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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/452

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

main dans la matinée — une matinée assez froide — on eût pu voir le courageux garçon sortant de la gare de Caffiers — une assez grosse balle de livres sur le dos.

— Où suis-je ? murmura-t-il, pris d’un trouble soudain. Est-ce bien moi ?

Puis, se remettant un peu, il questionna des oisifs qui venaient vers la station comme vers un centre d’activité, une gare aux nouvelles ; et il sut qu’à cinq kilomètres se trouvaient les houillères de Fiennes, peu visitées par les marchands ambulants, où ce ne serait pas sans profit qu’il étalerait aux yeux des ouvriers mineurs, les séductions renfermées dans son panier carré recouvert d’une toile cirée. Désireux de tenter la fortune dès son premier pas, il ouvrit sa balle à la gare même et ce fut avec succès : un vieux monsieur décoré, salué par tous du titre de capitaine, lui acheta un exemplaire de la centième édition de l’« Art d’accommoder les restes ».

— C’est un beau et bon livre, lui fit observer Jean, puisqu’il a atteint ce chiffre élevé d’éditions…

Le capitaine lui demanda d’un air narquois s’il pensait se moquer de lui ; et devinant la naïveté du colporteur, il ajouta :

— À ce compte, ce livre serait le premier du siècle. Nous sommes perdus si les libraires se mettent à compter par millions, comme les tuiliers. Sachez, jeune homme, que je n’achète ce livre que pour faire enrager ma cuisinière.

Timidement, une jeune fille s’approcha et, sans marchander, choisit une « Clé des songes ». Un garde-champêtre très affairé, fit emplette d’un « Parfait secrétaire» : il cherchait, dit-il, un modèle pour verbaliser dans les formes contre les chiens « divaguant» sur la voie publique…

Quand toute sa clientèle fut servie, il sembla à Jean, au moment où il rechargeait sa balle sur ses épaules qu’elle était sensiblement plus légère, tant cet heureux début lui donnait des forces ! Il alla à Fiennes et fit recette. Alors il poussa dans la direction de Guines, chef-lieu de canton de quatre à cinq mille habitants. En traversant la forêt de Guines, il fut très surpris de rencontrer une petite pyramide en marbre, érigée, disait l’inscription, à l’endroit même où l’aéronaute Blanchard et l’Anglais Gefferies prirent terre le 7 janvier 1785, après avoir traversé le détroit.

Dans la même journée, il put reprendre le chemin de fer et aller coucher à Marquise, où une population ouvrière groupée autour de forges et hauts fourneaux importants, lui permettait d’entrevoir un débit assuré ; ce qui se réalisa en effet.