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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/598

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

laine rouge ; un grand gilet vert à manches bleu de ciel leur serrait la taille. Disons en passant que ces cultivateurs, voisins de Morlaix, n’ont pas attendu les chemins de fer pour se mettre en rapport avec Paris : le père et le grand-père des deux jeunes Roscovites, plus d’une fois avaient fait en charrette le voyage à la capitale, accomplissant leurs cent-cinquante lieues à petites journées. Ils apportaient les primeurs de leur coin de terre aux Halles, où la colonie roscovite avait son quartier.

Près de la route, devant la maison des nouveaux mariés, on en était aux coups, au simulacre de combat qui inaugure la cérémonie ; et les horions de pleuvoir sur des têtes dures — qui ne demandaient pas mieux que de se trouver à pareille fête.

Notre ami Jean était entré chez le tailleur Troadec ; et sa femme, — une femme toute petite et ridée, ridée, — lui avait dit qu’il était à la noce.

— Vous n’êtes pas du pays ? avait ajouté la mère de Méloir ; c’est la noce de Flohic Kerjean avec…

— Avec Vivette ? s’était écrié Jean qui eut un fâcheux pressentiment.

— Je vois que vous savez !… — Oui, avec la fille à Jacut Dénoual. La mère de Flohic est la veuvière de Guyomard Kerjean, et Flohic n’ira brin au régiment oùs qu’on est soldat.

Jean s’en alla sans en écouter davantage et se mit à la recherche du pauvre Breton. Il se heurta contre Méloir qui accourait au-devant de lui — livide, les poings fermés, mâchant d’effroyables jurons : il venait de tout apprendre au cabaret : inutile de se cacher plus longtemps, sarpegoy !

Il saisit Jean et l’entraîna, malgré une résistance prudente, vers la ferme de l’heureux Flohic. Ah ! il avait survécu à ses blessures, ce rival indestructible ! Et il avait profité de l’éloignement de Méloir pour se faire agréer par la coquette Vivette ! La trop sensible enfant avait pensé qu’elle devait bien une compensation à son adorateur tant maltraité, et qui avait failli rendre l’âme pour l’amour d’elle.

Devant la maison, à côté de l’armoire luisante, les gars s’allongeaient des taloches, se poussaient, se bousculaient, s’injuriaient pour se mettre un brin en colère. Flohic, brun sous sa pâleur, un poing sur la hanche maintenu par le pouce engagé dans la poche du gilet, très calme, le sourire aux lèvres, laissant errer au hasard ses yeux d’un bleu sombre, présidait distraitement à la lutte courtoise.

Tout à coup, un remous se forme dans les groupes au milieu de ces gars petits de taille, bruns, à tête ronde ; des coups de poings — de vrais coups —