dans la nouvelle demeure des ducs de Lormières.

Caudirol était loin d’éprouver les mêmes appréhensions.

Aussitôt en possession du document qu’il convoitait, il se retira dans l’appartement qui lui était affecté et il s’enferma avec soin.

Puis il s’installa à sa table et il ouvrit le plan qu’il avait dérobé.

Il s’absorba longtemps dans un examen attentif.

Il regardait avec une joie fiévreuse la marque qui devait indiquer l’endroit où se trouvait le trésor.

Le cerveau en feu, il se leva et parcourut la pièce dans tous les sens.

Sa résolution était prise.