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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/740

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

récita des vers. On prit un bateau pour traverser la nappe d’eau qui chatoyait avec ses péniches et ses canots. L’Anglais demeurait positif autant que burlesque ; mais Jean s’épanouissait, remué, vibrant, heureux de se sentir vivre et, pour la première fois, échappant aux vulgarités de l’existence.

Sir William prit sa revanche en visitant méthodiquement et Guide en main, — à l’anglaise — l’abbaye de Haute-Combe, toute sombre sur son rocher, près des rives du lac. Son église renferme la sépulture des princes savoisiens. En cédant la Savoie à la France, Victor-Emmanuel s’est réservé la possession de Haute-Combe comme domaine privé.

Jean vit ainsi la Savoie qui est la contrée la plus élevée de l’Europe. Située dans les Alpes, elle possède les cimes les plus hautes de ces montagnes, et tout d’abord le Mont-Blanc qui est de 4,900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Du Mont-Blanc au Rhône, les montagnes se succèdent en diminuant, de sorte qu’on les dirait placées en amphithéâtre le long de la chaîne centrale des Alpes.

Jean fut à même de vérifier que cette terre porte l’empreinte de toutes les révolutions du globe ; toutes sont indiquées par les érosions, les crevasses, les redressements et les renversements des couches, les éboulis, les excavations internes, les agglomérations de tous genres. Là, en une journée de course, il est possible de parcourir les divers degrés de l’échelle géologique, et de voir successivement les dépôts des cataclysmes les plus modernes, les graviers du Déluge, les blocs erratiques charriés par les champs de glace, les calcaires, les grès, les roches cristallines, les granits, les porphyres et tous les éléments qui forment l’écorce de notre planète.

Attentif et réfléchi comme il le devenait Jean fit aussi ses remarques. Il constata le petit nombre des grandes propriétés, et la multitude de petites terres, toutes bien cultivées, — surtout dans la vallée qui s’étend de Rumilly à Chambéry et de là à la vallée de Tarentaise ; c’est une suite de vergers qui reposent le regard au milieu de l’âpreté des cimes granitiques et des perspectives changeantes.

Dans les hautes vallées de la Tarentaise et de la Maurienne, les paysans retiennent la terre sur les pentes ravinées, en construisant des parapets, en formant des terrasses ; ils apportent même de la terre végétale d’assez loin, se contentant parfois de créer un champ d’un mètre carré, tout au plus assez large pour recevoir deux ceps de vigne. Avec la vigne, qui réussit grâce à l’élévation du sol, et qui se rencontre jusque dans les hautes vallées voisines des glaciers, les Savoisiens obtiennent des fruits nombreux, des céréales