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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

pendant la parade de la représentation du jour ; souvent elle amenait si peu de monde, qu’il fallait la recommencer jusqu’à trois fois.

— Comment vous appelez-vous ? lui dit-elle. Et d’un mouvement arrondi, elle fit bouffer ses jupes de gaze et s’agenouilla à demi pour mieux entendre la réponse, — car la grosse caisse, les cymbales et le tambour redoublaient d’énergie en vue de faire monter jusqu’au Champ de foire les marins et les ouvriers du port.

Elle fut même obligée de répéter sa question.

— Comment je m’appelle ? dit le petit Parisien, devenu subitement soucieux ; je m’appelle Jean.

— Jean ? Et puis ?

— Jean…

— Tu n’as pas d’autre nom ? fit la danseuse étonnée — nuançant d’un tutoiement son dédain inconscient.

— Et vous ? demanda à son tour le jeune garçon.

— Moi, Emmeline ; mon nom est sur l’affiche. Il est joli ; n’est-ce pas ?

— Très joli ; mais celui de votre mère ? de votre père ?

— Je ne sais pas, dit la petite questionneuse devenant rose comme sa jupe pailletée.

— Ah ! tu ne sais pas ! répéta Jean, la tutoyant à son tour, sans y mettre de malice. Peut-être ne veux-tu pas le dire ?

— Toi, peut-être… tu ne veux pas le dire ?

— C’est vrai… je dois l’oublier, mon nom. Il est inutile que d’autres le sachent.

— Je suis née à Paris, voilà tout ! reprit la petite fille, non sans quelque orgueil, et comme si cette circonstance rachetait l’absence du nom de famille.

— Si ce n’est que cela, j’en puis dire autant ! fit Jean avec un peu d’humeur.

Ce jour-là le petit Parisien n’assista pas à la représentation du soir. Il rentra à Ingouville, chez la mère Adélaïde — la nourrice du pauvre sauveteur. Jean s’était pris pour la vieille Normande d’un attachement filial et il voulait demeurer auprès d’elle aussi longtemps que les circonstances le permettraient. Il ne sortit pas après le souper, et obtint de l’octogénaire la permission d’écrire de nouveau, en son nom, au juge de paix pour dénoncer à ce magistrat la soustraction des papiers audacieusement accomplie par Jacob Risler et son compère. Peut-être cette fois, obtiendrait-on justice. Mais en s’adressant au juge de paix, Jean s’y prenait mal.