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Page:Adam - Irène et les eunuques, 1907.djvu/499

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IRÈNE ET LES EUNUQUES

abolie. Ne pleure pas mes lèvres d’autrefois. Ne pleure pas notre amour soumis aux grandes destinées de nos rêves…

— Ne me demande pas cela… supplie la Despoïna, la gorge sèche,… ne me demande pas cela… En vérité. Jean, ne me demande pas cela… Car je veux, je veux regretter la vue de tes lèvres fleuries, car je veux regretter le baiser que nous n’avons pas pris, l’étreinte que nous n’avons pas eue… car je veux sangloter enfin sur tout ce que m’avait promis ta rencontre, et que refusa la sévérité de ton rêve… Que m’importent les années de gloire, les flaques de sang, les acclamations de l’Hippodrome et le cortège des ambassadeurs barbares ? Je n’ai pas eu ta force que m’avaient promise tes yeux. Je n’ai pas eu ton cœur que m’avait promis ta voix… Jean, Jean, Jean !… Tu m’as menti ! Tu as flétri en moi ce qui était moi-même. Tu as mis en moi un autre et une autre… Or, quand, après le passage des temps effrénés, je me retrouve au bout des ans, je reconnais en moi une âme nulle qui ne ressentit pas même la fièvre du crime, qui ne ressent pas le remords du crime. Je suis le miroir brisé d’une ambition aride, la tienne, Jean, Jean, Jean ! Mes crimes crient contre toi. Ma vieillesse secoue contre toi les loques de ses chairs fripées… Comment as-tu osé prendre toute ma vie et toute ta vie, tous mes bonheurs et tous tes bonheurs, en abusant mon enfance avec la bulle d’un rêve fragile que l’ouragan dissipa. Depuis quarante ans tu es mon espoir, Jean !… Laisse-moi regretter le baiser