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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/419

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

aigu, brodés sur un fond large et grave. Ce carillon, orgueil de la ville, un temps délaissé, rétabli en 1853, charme d’heure en heure les oreilles des bons Dunkerquois. Le samedi et le dimanche de véritables artistes prennent possession de son clavier.

Le gaz s’allumait partout ; les rues s’animaient ; et comme on est loin à Dunkerque, d’avoir renoncé au carnaval et que déguisements et mascarades y semblent une utile protestation contre le dédain des vieux us, des groupes en costumes bariolés, taillés par le caprice et assemblés par la fantaisie, se croisaient en sens divers, se dirigeant vers les endroits où l’on devait, par la danse, finir joyeusement l’année. Ceux qui ne dansaient plus, — le goût de la danse est très vif, très répandu dans la ville maritime — ceux-là se grisaient et exhalaient par les rues en sons gutturaux d’anciens refrains flamands. Des marins de toutes les nations se montraient disposés, comme toujours à suivre le branle.

Dans le lointain, la ducasse qui commençait le lendemain et devait durer trois ou quatre semaines, donnait aussi par anticipation ses premiers coups de cymbale et de grosse caisse.

Jean respira plus librement. Il retrouvait enfin l’atmosphère qui convenait à ses poumons. Une dernière fois, il pensa encore à la baronne du Vergier — que son imagination lui représentait assise, triste et songeuse, au coin de sa cheminée — et il se promit bien de n’y plus penser.

Il chercha le beffroi d’où s’égrenaient dans le brouillard de gais fredons, et il se trouva au pied d’une très grosse tour carrée vieille de plusieurs siècles, séparée par la largeur d’une rue de la colonnade qui sert de portail à l’église gothique de Saint-Éloi, — colonnade, disons-le en passant, bizarrement rapportée à cet édifice, et qui est une reproduction de la colonnade et du fronton du Panthéon de Rome : un auvent en bois élevé par une municipalité vigilante garantit les gens contre les fragments qui se détachent incessamment des pierres par trop friables qui, au siècle dernier, ont servi à l’édification de cette façade.

Le beffroi trouvé et toisé du regard, Jean courut du côté où s’établissait la fête. Il passa par des rues Jean-Bart, des places Jean-Bart, longea des canaux Jean-Bart, avisa un hôtel Jean-Bart où il se promit de venir demander une chambre, un restaurant Jean-Bart, un café Jean-Bart. Le proverbe : Nul n’est prophète en son pays, ment à Dunkerque. Il est impossible d’ignorer que le petit marin qui fit ses premières armes et son apprentissage sous le Hollandais Ruyter, — cet excellent maître qu’il devait battre un jour, — est le fils de