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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/191

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LA FEMME DU DOCTEUR

babillarde Wayverne chante et court sous les fenêtres, et au delà un panorama de prairies verdoyantes et des massifs de bois empourprés à l’horizon.

Isabel parcourait les salons dans un ravissement muet, mais sous ce ravissement il y avait la morsure d’une souffrance cachée.

Ses rêves étaient donc réels ; il existait des endroits comme ceux-ci et des gens qui y habitaient. Gens heureux pour qui la vie était toute grâce et toute poésie, qui regardaient par ces fenêtres, qui s’asseyaient dans ces antiques fauteuils, qui possédaient des coffrets de mosaïques florentines, des portraits peints par Van Dyck, les bustes en marbre des empereurs romains, des tapisseries des Gobelins, et cent objets d’art charmants, dont les noms seuls étaient une langue inconnue à Isabel, qui les entouraient de tous côtés et toujours !

Pour quelques gens c’était ainsi qu’était la vie ; et pour elle… Elle frissonna en pensant au parloir de Graybridge, — au tapis râpé, aux rideaux de damas passés de couleur et bordés de velours éraillé, aux vases fêlés placés sur la cheminée. Et quand même George lui eût donné ce qu’elle avait demandé : l’ottomane, les jalousies, et les rideaux roses… à quoi cela aurait-il servi ? Sa chambre n’aurait pas ressemblé à celle-là. Elle regardait autour d’elle dans une sorte de rêve ambulatoire, enivrée par la beauté du paysage. Sous cette impression on la conduisit dans une pièce plus vaste où son guide lui montra une petite peinture placé dans un angle, un Tintoret, qui était un joyau, disait-il.

Elle regarda le Tintoret d’un air à demi somnolent. Ce joyau était bien noir et ses beautés échappaient à