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IRÈNE ET LES EUNUQUES

tempête, sous le règne d’Alexandre, avaient dédié cet édifice à la clémence de Poséidon. Une stèle l’attestait encore. Rougies par le temps, les colonnes projetaient une ombre propice aux fatigues, au chagrin. Là, Marie, hideuse et sèche, conversait naïvement avec la Panagia qu’elle croyait voisine. À l’écart, le bel Aétios contemplait les eaux changeantes ; parfois, en regardant le moignon de son poing, il murmurait un vers d’Euripide. Indifférent à sa chute, Pharès jouissait du soleil matinal, de l’ombre méridienne, de la fraîcheur vespérale. Il riait aux pépiements des passereaux, et respirait l’émanation des herbes chaudes. Avide, il dévorait le miel, le fromage des bergers, en gloussant de bonheur. Les yeux clos, Irène et Bythométrès enlaçaient leurs mains, se les baisaient en silence, et cela si fervemment, que les sentinelles postées à l’attache du promontoire se gaussaient du couple amoureux.

Or, les ressources des exilés s’épuisèrent. Le chef de la chiourme crut devoir leur appliquer la loi vulgaire, et ne leur procurer les aliments qu’en échange d’une tâche accomplie. Il leur confia des quenouilles, de la laine, des rouets. Irène donna l’exemple de la soumission aux cruautés du destin. Marie chantait, en filant, ses cantiques. Eunuques et impératrices se ressemblaient dans leur vieillesse. Assis sur les débris des degrés payens, sur les fûts des colonnes abattues, ils firent ronfler les rouets, de l’aube au soir. À cause de son moignon, Aétios maintenait sa quenouille dans le coude plié.