Le Vampire (Morphy)/76

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 439-445).

CHAPITRE XII

À Noisy.

Le cocher du fiacre, peu habitué a venir prendre ses clients à Mazas questionnait La Marmite.

— Qu’est-ce que ces particuliers-là.

Le faux agent prit un air dédaigneux.

— Oh ! pas grand chose, un individu qui a obtenu une ordonnance de non-lieu.

— Il était innocent ?

— À ce qu’il paraît. Moi, je m’en fiche.

— Et vous le ramenez chez lui ?

— Tout juste.

— Ce n’est pourtant pas l’habitude.

— Non, mais celui-là est malade. Il ne peut pas se traîner.

— Et il demeure avenue de Choisy ?

— Oui, au 53. Le brigadier a dû vous le dire.

— Ah ! c’est un brigadier votre compagnon.

— Parfaitement.

On était arrivé.

La voiture s’arrêta le long du trottoir.

Jean-Baptiste Flack sauta rapidement dans la rue et aida son maître à descendre.

Le Docteur-Noir prit le bras de son ami, tandis que La Marmite payait généreusement le cocher.

Quand la voiture se fut éloignée, les trois hommes prirent à droite et gagnèrent la prochaine station du chemin de fer de ceinture.

Ils se rendaient à Noisy.

La Marmite, tout joyeux, folâtrait le long de la route.

Il accostait les petites ouvrières qui passaient.

Flack sut le rappeler à l’ordre.

— Tu vas nous faire pincer, farceur, lui dit-il,

— Ça suffit patron, je me range. Désormais ma conduite sera exemplaire.

Le Docteur-Noir regarda le jeune homme, bien vêtu, et porteur d’une moustache postiche.

Il se retourna d’un air d’interrogation du côté de Flack.

Celui-ci devança une question.

— N’ayez aucune crainte, Je vous raconterai tout cela plus tard. Ce gamin nous est tout dévoué,

— C’est la vérité pure, approuva La Marmite.

On atteignit la station de la Maison-Blanche.

— Le bon Flack m’a parlé de vous, ma mignonne, lui dit-il, et je vois qu’il n’a exagéré aucune de vos qualités. Vous êtes bien aimante, il paraît ?

Cela fut dit sur un ton de douce moquerie.

Lydia se troubla.

— Eh ! parbleu, mes enfants, il n’y a point de mal ! Laissez parler les sentiments qui vous font battre le cœur. Je ne suis pas l’ennemi des gentils amoureux comme vous, croyez-moi.

Le retour du Docteur-Noir comblait les vœux des habitants de la villa.

Madeleine chantait et riait, tandis que Georges et Lydia ne se connaissaient plus tant ils étaient joyeux.

Il y a de l’égarement dans le bonheur immense et inespéré, comme dans le malheur le plus foudroyant.

Une nouvelle émotion attendait le Docteur-Noir.

En causant avec Lydia et en rapprochant ce qu’elle disait des renseignements qu’il tenait de Jean-Baptiste Fiack sur elle il acquit la conviction que le hasard venait de mettre sur sa route la petite-fille du père Marius.

En effet, la pauvre enfant, était, à n’en pas douter, la fille des fusillés de 1871.

C’était, elle aussi, une victime de Caudirol.

Nous ne tenterons pas de décrire les sensations d’ivresse et de bonheur fou qu’éprouvaient tous les hôtes du Docteur-Noir.

Enfin, il était sauvé !