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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/77

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

sonnette. Il entra ; Jean le suivit. En venant du grand jour, ils n’y virent pas plus que dans une cave.

Mais on parlait dans une chambre haute à laquelle un escalier de bois donnait accès.

— Ah ! fichtre ! disait une voix de femme, parce que tu as le dos plat et que j’y ai une bosse, tu prends des airs capables avec moi ! Non, mon canard, ce mariage ne se fera pas ! Victorine n’est pas pour cet Alsacien ; et moi je n’en veux pas, je n’en veux pas, je n’en veux pas !

Pour Bordelais la Rose, comme pour son petit ami, il s’agissait évidemment du mariage projeté entre Jacob Risler et la fille de la maison.

Le charpentier poussa cette exclamation :

— Sac et giberne ! c’était bien vrai ! Mais, ajouta-t-il, nous arrivons heureusement assez tôt pour éclairer le futur beau-père… avant qu’il devienne la dupe de cet intrigant.

— Vous verrez, observa Jean, que cet homme traînera notre nom devant les tribunaux.

— Qui est-ce qui parle en bas ? demanda la femme qui venait d’admonester son mari.

— Madame Abel ! cria Bordelais la Rose en se faisant un porte-voix de ses deux mains.

— Me voilà, répondit-on ; qui me demande ?

— Y êtes-vous ?

La question paraissait superflue ; mais c’était là une tournure trop ordinaire dans le langage méridional pour que personne y prît garde.

Madame Abel s’apprêta à descendre ; « mon canard » la suivit.

Déjà les nouveaux venus commençaient à s’habituer à l’obscurité. Ils distinguaient le mobilier de la salle basse, principale pièce du logis : un grand lit à la duchesse aux colonnes torses, protégé par un baldaquin massif servant d’étagère pour une foule d’objets encombrants, une armoire colossale chargée de solides moulures et dont les battants faisaient penser à la porte cochère d’un hôtel princier ; à côté d’une très grande et très haute cheminée figurait avantageusement un dressoir à vaisselle dans des dimensions analogues aux pièces de l’ameublement, un grand fauteuil de bois, une « maie » à pétrir le pain ; le long des murs s’alignaient chaises et tables massives, huches et bahuts.

Ce mobilier en chêne noirci, poli et verni par le temps, possédait un certain air d’opulence qui contrastait avec les « jambes » pendues aux solives du