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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/503

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

pour les retenir au passage. L’un d’eux criait que son onguent pour les cors était de force à faire sortir d’une porte de chêne un clou long de trois pouces.

Plus avant, s’élevait un tapage assourdissant fait de toutes sortes de bruits : détonations de pistolets et de carabines, orgues en pleine activité autour des chevaux de bois, quilles abattues pour gagner le lapin blanc, et les excitations des teneurs de jeux : « qu’abât, qu’abât, qu’abât la quille ! » ronflement des toupies hollandaises, grincement des roues de fortune aux loteries à deux sous le paquet de fiches, et, du côté du public, une mêlée, une bousculade, et des chansons exécutées au mirliton, des cris de joie, des rires, des appels. Plus loin encore, les saltimbanques débordant sur les tréteaux des loges luttaient de verve et d’entrain pour attirer à eux la foule, et faisaient des appels désespérés à l’éloquence de la clarinette, de la grosse caisse et des cymbales.

Tout entier à son vif désir de revoir Cydalise, Jean ne se laissait distraire par rien. Il regardait du côté des baraques, et, malgré les tourbillons de fumée noire et grasse s’élevant des cuisines, il n’eut pas de peine à reconnaître dans la troisième loge à droite, la loge Sartorius, que régissait Risler.

En ce moment même, l’oncle Risler prenant le rôle d’aboyeur, arpentait les tréteaux de la parade, le long d’une rangée de lampions fumants ; et il frappait dans ses mains, en criant : « Suivez, suivez, suivez le monde ! on va commencer ! » Il y avait pourtant plus d’un bon quart d’heure que la représentation était en train ; mais Risler n’avait jamais dit une vérité. La loge ne devait pas être pleine, la recette maigre… et il aboyait.

Tout en marchant, Jacob appliquait de vigoureux coups de houssine sur les deux grandes toiles suspendues de chaque côté de l’entrée. L’une montrait un éléphant gigantesque, mais bizarre au point que des paris s’engageaient souvent à savoir où était sa trompe, où était sa queue. Lorsque la houssine fouettait la toile, la peinture frémissait et l’éléphant semblait prendre vie. L’autre toile représentait un énorme gorille, enlevant une jeune femme aux cheveux dénoués ; son mari, en uniforme de général anglais, suivait par derrière, impuissant à la secourir, résigné, les mains dans les poches, mais la consternation peinte sur un visage encadré de favoris du plus beau roux.

Jean attendit au coin de la plate-forme que le régisseur vînt vers lui, et il réussit à attirer son attention.

— Te voilà donc enfin, mauvais gueux ! lui cria Risler en l’apercevant. Pourquoi n’es-tu pas venu à Calais ?… puisque je t’avais dit que tu m’y