Le Vampire (Morphy)/65

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 391-395).

TROISIÈME PARTIE

L’ÉVASION


CHAPITRE PREMIER

Lueur d’espérance.

Après avoir été interrogé par le juge d’instruction Barbinette, le Docteur-Noir avait été reconduit à Mazas.

Son évasion manquée et le meurtre qui l’avait accompagnée faisaient du malheureux médecin un prévenu de plus en plus important.

À peine réintégré dans sa cellule, il vit arriver un nouveau prisonnier qu’il jugea être un autre agent de police.

Avec l’individu accusé de faux, cela faisait deux « moutons » dans sa cellule.

Il était étroitement surveillé.

Impossible de prendre connaissance du papier que lui avait glissé son fidèle serviteur.

Les évènements de la journée l’avaient brisé.

Il éprouvait un invincible besoin de repos.

Sans même répondre à ses compagnons de captivité qui voulaient le questionner, il se déshabilla et se glissa dans son lit.

Il laissa couler de sa bouche le précieux papier et le plaça sous son traversin.

Puis écrasé de fatigue, il s’endormit.

Pendant quelques heures il sommeilla lourdement.

L’horloge de la prison qui sonnait minuit le réveilla de cette torpeur.

Il essaya de tirer une idée nette de son cerveau congestionné.

La pensée lui revint peu à peu.

Il se souvint, comme dans un cauchemar, de ce qui s’était passé.

Le couperet de la guillotine déjà fixé au-dessus de sa tête, ne tarderait pas à tomber.

C’eut été folie de compter sur autre chose que la mort.

Le Docteur-Noir, pendant sa longue prévention, s’était familiarisé avec cette idée.

Un instant il avait eu peur.

Si les jurés lui accordaient le bénéfice de circonstances atténuantes ? S’il était gracié ?

Il voulut bien mourir, mais aller au bagne, jamais !

— À présent, au moins, se dit-il, je suis sûr de mon affaire, et je serai condamné pour quelque chose.

En ce moment, il se rappela que Jean-Baptiste Flack lui avait remis un papier.

Il le chercha dans son lit et le retrouva après avoir fureté sous sa tête.

— Comment lire cela ? se demanda-t-il.

Il s’agissait d’être prudent.

Cette fois, l’occasion semblait propice.

Les deux détenus dormaient profondément.

Le gaz était allumé et la clarté assez vive permettait de voir suffisamment pour la lecture.

Un gardien de nuit passa et colla son visage au guichet pratiqué, dans la porte.

Le Docteur-Noir fit semblant de dormir.

Il avait entendu le léger bruit des espadrilles du surveillant sur le bitume de la galerie.

— Tout va bien, pensa-t-il. On ne repassera pas avant quelques minutes. Profitons-en.

Et il déplia le papier sous ses couvertures.

Cela fait il le plaça soigneusement sur son lit et il pencha la tête.

Le surveillant le plus attentif n’eut jamais cru qu’il lisait.

Lucien Bartier semblait dormir.

Voici ce que contenait le document remis par Jean-Baptiste Flack :

« Je commence par vous dire que je ne sais, en écrivant ces quelques lignes, comment je pourrai vous les faire parvenir. Peut-être tomberont-elles en des mains étrangères. Je parle donc à demi-mot, entendez double.

« Je n’ai pas besoin de vous dire la douleur cruelle que j’ai éprouvée, en vous sachant victime de votre humanité.

« Hélas ! votre justification qui devrait être si aisée, me semble bien compromise. J’aime mieux vous dire la vérité.

« Je vais vous donner quelques détails.

« La personne que vous vouliez sauver était dans l’état que vous supposez. Elle est revenue à elle aussitôt. Malheureusement, elle a disparu et tout ce que j’ai fait pour la retrouver a été inutile. »

En arrivant à ce passage, le visage du Docteur-Noir s’éclaira d’un rayon de joie.

— Je le disais bien, murmura-t-il, la baronne de Cénac était vivante.

Son amour-propre de savant était sauf.

Il continua sa lecture.

« Le misérable qui a assisté à l’exécution de son fils (vous savez de qui je veux parler) a été châtié. Un vengeur s’est dressé sur sa route. Je ne vous raconterai pas les nouveaux forfaits qu’il a commis. Sachez seulement qu’il n’a plus d’enfant. Celui qui vous intéressait est en sûreté maintenant avec nous. Quant au monstre, il reste vivant, mais ses yeux sont pour toujours fermés à la lumière… »

Le Docteur-Noir se recueillit un instant.

— Mon frère est aveugle… Ce châtiment il l’a cent fois mérité. Il n’a plus d’enfant ? Mais sa fille ! L’aurait-il tuée ?… Oh ! ce serait épouvantable !

La pensée de son fils vint le tirer de ces tragiques suppositions.

— Il est sauvé, notre Georges ! Quel bonheur ! Ah ! je mourrai tranquille !

Les révélations de Jean-Baptiste Flack s’arrêtaient là.

Il n’y avait plus que ces derniers mots :

« J’ai eu bien de revers. Au moment de saisir les coupables du crime du Père-Lachaise, je les ai sentis me glisser entre les doigts. Cependant, et pour des raisons que je ne puis confier au papier, je vous crie de tout mon cœur : Espérance ! »

Sa lecture finie, le Docteur-Noir chiffonna le papier et, l’ayant mis dans sa bouche, il le mâcha jusqu’à ce qu’il fût réduit en bouillie.

Puis il se leva sans bruit et le jeta dans le conduit d’aisances.

Rien de tout cela n’avait été remarqué.

Lucien Bartier se recoucha réconforté par les nouvelles qu’il venait d’apprendre.

La délivrance de son fils faisait bondir son cœur d’allégresse.

Enfin, il ne souffrirait plus, le pauvre enfant.

Et, peut-être le reverrait-il.

L’espoir rentrait dans son cœur.

Son imagination surexcitée repassa les circonstances qui avaient sauvé des malheureux aussi accablés que lui par le sort.

La découverte de la vérité survenant au moment suprême… un fait imprévu… une évasion hardie… il envisagea toutes ses chances.

Hélas ! la froide raison reprit bientôt le dessus.

Le Docteur-Noir comprit qu’il serait insensé de compter sur une chose impossible…

Cependant Jean-Baptiste Flack lui avait promis de le sauver.

Il connaissait le caractère de ce serviteur dévoué et il se torturait l’esprit pour deviner quel moyen de salut il avait découvert.

Il se déclarait à lui-même que ce serait folie de conserver la moindre espérance…

Et malgré lui… il espérait !