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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/373

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

troubler le jeune garçon : il voyait Emmeline perdue pour lui de toutes les manières, soit rendue à sa famille, soit exploitée par cette affreuse femme qu’elle appelait sa mère. Et quelque affliction que lui montrât la baronne dans ses lettres, il ne pouvait se résoudre à décider, dans son égoïsme naissant et sous l’influence de ses déceptions successives, laquelle des deux manières de perdre Emmeline était la moins cruelle pour lui.

Sur ses entrefaites, l’oncle Blaisot fut informé du décès de Grédel Risler. La malheureuse était morte en prison…

— C’est maintenant, dit l’ébéniste à son neveu en lui annonçant cette nouvelle, c’est maintenant que ton parent Risler va pouvoir épouser une riche héritière ; peut-être la demoiselle d’Aurillac, si elle est toujours à marier ! Un ancien sergent, chevalier de la Légion d’honneur, peut prétendre haut… Ayant opté, il aurait même la faculté de choisir en France et en Allemagne. Voilà pour lui une belle occasion d’achever de faire peau neuve ! Tu auras beau t’agiter, mon garçon, ajouta-t-il avec un ricanement qui faisait mal à Jean, Jacob Risler recevra une perception, quand il la demandera en récompense de ses bons services. S’il y a eu un traître dans la famille — de ton côté — ce n’est pas sa faute à ce brave soldat ! À présent, vois-tu c’est coulé en bronze. À ta place je n’essayerais même plus de revenir sur le passé. C’est comme ça ; eh bien ! il faut en prendre ton parti. Il y a des innocents qui montent sur l’échafaud… ça se voit ! C’est bien autre chose ! On ne t’a pas coupé la tête… c’est-à-dire…

— Oui, oui, mon oncle, je vous comprends, dit Jean, tandis que l’ébéniste pour éclaircir ses idées, se versait le fond d’une bouteille de quelque chose, placée à sa portée.

Ce ne sont pas les exhortations avinées de l’oncle Blaisot qui pouvaient modifier la manière d’être du petit Parisien. Les consolations du frère de sa mère ne réussissaient guère auprès de Jean. Le jeune garçon se sentait de plus en plus isolé ; il devenait triste à en être malade. Il n’avait pas eu d’enfance ; il semblait menacé de n’avoir point d’adolescence. Muri, prématurément pour les soucis de la vie, et affaibli par un trop prompt développement de certaines facultés, il paraissait ne devoir jamais être en état de supporter virilement, de secouer même avec l’énergie désirée, les contrariétés, les injustices avec lesquelles on se trouve aux prises.

Cependant il s’acquittait bien de son emploi. Son « patron » en le voyant taciturne, absorbé, mais ne se laissant jamais distraire par aucune futilité, augurait avantageusement de l’avenir du jeune garçon.