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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/75

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LA FEMME DU DOCTEUR

avocat qui était grand, brun et majestueux, et qui parlait de Graybridge-sur-la-Wayverne comme d’un lieu obscur où l’on ne pouvait rester que quinze jours au plus, pendant la saison de la chasse. Les idées de Mlle Sophronia s’étaient élargies pendant la semaine passée à Londres, et elle traita son compagnon de voyage avec une hautaine indifférence, qui aurait pu blesser George au vif s’il se fût aperçu du changement de manières de la jeune personne. Mais le pauvre George ne remarqua aucun changement chez la fille du brasseur, il ne vit rien de nouveau dans l’expression du visage placé en face de lui, pendant que la locomotive l’emportait. Il rêvait à un autre visage qu’il n’avait entrevu que pendant quelques heures, et que, peut-être, il ne reverrait jamais, à une figure de jeune fille pâle, encadrée de cheveux d’un noir de jais et qu’illuminaient de grands yeux tristes, pareils à des étoiles scintillant faiblement à travers les brumes du soir.

Avant de quitter Londres, George avait obtenu une promesse de son ami Sigismund. À la moindre nouvelle que Smith aurait des Sleaford, il devait la communiquer au jeune médecin de Graybridge-sur-la-Wayverne ; il était assurément bien absurde à George de s’intéresser à ce point à cette singulière famille ; le jeune homme le reconnaissait lui-même ; mais il se disait que les gens singuliers sont toujours plus ou moins intéressants, et que, puisqu’il avait été témoin du brusque départ de Sleaford, il était bien naturel qu’il désirât connaître la fin de l’histoire. Si ces gens étaient réellement partis pour l’Amérique, naturellement tout était dit ; mais s’ils n’avaient pas quitté Londres, on pouvait rencontrer un jour ou l’autre