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IRÈNE ET LES EUNUQUES

On dit que Nicéphore naviguant dans les eaux de Lesbos, en l’été de l’an 803, fut curieux de voir les déchus.

Il débarqua sous le promontoire, escalada les sentes, se fit livrer passage par les sentinelles, et marcha vers la colonnade en ruines. Il trouva ses prisonniers à la besogne. Amollis par l’âge, flétris, leurs bajoues blettes, les eunuques se drapaient dans les lambeaux d’habits jadis somptueux. Leurs pieds nus pressaient les pédales des rouets. Marie chantonnait. Comme en un trône, Irène siégeait sur un chapiteau rompu. Un chiffon de pourpre contenait ses cheveux gris, et une robe de laine noire à franges violettes ondulait le long de son corps étique. La main gardait un grand bâton. Devant elle, le rouet et la quenouille étaient prêts pour la reprise du labeur.

Nicéphore resta debout. Parce qu’il était vêtu d’un costume militaire, ils ne le reconnurent pas d’abord. Ils le prirent pour un officier. Sa cuirasse de buffleterie, par-dessus la tunique bleue, reproduisait les exactes apparences en relief d’une nudité virile et herculéenne, les muscles des mamelles, les plis du ventre, le trou du nombril. À partir de la taille tombaient, contre les caleçons, de lourdes lanières blanches, terminées par des têtes léonines d’onyx, d’agathe, de topaze, d’argent. Un court manteau d’hyacinthe, brodé d’un aigle de soie et agrafé sur l’épaule, recouvrait d’une capuce sa tignasse grise. Nulle autre arme qu’un barreau d’ivoire ne le chargeait.