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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/243

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LES OISEAUX DE PROIE

nête Horatio, je tâcherai de trouver exquis les beefsteaks les plus durs, les côtelettes les plus desséchées.

« Un chemin de fer arrive maintenant presque jusqu’à Dewsdale ; il y a une petite station qui ressemble à un four de bois hollandais, située à un mille du village. J’y suis descendu. La matinée était plutôt une matinée d’été que d’automne. L’air était doux et embaumé, le soleil jetait sur le paysage une chaude lumière, et les teintes rouges et dorées du feuillage flétri resplendissaient sous l’éclat de ses rayons. Un homme dont la vie s’écoule dans les villes doit avoir l’âme bien endurcie, s’il ne se sent pas ému devant les beautés naturelles. Je n’avais rien vu d’aussi attrayant que ces prairies et ces taillis anglais depuis que j’avais quitté les collines boisées de Spa. Un garçon à moitié idiot m’a conduit à travers champs à Dewsdale ; il m’a fait faire un mille de chemin de trop ; mais je lui pardonne et je l’en bénis, car je pense que cette promenade m’a fait du bien. Il me semblait que toutes les vapeurs malsaines avaient été chassées de mon cerveau lorsque la douce brise faisait voltiger mes cheveux.

« Et ainsi jusqu’à Dewsdale, marchant à travers ces tranquilles prairies, je me mis à penser à une foule de choses qui me venaient rarement à l’esprit à Londres. Je pensais à ma mère morte depuis longtemps ; une pauvre et bonne créature trop faible pour le fardeau qu’elle avait à supporter et tant soit peu aigrie par la misère de la vie. J’ai toutes les raisons du monde pour conserver d’elle un tendre souvenir ; nous avons tant souffert ensemble ! Je crois que mon père l’avait épousée conformément à la loi, et si je ne puis affirmer ce point, j’ai du moins la certitude que je suis bien leur enfant.

« Puis, mon esprit s’est mis à rêver à cette vie de