Le Vampire (Morphy)/66

La bibliothèque libre.
J.-M. Coustillier, éditeur (p. 395-397).

CHAPITRE II

L’avocat d’office.

Lucien Bartier s’attendait à voir sa détention se prolonger.

Ce fut avec stupéfaction qu’il apprit brusquement que l’instruction de son affaire était terminée et que la Chambre des mises en accusation venait de décider son renvoi en Cour d’Assises.

L’ordre parvint au greffe de Mazas de lever l’écrou de l’accusé, qui fut transféré en voiture cellulaire à la Conciergerie.

Tout espoir disparaissait.

Néanmoins le Docteur-Noir se trouva heureux dans son malheur.

À la maison de justice de la Conciergerie, il était seul dans sa cellule.

La vie à trois à Mazas, cette promiscuité de tous les instants avec des espions, la prévention enfin avec ses angoisses, ses humiliations et ses tortures, tout était terminé.

Son sort allait être débattu au grand jour de la Cour d’Assises.

Il ne tarda pas à recevoir la visite d’un avocat qui lui avait été désigné d’office.

Son assignation venait de lui être signifiée.

L’avocat du Docteur-Noir était un homme encore jeune et inexpérimenté.

Pour lui, c’était une occasion de se mettre en relief.

Il se présenta à la Conciergerie rempli de joie de la bonne fortune qui lui arrivait.

On le conduisit chez son client inattendu.

Le Docteur-Noir reçut son avocat avec cette réserve mêlée de lassitude qui était, le fond de son tempérament.

— Je suis maître Lavigne, dit de prime abord le débutant d’un ton de fatuité. Je suis chargé de vous défendre. Si jamais affaire a présenté un caractère de gravité extrême, c’est bien la vôtre. Nous aurons de la peine à parler de circonstances atténuantes aux jurés. Maintenant, écoutez-moi, je vais vous tracer votre plan de conduite.

Lucien Bartier, qui était demeuré silencieux et absorbé, releva la tête.

— C’est moi qui vais vous faire part de ce que je désire, s’il vous plaît, dit-il de son air fatigué et railleur. Je ne veux pas me donner la peine de me justifier. J’entends ne pas être défendu.

— Mais c’est la mort ! s’écria Me Lavigne interloqué.

— Que m’importe ! dit le Docteur-Noir avec un sourire de mépris. J’attends avec impatience que la porte du néant s’ouvre pour moi. L’humanité est peuplée de bêtes fauves… J’en veux sortir.

Le jeune avocat, complètement décontenancé, s’en fût sur cette réponse misanthropique.

Il quitta la Conciergerie moins sûr de son succès en Cour d’Assises qu’en entrant.

Son éloquence était littéralement coupée.

Pour acquit de conscience, il passa la journée à examiner le dossier de son singulier client.

Il ne rentra chez lui que tard dans la soirée.

Me Lavigne occupait un modeste logement aux environs du Palais de Justice.

Comme il passait devant la loge de sa concierge, celle-ci l’arrêta au passage.

— Monsieur ! il y a quelqu’un qui est venu vous demander. Il reviendra dans une heure.

— L’avocat pensa que c’était quelque stagiaire de ses amis et il n’attacha pas d’autre importance à cette visite…

Ce ne fut pas sans étonnement qu’il vit se présenter chez lui à l’heure dite un étranger bien vêtu, ayant tout l’air d’un client.

C’était un homme blond, à la physionomie ouverte, à l’œil vif.

Il essayait de fixer son binocle sur son nez sans pouvoir y parvenir.

— C’est à monsieur Lavigne que j’ai l’honneur de parler ? interrogea l’inconnu.

L’avocat inclina la tête et fit entrer son visiteur.

Celui-ci se présenta.

— Je m’appelle Jean-Baptiste Flack, je suis le domestique de M. Lucien Bartier…

— En effet, j’ai vu cela dans les pièces de la procédure. Mais on vous recherche. Vous avez disparu tout à coup et M. Barbinette, le juge instructeur, a cru voir dans votre départ une fuite. Un mandat d’amener est lancé contre vous.

Jean-Baptiste Flack fit un geste de souveraine indifférence.

Me Lavigne tombait de surprise en surprise.

— Décidément, se dit-il, le proverbe a raison : tel maître tel valet.

Il reprit :

— Mais, je dois vous le dire, vous n’êtes pas impliqué dans l’affaire. Ce que vous avez de mieux à faire, c’est de vous présenter vous-même comme témoin devant la justice.

Flack secoua la tête d’un air négatif.

— Mais c’est dans l’intérêt de votre maître, observa l’avocat.

Le fidèle ami du Docteur-Noir ne fut pas de cet avis.

— Non, certes, répondit-il. Je ne puis lui être d’aucune utilité. Je ne serais pas cru. Vous n’ignorez pas que M. Bartier, quoique innocent, est accablé sous le poids de preuves, écrasantes.

— Mais je ne sais rien du tout, s’écria Me Lavigne ; le Docteur m’a envoyé promener.

— Ah ! fit Jean-Baptiste Flack qui redevint circonspect.

Et après un moment de silence, il dit à l’avocat, en pesant sur chacune de ses paroles :

— Voulez-vous sauver votre client ?

— Si je le veux ! exclama Me Lavigne. Mais ce serait le plus beau tour de force judiciaire qu’on aurait jamais vu.

— Eh bien, je vous en fournirai le moyen, dit Jean-Baptiste Flack avec assurance.

— Il sera remis en liberté ?

— Oui.

Et en lui-même, le serviteur du Docteur-Noir pensa :

— Il sera libre, mais ce n’est pas sur ton éloquence que je compte pour cela, mon garçon.

Il ajouta à haute voix :

— Je ne puis vous donner d’explication. De grands intérêts m’obligent à garder cette réserve. Mais retournez auprès de M. Lucien Bartier. Dites-lui que vous m’avez vu et qu’il peut compter sur moi. Appuyez sur ces mots : Il peut compter sur moi.

— Dès demain je le reverrai.

— C’est cela. Et je suis persuadé que sur ma prière il vous laissera présenter sa défense comme vous l’entendrez.

En achevant ces mots, Jean-Baptiste Flack battit en retraite pour éviter d’indiscrètes questions.

Il prit congé de Me Lavigne qui resta tout perplexe.

— Ma foi, je nage en plein mystère, conclut l’avocat lorsqu’il fut seul.

Et certes il avait raison.