Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
301
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Et à son tour, tout ému par les larmes qu’il venait de voir couler, il se répandit avec des sanglots dans la voix en lamentations sur son déplorable sort. Orphelin, sans ressources d’aucune sorte, il ne lui était même pas permis de garder pour tout héritage le nom de son père — un nom déshonoré maintenant à tout jamais ! — Toutes ses tentatives, tous ses efforts avaient échoué. Il aurait voulu reporter sur son pays cet amour filial, ce dévouement qu’il ne pouvait prodiguer ni à sa mère ni à son père, mais cette consolation même était refusée à qui n’a d’autre nom que celui d’un traître à son pays ! La baronne entreprit en vain de consoler le pauvre enfant. À la peine qu’il éprouvait s’ajoutait le vide que lui faisait le départ d’Emmeline ; mais de cela, il n’aurait pas osé parler.

Tandis que madame du Vergier, après quelques démarches faites au parquet du Havre, s’en retournait précipitamment à Caen, pour mettre son mari au courant des événements et envoyer, de là, le signalement de la petite Emmeline et de sa prétendue mère à toutes les gendarmeries de France, Jean prenait le chemin de fer pour Rouen, afin d’aller voir à l’asile de Quatre-Mares ce qu’on avait fait de l’Allemand Hans Meister.

Il s’arrêta à la gare de Bouvreuil avec l’intention de descendre du faubourg jusqu’au bord de la Seine : le mousse Barbillon devait encore être chez sa tante Pelloquet, demeurant quai du Mont-Riboudet, en face de l’école de natation de l’île du Petit-Gay. Jean n’avait pas fait deux cents pas qu’il reçut par derrière une taloche amicale : c’était Barbillon qui, l’ayant aperçu, courait après lui.

Les deux garçons — les deux petits Parisiens — s’embrassèrent.

— Tu as donc quitté ta tante ? demanda Jean.

— Pas le moins du monde ; mais je ne peux point passer mes journées, auprès d’elle, à enfiler ses aiguilles ! J’aimerais encore mieux bourlinguer sur toutes les mers, comme dirait le père Vent-Debout.

— Et que fais-tu alors ?

— Comme tu vois : je vais et je viens.

— Alors, je t’emmène à Quatre-Mares.

— Tu as donc des fous à Quatre-Mares ?

— J’en ai un… qui m’a volé… un Allemand ; oui, il m’a volé l’honneur de mon nom et mon repos pour toujours.

Jean mit son camarade au courant de ce qui lui était arrivé depuis leur séparation.

— Mon cher Jean, je suis ton matelot, dit Étienne Barbeau. Seulement