Le Vampire (Morphy)/61

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 367-371).

CHAPITRE XIV

Le faux cocher.

Sacrais et la Sauvage attendirent près d’une heure et se concertèrent en vue d’une tentative d’évasion.

Ils décidèrent de battre le pays aux alentours avec Lydia dans la voiture, sans s’éloigner sensiblement.

De cette façon ils pourraient éprouver leur victime.

Si Lydia voulait s’échapper, elle le tenterait aussi bien à Noisy qu’à Paris.

Mais en restant aux environs, on avait plus de chances d’éviter un scandale.

On se rabattrait aussitôt sur la maison de Sacrais.

La Sauvage parla bas à La Marmite.

— Tu vas nous promener un peu dans le pays. Nous aurons l’air de ne point surveiller la petite et nous verrons si elle veut se sauver. D’ailleurs, cela nous permettra d’attendre que le soir arrive pour rentrer dans Paris.

— D’autant plus, approuva Sacrais, qu’il n’est pas nécessaire de laisser cette voiture stationner plus longtemps devant la maison. Cela peut attirer l’attention.

— Très bien, fit à son tour La Marmite. Et puis, vous savez, je grille d’envie de montrer mon savoir-faire comme trimballeur. Ce n’est pas pour le roi de Prusse, je suppose, que nous avons loué cette bagnolle pour la journée. Faisons monter la jeune dame.

La Mécharde poussa Lydia vers la porte.

— Madame, votre carrosse vous attend, dit la hideuse mégère.

La jeune fille prit place dans la voiture avec la Sauvage.

Sacrais monta sur le siège avec La Marmite et l’on se mit en route.

À l’intérieur, la conversation s’engagea entre les deux femmes.

— Vous voyez, fit la Sauvage, on ne vous fait plus violence.

— Où me conduisez-vous ?

— On va vous ramener à Nantes…

— Chez madame Le Mordeley ?

— Non, vous vous êtes enfuie, donc vous n’y étiez pas bien. On vous conduit à Nantes parce que l’on a pensé que vous connaissiez du monde par là et que vous ne devez pas rester à Paris. Mais soyez sûre que vous ne serez pas rendue à votre maîtresse.

— Oh ! peu m’importe aujourd’hui. Elle était bonne pour moi, en comparaison de…

Lydia s’arrêta indécise.

La Sauvage se prit à sourire.

La voiture avançait toujours au petit trot.

Sacrais et La Marmite causaient avec animation.

Tout à coup, la Sauvage se laissa aller dans l’encoignure de la voiture, feignant de dormir.

Elle ne bougea plus.

Lydia la regarda un instant immobile et une lueur d’espérance brilla dans ses yeux.

Elle ne croyait point ce qu’on lui avait dit.

Pour elle, ce qui l’attendait, c’était quelque torture plus monstrueuse que tout ce qu’on lui avait encore fait endurer.

Et dans sa naïveté elle se demandait, pour la millième fois depuis sa captivité, ce qui pouvait animer tant de personnes contre elle…

Elle se rapprocha de la portière.

La Marmite conduisait son cheval avec une certaine sûreté de mains.

Sacrais le complimentait.

Le gamin faisait semblant d’être très fier de la confiance que l’on mettait en lui, mais en lui-même il n’était pas dupe.

On lavait choisi parce qu’on ne se méfiait pas de lui et que-sa personne ne tirait pas à conséquence.

Au contraire, on craignait le concours de ses camarades qui eussent été moins désintéressés et plus clairvoyants.

Il était entré dans la bande par entraînement.

En prison, il avait été séduit par les récits des habitués de l’endroit.

Le vol sur une grande échelle, les entreprises hardies des malfaiteurs de marque, tout cela souriait à son imagination aventureuse.

On ne s’était jamais occupé de lui donner de notions sur le bien et le mal.

Il avait accepté avec enthousiasme l’offre que l’Homme-qui-Pue, le receleur, lui avait fait de le faire admettre dans la fameuse bande de Saint-Ouen.

Depuis son admission, ce groupe de malfaiteurs, discipliné par la Sauvage, avait cessé d’exploiter une seule région.

Sous la direction de Caudirol, on a vu quel genre d’entreprise on exécutait.

Jusqu’alors il n’y en avait qu’une, celle du cimetière, du Père-Lachaise, qui eût été fructueuse.

La Marmite en était revenu de son fanatisme irréfléchi.

Il eut volontiers donné la liberté à la prisonnière.

— C’est du sale travail, pensait-il.

La voiture parcourait les environs de Noisy.

Soudain, La Marmite remarquai à l’encoignure d’une avenu, deux personnes qui semblaient attendre quelqu’un.

Elles étaient à l’entrée d’une villa.

Ces deux personnes, disons-le tout de suite, n’étaient autres que Madeleine et Georges Bartier.

Elles guettaient le retour de Jean-Baptiste Flack.

La Marmite reconnut le jeune homme qui les avait interpellés et avait été sur le point de secourir Lydia.

Une pensée généreuse lui vint.

— Si je faisais verser la guimbarde, se dit-il, ça c’est dans mon rôle de cocher. Je ne trahis personne.

Et il manœuvra savamment de façon à aller heurter en biais le rebord du trottoir.

Sacrais venait à son tour d’apercevoir Georges qu’il reconnut pour le jeune homme à qui il avait parlé le jour même.

— Diable ! fit-il, faisons vite.

La Marmite donna un coup de fouet à sa bête…

En ce moment la roue de la voiture alla buter sur le trottoir et se brisa à la hauteur de l’essieu.

— Nom de Dieu ! gronda Sacrais.

La portière s’était ouverte et Lydia avait sauté dehors.

La Sauvage voulut la rejoindre, mais Georges se précipita au secours de la jeune fille qu’il entraîna dans la villa.

Madeleine, qui ne comprenait rien à cette scène, avait refermé prudemment la porte extérieure.

L’avenue n’était point déserte…

Déjà, on accourait pour savoir ce qui venait de se passer.

— Filons, ordonna Sacrais, la partie est perdue.

La Sauvage suivit le bandit rapidement.

Quant à La Marmite, il marchait le premier, content de lui-même.

Sacrais pestait furieusement.

— C’est vrai, fit La Marmite, en v’là un avaro… Et c’est que nous ne pouvons pas facilement réclamer la petite. Coquin de sort !