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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

» Nos paysans sont patients, sobres, économes, infatigables. Chacun d’eux travaille pour acheter de la terre, arrondir son champ. Ils ne mangent de viande et ne boivent de vin que deux fois par an : le mardi gras et le jour de la « balocho. »

— Balocho ? fit sir William, quoi donc, « if you please ? »

— Sandis ! tout le monde sait bien que c’est la fête patronale ! Leur pain est fait de froment mélangé de seigle et de maïs. Ils vendent le vin qu’ils récoltent, et se contentent de piquette. Le surplus de leur nourriture consiste en pommes de terre cuites sous la cendre, d’ail et d’oignons croqués au sel, d’une soupe aux choux sans huile ni graisse, ni beurre — ni margarine. En hiver, ils se régalent avec des « armotos. »

— Armotos ? répéta l’Anglais interrogateur.

— Mais d’où sortez-vous donc, mon vieux ? C’est une bouillie de farine de maïs, chacun sait ça. Avec cela de rudes gaillards, allez ! Et il n’y a pas que des paysans, les bourgeois aussi sont solides ; et le Gers a fourni bien des fameux soldats, les généraux Lagrange, Soulès, Subervie, Léglise, Dessolles né à Auch, le maréchal Lannes né à Lectoure. Et je n’ai pas nommé le comte de Montesquiou-Fezensac, maréchal de camp des armées du roi, ni Villaret de Joyeuse, l’un des plus braves marins de la République ; je n’ai pas nommé non plus, pour ne pas remonter trop haut, le brave Lahire et Xaintrailles !

— Xaintrailles appartient au Lot-et-Garonne ! vociféra le commerçant d’Agen.

— « Well ! », fit le baronnet à peu près satisfait. Et le département de… Montauban ? demanda-t-il, est-il « valuable ? »

— Vous voulez dire le Tarn-et-Garonne ? corrigea le bourgeois de Montauban. Il a aussi ses grands hommes ; té ! le maréchal Caumont de la Force, général et pair de France, le général Doumerc qui commanda une division de cuirassiers de la grande armée, le général Malartic, celui qui défendit si courageusement pendant six ans l’Île de France et l’Île Bourbon, et puis le célèbre tacticien Guibert…

Le bourgeois de Montauban avait décidément la parole ; pour la garder, il éleva la voix, — un superbe creux du midi — et couvrant les interruptions du bouilleur de cru et du marchand de fruits secs, ligués à leur tour contre lui, il exposa que son département possédait et le Tarn et la Garonne et l’Aveyron, sans compter « un monde » de petites rivières. Les fertiles vallées larges, unies où coulent toutes ces eaux au milieu d’un pays ondulé par