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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/796

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

à la Méditerrannée et de Bordeaux au Rhin ; sa constitution économique est de nature à être enviée ; son sol admet les cultures les plus variées ; ses campagnes sont riches par les produits de la ferme et l’élevage du bétail, ses villes riches encore par les industries les plus diverses ; elle possède des bassins houillers, des minerais ; elles a à la disposition de son trafic des chemins de fer développés, une marine marchande importante ; enfin, chose précieuse entre toutes, ses populations, si diverses par leurs origines, leurs mœurs, leurs usages, leurs idiomes provinciaux sont confondues en une admirable unité ; cette unité française qui brille par une phalange d’hommes d’élite — ceux dont Jean avait visité les villes natales et tant d’autres bien plus nombreux… À lui seul, Paris en a fourni une légion.

En faisant toutes ces réflexions, qui fortifiaient son patriotisme, Jean arriva à Mérignac, un peu après le 15 mars. Il était attendu par Bordelais la Rose qui lui avait préparé un petit trousseau de linge de corps, — toile et laine.

— J’ai accepté enfin quatre-vingt-dix mille !

Ce fut la première parole que lui dit son vieil ami, lorsqu’il put se dégager de son étreinte.

Et sans plus d’ambages, l’excellent homme déclara à Jean qu’il le faisait son héritier.

— Si tu reviens un jour, comme j’en ai le ferme espoir, tu trouveras cet argent en bonnes rentes sur l’État, augmenté des intérêts. Et si Bordelais la Rose n’est plus là, — sac et giberne ! — tu te rappelleras qu’il a voulu t’adopter et tu l’aimeras un peu avec cette vigueur de sentiment que tu as montrée quand il s’est agi de la mémoire de ton père. Vois-tu, Jean, quatre-vingt-dix mille francs, — mettons cent mille avec les intérêts, — ça leste joliment un gaillard retour du Congo ; et il me semble que si j’étais le baron du Vergier, je ne me trouverais pas trop noble pour acquitter envers toi une dette de cœur qu’il a contractée dans des conditions… Reste à savoir si la demoiselle…

— Oh ! fit Jean d’un air indiquant qu’il ne doutait point de Sylvia.

Toutefois il avait beaucoup rougi.

— Je m’étais toujours douté, sac et giberne ! que tu prenais par le Congo pour aller à Caen.

— Si ce n’était pour elle, murmura Jean, je n’aurais peut-être pas entrepris cette lutte pour la vie, comme disent les Anglais, d’où je dois sortir grandi et fortifié si je ne succombe…