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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/140

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LES OISEAUX DE PROIE

ter cette rhétorique insipide où sont exaltées des vertus qui n’ont rien d’humain. »

Une fois, cependant, un livre l’avait fait réfléchir. Le livre était d’un Français, un nommé Balzac ; la hardiesse de l’auteur l’avait séduit ; il avait été émerveillé de la triste franchise de son observation, du don singulier qu’il avait de descendre jusqu’aux dernières profondeurs du vice humain.

« Cet homme connaît les hommes ! s’était-il écrié. Il dit ce qu’il sait, brutalement, sans hypocrisie, ni concession. La convention, la banalité lui répugnent ; il n’habille pas ses personnages d’oripeaux menteurs ; il les montre ce qu’ils sont, et il serait vraiment difficile, en les considérant, de s’extasier sur leur délicatesse et leur générosité. À la bonne heure, ce Français est un maître. »

Les jours où Sheldon avait le temps de lire Balzac étaient loin. Il ne lisait plus maintenant que les journaux et, même dans les journaux, seulement les articles qui pouvaient avoir quelque influence sur les fonds publics. Rien n’est plus absorbant que la passion de s’enrichir. Sheldon avait quelquefois soupiré après les plaisirs. Il les avait enviés tous, et, maintenant qu’il pouvait les connaître, il les dédaignait, préférant mille fois l’âpre et folle joie de gagner de l’argent, encore et toujours, à toutes les autres joies. Le plaisir était un axiome qui n’avait jamais été admis parmi ceux sur lesquels Sheldon s’appuyait pour diriger sa vie.

Il en résulta que l’existence de Sheldon devint de plus en plus absorbée par le tracas des affaires et par les questions d’intérêt. La pauvre Georgy se plaignait tristement de la négligence de son mari, mais sans oser le lui dire : elle se soulageait en contant ses petits ennuis