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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

thèque de romans de chevalerie, — cette même bibliothèque que le curé de Don Quichotte brûla avec un zèle méritoire mais tardif, lorsque déjà l’Incomparable chevalier de la Manche avait perdu la raison à la lecture de ce volumineux et héroïque fatras.

Enfin, même à l’égard des choses qui stimulaient si puissamment sa curiosité, il devait se faire une raison ; il le comprenait : il lui fallait ne pas oublier quel motif généreux l’avait amené jusque-là hors de son chemin et le poussait au fond de la Basse-Bretagne.

C’est ce qu’il se disait en montant en wagon dès les premières heures du jour, suivi de l’affamé Méloir.

Peu après que le train eut franchi la Vilaine sur un pont de trois arches, se présenta Montfort-sur-Meu, bourgade de 2,400 habitants, au confluent de deux petites rivières, — le Meu et le Garun, — qui eut des murailles au quatorzième siècle et qui n’a plus guère que des ruines ou des édifices ayant changé de destination : une belle tour ronde à mâchicoulis devenue une prison, la léproserie de Saint-Lazare transformée en ferme…

À Montfort on trouve des voitures qui font la correspondance avec Ploërmel, célèbre par son « pardon » — et aussi par l’œuvre lyrique de Meyerbeer — et correspondent de même avec Dinan et Loudéac. Le train courait sur Montauban-de-Bretagne, qui apparut bientôt sur le bord de l’étang de Chaillou. C’est encore un chef-lieu de canton de 3,000 habitants. De l’ancien château fort, très vaste, deux tours subsistent. L’entrée principale est seule habitable.

À mesure que Jean et son compagnon approchaient de Landerneau, la Bretagne se développait successivement sous tous ses aspects, par ces beaux jours d’été, où un soleil éclatant brillait dans un ciel ordinairement gris et brumeux : landes fleuries, mêlant l’or de ses genêts épineux au rose obscur de la bruyère ; prairies naturelles d’une agréable fraîcheur ; champs d’avoine, — de très belles avoines — champs de lin et de chanvre, — de ce lin et de ce chanvre qui servent à tisser les toiles de Bretagne ; des coins de terre sauvages succédant à des campagnes cultivées, plus pittoresques, il est vrai, que fertiles ; la terre inculte près de la terre qui produit ; presque partout, un mélange, que l’on ne rencontre nulle part au même degré, d’attristante sécheresse et de riante fertilité.

Tour à tour, apparaissaient les vallées profondes creusées par des rivières nombreuses, au cours sinueux, dont les moulins empruntaient les forces, et où le bouillonnement de l’eau se mêlait au tic tac des roues en mouvement ;