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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

adoucis, sont revêtues d’une fraîche végétation ; de belles forêts de sapins et de pins escaladent les flancs des montagnes, et dans les régions basses de magnifiques pâturages alternent avec des vergers et des coteaux boisés de chênes, de hêtres, d’érables, de charmes et de bouleaux. Ce ne sont partout que vallées ombreuses, coteaux gracieux, roches couvertes de mousse, eaux rapides et claires, cascades veinées d’écume…

Les défilés étroits que suivait la colonne expéditionnaire présentent de véritables réductions des cols des montagnes des Vosges, les hauteurs ayant retenu quelque chose de ces formes arrondies auxquelles les sommets de l’imposant massif, — très escarpé du côté qui fait face au Rhin, — doivent leur nom de « ballons ».

Mais l’hiver, — mais cet hiver-là surtout, — les beautés du paysage avaient pris un caractère de sauvage grandeur ; les forêts de sapins envahies par les neiges devenaient lugubres, les ruisseaux roulaient à grand bruit des eaux jaunâtres entre leurs bords gelés par le froid, les petits lacs bleus encaissés au pied des hauteurs disparaissaient sous un linceul blanc ; plus les chemins étaient d’ordinaire pittoresques et accidentés, plus ils devenaient rebutants, pénibles à suivre.

Il fallait à ces braves soldats une force d’âme peu commune pour tenter l’entreprise hasardeuse à laquelle ils couraient. Après six mois de guerre, irrités de toutes les brutalités, de toutes les violences, de l’absence totale de générosité d’un ennemi insolent qui déshonorait la victoire, les francs-tireurs de la forêt de Boêne, s’ils ne se brisaient pas contre les obstacles, les périls accumulés sur la route, s’abattraient lourdement sur leurs adversaires. Malheur aux Prussiens qui se laisseraient surprendre !

La colonne était conduite par le commandant Bernard, vieux troupier plein de courage et de hardiesse. Naguère simple caporal d’administration dans les convois de l’armée du Rhin, il s’était révélé en lui tout d’un coup de réelles aptitudes pour la guerre de partisans. Les officiers qui l’accompagnaient dans cette aventureuse expédition rivalisaient de fougue et d’audace. C’était, au premier rang, le capitaine Coumès, jeune lieutenant d’infanterie évadé de Metz ; le capitaine Magnin, ex-adjudant aux tirailleurs algériens, échappé de Verdun avec une poignée d’hommes de son régiment dont il avait fait le « noyau d’entrain » d’une compagnie franche, qui s’était distinguée dans la belle défense de la petite et patriote ville de Nogent-le-Roi, où elle perdit les deux tiers de son effectif ; le capitaine Richard, sergent de zouaves retraité qui avait repris du service dès nos premiers revers ; on l’ap-