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LES OISEAUX DE PROIE

véritable distinction. Dans l’esprit de Georgy, la villa était l’idéal de la maison d’habitation. Les ménagères de Barlingford avaient coutume de rendre leurs demeures insupportables à force de propreté et Georgy croyait encore à l’infaillibilité de sa ville natale. Dans cette maison un ordre parfait, absurde régnait ; nulle fantaisie, rien qui rappelât l’artiste, l’amateur, le collectionneur. Sheldon n’avait pas le temps de collectionner quoi que ce soit, et Georgy préférait de beaucoup les éclatants vases roses et bleus à tous les vieux bahuts fouillés. Les livres étaient rares ; trois ou quatre volumes symétriquement superposés attendaient sur une des tables ; il y avait une édition illustrée des poèmes de Cowper, un album avec des vues d’Écosse à l’eau forte, des collections du Punch, et un Vicaire de Wakefield, également illustré. Que pouvait-on demander de plus ? Personne n’avait jamais lu les livres, mais les convives de Mme Sheldon étaient quelquefois bien aises après dîner de trouver sous leur main les vues écossaises ou le Vicaire de Wakefield pour dissimuler les bâillements que provoquent parfois l’ennui et les digestions difficiles. Georgy lisait beaucoup, mais rien que des romans : elle les louait à un cabinet de lecture à la mode. Sheldon ne s’y opposait pas, mais il condamnait en bloc toutes les œuvres d’imagination : dans sa pensée elles étaient également insignifiantes et n’étaient propres qu’à fausser l’esprit. Il avait essayé de lire des romans pendant ses jours d’épreuves, mais il s’en était très-vite dégoûté ; les héros de ces romans avec leurs éternelles phrases sur l’honneur, la vertu, lui avaient paru être des êtres tout à fait absurdes et inadmissibles.

« Donnez-moi un livre qui ressemble à la réalité et je le lirai, disait-il avec impatience ; mais je ne puis accep-