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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/766

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

vingt mille francs pour sa vigne (Jean avait montré des lettres de son ami contenant quelques bonnes paroles à l’adresse de Jacob). Qu’est-ce que cela peut te faire ?

Jean demeurait fort embarrassé pour répondre ; il affirmait à son oncle que ce n’était nullement « une cachotterie ».

L’ami de Maurice, la pensée toujours dirigée vers ce coin de la Normandie où vivait Sylvia, assuré des sentiments de la jeune fille, songeait à donner plus d’activité à cette lutte pour la vie qu’il avait entreprise. Il lui fallait absolument amoindrir la distance qui le séparait de la demoiselle de noble maison. Possédant déjà assez de style et d’orthographe, connaissant passablement l’histoire de notre pays, il portait toutes ses forces sur l’étude de la géographie, et il apprenait sans maîtres l’anglais et l’allemand, avec l’intention d’y joindre dans quelques mois l’espagnol, langue parlée ainsi que l’anglais sur une grande partie du globe. Il s’aidait beaucoup des relations de voyage pour se donner une idée de l’aspect des contrées lointaines, de leurs ressources, des mœurs et des lois propres aux races qui les peuplent.

Et maintenant, délivré d’un vague désir de s’instruire, il savait par quelle voie il se dégagerait de son milieu. Son ambition était de prendre part à une de ces expéditions comme on en a fait plusieurs de notre temps, et que le monde civilisé suit de ses regards et accompagne de ses vœux. Aujourd’hui, on ne va plus au loin uniquement pour faire fortune, comme autrefois tant d’illustres aventuriers. Des mobiles supérieurs impriment leur activité aux hommes de bonne volonté, et la fin de ce siècle attend d’eux le couronnement de ses connaissances géographiques, la solution de bien des problèmes scientifiques, le renversement des antiques barbaries, l’élargissement des voies qui conduisent à travers le monde.

Dans ses livres, Jean avait appris à connaître un intrépide voyageur, Savorgnan de Brazza, qui venait d’accomplir sa deuxième exploration dans l’Afrique occidentale, et en préparait hardiment une troisième, ayant le caractère d’une expédition faite en vue d’établissements à créer. Quel bonheur pour ce petit Parisien, ce gamin de Paris, s’il lui était donné de s’attacher aux pas de cet homme d’une si louable persévérance et de revenir dans quelques années de ces régions du Congo, de l’Ogooué et de l’Alima, comme on revient d’une campagne brillante en victoires et conquêtes ; de rapporter à son pays — noble ambition — une âme virile et fortement trempée ; d’être quelqu’un qui s’estime et que l’on prise ; d’avoir combattu le combat pour l’existence d’où l’on ne sort pas toujours heureux, mais toujours fortifié et