Le Vampire (Morphy)/60

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 363-367).

CHAPITRE XIII

Georges et Lydia.

Tandis que Caudirol machinait une nouvelle scélératesse, les événements s’étaient succédés à Paris.

Nous avons vu comment la bande de Sain-Ouen avait été décimée à la suite de l’assassinat de Titille.

Quant au Docteur-Noir, il était sur le point de passer en Cour d’assises.

Jean-Baptiste Flack lui avait promis la délivrance.

Il travaillait à tenir sa promesse.

Nous saurons bientôt ce qu’il organisait dans ce but.

Pour le moment, revenons à la Sauvage.

Après son entrevue avec les bandits, elle était rentrée chez madame Paulia.

Là, elle avait retrouvé sa protégée, la vieille Marita.

L’Italienne, dans sa folie, ne doutait point que la jeune femme ne lui fit retrouver l’assassin de sa fille, comme elle s’y était engagée.

La Sauvage prit un repos dont elle avait le plus grand besoin.

Le lendemain, elle se réveilla dans une élégante chambre à coucher du nouvel établissement de la mère Poivre-et-Sel.

Elle resta quelque temps songeuse dans son lit.

Puis elle s’habilla vivement et sortit sans prévenir son amie.

De ce pas elle se rendait dans la maison que Sacrais avait dû louer la veille aux environs de Noisy.

Le hasard rapprochait le repaire des bandits de la demeure du Docteur-Noir, occupée par Georges et sa fidèle servante Marguerite.

La Sauvage fut bientôt rendue.

Elle possédait toutes les indications nécessaires et elle trouva aisément, non loin de l’enceinte fortifiée, la bâtisse occupée par le bandit.

Lydia, la petite martyre de Sacrais, avait été transférée la nuit en voiture fermée.

La maîtresse de Caudirol la retrouva donc à son arrivée.

Elle était délivrée de la chaînette qui embarrassait ses pas.

En effet, il fallait user de douceur envers elle pour la décider à se laisser ramener à Nantes.

Sacrais et la Sauvage s’entendirent tout d’abord sur le meilleur moyen de transport.

On conduirait la jeune fille jusqu’à la gare en voiture.

Puis elle prendrait place dans un compartiment isolé avec Sacrais, qui passerait pour être son père,

Une fois rendue à Nantes, il serait facile de la ramener au château où elle se retrouverait chez madame de Mordeley, c’est-à-dire entre les griffes de Caudirol.

Si elle faisait du scandale, on mettrait sa résistance sur le compte de la folie ou bien l’on dirait qu’elle s’était enfuie de chez ses parents où on la ramenait.

D’ailleurs la Sauvage espérait décider Lydia par la seule force de la persuasion.

Elle alla vers elle et lui tendit doucement la main.

La jeune fille la regarda d’un air effrayé et se recula.

— Je vous fais peur ? lui demanda la Sauvage qui commença à jouer son rôle.

Lydia ne répondit point, mais ses lèvres tremblantes et l’agitation de tout son corps laissèrent assez voir combien elle était épouvantée.

— Pauvre mignonne ! reprit la Sauvage, vous allez être rendue à la liberté. Croyez*moi, tous vos tourments sont finis.

Et elle ajouta après une pause :

— Je ne pouvais pas disposer de vous jusqu’ici. Aujourd’hui cela m’est possible et je n’ai pas perdu une seule minute pour vous annoncer cette heureuse nouvelle.

Lydia regardait son interlocutrice avec un sentiment de doute cruel.

— Pourquoi me parlez-vous ainsi maintenant ? demanda-t-elle de sa voix harmonieuse et triste.

— Allons, ne tous inquiétez pas, continua la Sauvage. Vous allez être délivrée ; ayez confiance en moi.

Et elle lui fit une narration fantaisiste qui ne convainquit point la jeune prisonnière.

Cependant, celle-ci entrevit une espérance de salut et ne répliqua rien.

Une voiture arriva sur ces entrefaites.

Le cocher n’était autre que La Marmite, converti en automédon pour les besoins de l’expédition.

Le voyou avait été mis en partie dans le secret.

La Sauvage et Sacrais avaient une confiance illimitée dans son adresse.

Le jeune bandit portait tant bien que mal son nouveau costume.

Il s’approcha avec son dandinement habituel.

