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LES OISEAUX DE PROIE

à ses domestiques et à ses amies, et particulièrement aux plus humbles ; mais elle n’en disait rien à Sheldon. De quoi, en effet, pouvait-elle se plaindre ? Il ne rentrait tard que très-rarement, et jamais ni plus gai, ni plus surexcité que de coutume ; il était toujours aussi froid, aussi maître de lui qu’à son réveil. Elle avait tout naturellement tourmenté le pauvre Halliday ; mais devant la gravité impénétrable de Sheldon, elle demeurait respectueuse, interdite.

Sheldon dominait sa femme à ce point que lorsqu’il lui arrivait incidemment de lui dire qu’elle était une très-heureuse femme, elle tenait son opinion pour bonne et n’en demandait pas plus.

En réalité, malgré ses petites histoires à ses domestiques et à ses amies, Mme Sheldon se jugeait heureuse ; ces plaintes, assez rares d’ailleurs, étaient comme les notes basses de l’harmonie de sa vie et ne faisaient que rendre cette harmonie plus complète. Elle lisait des romans et s’occupait de ses oiseaux ; exécutait toutes sortes d’ouvrages de fantaisie avec des grains de verre et de la laine de Berlin ; arrangeait elle-même les chefs-d’œuvre du salon ; et, de temps en temps, allait faire une promenade dans les jardins de Kensington.

Tel était le cours ordinaire de son existence, parfois interrompu par un événement extraordinaire tel qu’un dîner donné à un personnage influent ou une visite à la pension dans laquelle Charlotte Halliday complétait son éducation.

Cette jeune personne, quelques mois après le mariage de sa mère avec Sheldon, avait été retirée de sa pension pour entrer dans une autre respectable maison d’éducation. C’était, à cette époque, une jeune fille aux joues roses, trop jeune pour éprouver un froissement sérieux