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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

comme il est trop tard aujourd’hui pour aller à l’Asile, tu viendras dîner avec moi chez ma tante, et je te montrerai Rouen ; demain je t’accompagnerai partout où tu voudras. Dis oui, et je vais te montrer la place où Jeanne Darc a été brûlée, et puis la statue de Corneille et puis… une foule de belles choses.

Jean ne fut pas bien long à donner son consentement : la journée se trouvait réellement très avancée. Jeanne Darc, du reste, pesait autant dans sa décision que le violent désir d’avoir des nouvelles de Hans Meister. Ils entraient en ce moment même sur le boulevard Jeanne Darc.

— Ce n’est pas loin d’ici, lui dit le petit mousse ; de l’autre côté du boulevard… Jean ne résista pas davantage.

Ils arrivèrent en un instant devant la tour du donjon, dernier vestige du château que Philippe-Auguste fit bâtir à l’extrémité de la ville opposée à la Seine. Jeanne y fut interrogée et mise en face des instruments de torture. Quant à la tour où l’héroïque Lorraine fut enfermée en arrivant prisonnière à Rouen vers la fin de décembre 1430, les dames Ursulines d’Elbeuf ayant acquis le terrain sur lequel elle s’élevait, en firent démolir les derniers restes en 1809. La tour du donjon que l’on voit actuellement a été conservée et réparée grâce à l’initiative de la commune de Domrémy, et à une souscription nationale, en tête de laquelle la ville de Rouen s’est inscrite pour 25,000 francs.

Jean regarda longuement cette grosse tour ronde, abritée sous un toit conique, où celle qu’il aimait à appeler « sa petite sœur de Lorraine », avait expié dans les larmes son trop ardent amour de la patrie, amour si étrange pour le temps où elle vécut, qu’on y vit de bonne foi une obsession démoniaque.

— D’ici nous allons nous rendre à l’Hôtel-de-Ville, lui dit enfin Barbillon.

Mais Jean voulut être conduit d’abord à l’endroit où Jeanne fut brûlée. C’est la place du Vieux-Marché.

Les deux jeunes garçons, de leur pied le plus leste, arrivèrent promptement à cette place, partagée en deux portions inégales par l’envahissement d’anciennes maisons ; sur la plus petite des deux places, qui est aussi la plus rapprochée de l’église Saint-Éloi, les Anglais brûlèrent Jeanne Darc, le 30 mai 1431. À l’endroit même où l’héroïne rendit le dernier soupir, une fontaine a été élevée. Jeanne y est représentée en un costume de femme guerrière dans le style du règne de Louis XV. Mais le petit Parisien ne prit pas garde à cette étrangeté de mauvais goût : son émotion était bien trop sincère et trop profonde. Il cherchait à conserver ineffaçable dans son souvenir l’aspect ancien de cette lugubre place, ce qu’on voit de l’église Saint-Eloi et de