— Salut, la bourgeoise ; M. Sacrais, votre serviteur… Ah ! ahl nous allons trimballer mademoiselle. Faudra être généreuse, ma princesse ; les pourboires, voyez-vous, il n’y a encore que ça de vrai.

Et en plaisantant de la sorte, il s’inclinait devant Lydia.

— C’est bon, fit Sacrais, reste ici avec ta cliente. La Sauvage et moi, nous avons à causer.

La Marmite resta seul avec Lydia.

La jeune fille restait immobile dans un coin de la pièce.

Elle leva les yeux sur son étrange gardien.

Celui-ci toussa pour se donner une contenance. Sa blague de gamin de Paris l’abandonnait. Il se sentait gêné, mal à son aise.

Il grommela à part lui :

— Décidément, les entreprises se suivent et se ressemblent. Mais ça ne me botte pas du tout, ce genre de turbin. La Sauvage a baissé dans mon estime depuis qu’elle a mécanisé cette pauvre Titille. Et qu’est-ce qu’ils vont encore faire de cette poulotte ? Ça doit être du pareil au même. Ils la conduisent au chemin de fer… destination inconnue. Peut-être bien qu’on va la démolir aussi. Ça m’embête, elle a l’air honnête, cette môme. Pour sûr, c’est pas une vadrouille.

Lydia semblait subir un combat intérieur.

Enfin elle se décida à parler.

La figure ouverte et franche, quoique crapuleuse du vaurien, l’attirait.

Elle devina sous cette enveloppe cynique un bon cœur.

— Monsieur, dit-elle.

La Marmite prit son grand chapeau en toile cirée et se mit à le tourner entre ses doigts.

— Hum ! Qu’est-ce qu’il y a ?

Lydia fit un pas vers lui.

— Que va-t-on me faire encore, dites ?

— Dame, fit le cocher improvisé, moi j’en sais rien. On va vous conduire à la gare.

— Oh ! écoutez-moi… Vous n’êtes pas méchant…

— Si, si, repartit vivement La Marmite qui se sentait prêt à faiblir, je suis atroce.

— Non…

— Je vous répète que je suis mauvais comme une teigne.

La jeune fille insista.

— Si vous saviez tout ce que j’ai souffert, depuis que l’on m’a enfermée. Cette femme, qui est-là bas dans le jardin…

— Ah ! oui, la Mécharde, une fameuse rosse !… Mais, silence, voilà les patrons qui reviennent.

— Pitié… je vous en prie.

La Marmite était ému malgré lui.

— Si ça ne dépendait que de moi, fit-il, vous auriez depuis belle lurette la clé des champs. Mais la consigne est là. Je suis comme qui dirait une sentinelle.

Et se rapprochant de Lydia :

— Et tout ce que je peux faire, c’est de fermer l’œil à l’occasion…

La Sauvage et Sacrais rentrèrent.

— Passez, mon enfant, fit la maîtresse de Caudirol.

Lydia traversa le jardin.

Une grille la séparait seulement de la rue.

En ce moment, un jeune homme à l’air distingué, à la physionomie triste et pensive, vint à passer.

Il jeta un coup d’œil distrait sur Lydia qui l’aperçut à son tour.

Ils échangèrent un regard de curiosité chez le jeune homme, d’appel désespéré chez la jeune fille.

La Mécharde, qui lut la pensée de Lydia dans ses yeux, se jeta vers elle.

— Prenez garde, elle va se sauver !

Et elle repoussa Lydia dans la maison.

L’inconnu s’était approché.

— Vous n’êtes pas honteux de cette brutalité ! cria-t-il à Sacrais qui était resté dans le jardin.

Celui-ci paya d’audace.

— Mon petit monsieur, dit-il, faites-moi le plaisir de vous occuper de vos affaires. Ma fille est sous la garde de cette vieille femme et non sous la vôtre.

Et, ce disant, il rentra à son tour.

Le jeune homme resta un moment indécis sur ce qu’il devait faire.

Enfin, il se décida à poursuivre son chemin.

— Il n’y a pas que mon bon oncle, le docteur, qui soit malheureux, fit-il avec un soupir.

Ce jeune inconnu c’était Georges Bartier, le fils du Docteur-Noir.

Il se promenait aux environs de Noisy, où était la maison du médecin.

Son instinct d’enfant persécuté lui avait fait pressentir dans la jeune fille qu’il venait d’entrevoir une sœur d’infortune.