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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/192

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LA FEMME DU DOCTEUR.

l’appréciation de Mme Gilbert. Elle ne pensait pas au tableau. Elle rêvait à quelque coup de baguette romanesque qui pourrait la transformer en héritière légitime d’un château comme celui-là, avec une rivière comme la Wayverne, bavardant sous les fenêtres, et de longues branches baignant leurs extrémités dans l’eau. C’étaient des pensées puériles de ce genre qui occupaient son esprit, pendant que Raymond s’étendait sur le fini et le modelé merveilleux du chef-d’œuvre vénitien. Mais elle fut tirée de sa rêverie, non par les remarques de son compagnon, mais par une voix de femme qui partait du côté opposé de la salle.

— On voit rarement le contraste des cheveux blonds et des yeux noirs, — disait la voix. — Ces yeux-là ont quelque chose de particulier.

Ces paroles n’avaient rien de remarquable ; ce fut le ton dont elles furent prononcées qui attira l’attention d’Isabel. C’était le ton avec lequel Édith Dombey et lady Clara Vere de Vere auraient pu s’exprimer ; un ton où l’on remarquait une sorte de hauteur nonchalante adoucie par la grâce féminine, un accent traînant qui n’avait rien d’affectueux, mais seulement une sorte de fluidité dans l’émission de la voix, Quelque chose comme les passages marqués legato en musique.

— Oui, — répondit une autre voix, qui avait toute la nonchalance de la première sans en avoir la hauteur, — oui, c’est un joli visage. C’est Jeanne de Naples, n’est-ce pas ? C’était une personne assez mal élevée, si je ne me trompe. Elle jeta quelqu’un par la fenêtre et se rendit absolument désagréable.

Raymond pivota aussi brusquement que s’il eût reçu un choc électrique et courut à travers le salon,