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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/390

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

mandes sont patriotes, instruites, jolies, — ce qui ne gâte rien — gaies et excellentes ménagères.

L’heure du repas arriva, et Jean observa encore que si les Flamands sont sobres dans leur domestique, ainsi qu’on l’affirme, ils aiment la bonne chère en compagnie. Au dîner, on but une bière où l’amertume du houblon dominait, et que Jean déclara — à part lui — le plus désagréable des breuvages. Tel n’était point l’avis de la famille Sockeel, ni de l’ami Quentin : les uns et les autres le prouvèrent copieusement.

Dans la conversation Jean se risqua à traiter de patois la langue parlée dans la Flandre française. Le petit bourgeois de Cassel ne dit rien ; mais c’est « ma tante » qui ne fut pas contente ! Elle releva vertement le mot : Ça, ça ! Le flamand était une véritable langue et non un patois ! Elle ajouta que dans les arrondissements de Lille, de Douai, de Cambrai et d’Avesnes, l’idiome populaire est un français vicié par une mauvaise prononciation ; mais que les deux arrondissements d’Hazebrouck et de Dunkerque appartiennent presque en entier à la langue flamande. Les « flamingants » comme on dit, y dominent, excepté dans les villes, — à Dunkerque, à Gravelines, à Bergues, à Hazebrouck, — ici — dans ces deux arrondissements la campagne est restée vlaemsch. Là, la langue flamande, est toujours la langue usuelle. Toutefois il est interdit aux notaires d’écrire leurs actes en flamand, et comme un grand nombre de paysans ignorent absolument le français, les officiers ministériels sont souvent fort embarrassés pour se faire comprendre de leurs clients.

— Les curés, poursuivit la dame, se considèrent comme obligés de prêcher en flamand dans les villes et dans les villages. Mais combien de temps encore notre vieux langage sera-t-il en honneur ?

— Ah ! fit le père avec un léger soupir, le respect s’en va à mesure que les enfants apprennent le français à l’école ; lorsqu’ils rentrent à la maison, ils se croient autorisés à bafouer père et mère, à qui le beau langage n’est pas accessible. L’orgueil, le dédain des anciens s’en mêle ; plus tard, nos gars ne pensent plus qu’à quitter le village. Voyez-vous, tout cela n’est pas bon, certainement ! Et le magister devrait se borner à enseigner à lire le flamand comme le français, à écrire, à compter : cela nous suffirait bien !

Quentin voulut protester ; mais l’oncle Sockeel lui ferma la bouche.

— Toi, tu as le vent bon, tu flânes tant que tu veux, tu culottes des pipes, tu vides des chopes, tu avales de bons morceaux, tu peux dire que ton pain est tombé dans le miel : tais-toi !

— Eh bien donc ! protesta le Lillois ; chacun, en ce monde n’est-il pas