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Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/78

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C’est dans un but qu’armés et tenant deux rivages,
D’affreux chefs, hérissés de couronnes sauvages,
Barrant l’isthme espagnol de l’une à l’autre mer,
Aux pointes des granits, dans le vent, dans l’éclair,
Sur la montagne d’ombre et d’aurore baignée,
Accrochent cette toile énorme d’araignée.

Comme en Grèce jadis les chefs thessaliens,
Ils tiennent tout, la terre et l’homme, en leurs liens ;
Pas une triste ville au loin qui ne frissonne ;
Vaillante, on la saccage, et lâche, on la rançonne ;
Pour dernier mot le meurtre ; ils battent sans remord
Monnaie à l’effigie infâme de la mort ;
Ils chassent devant eux les blêmes populaces,
Ils sont les grands marcheurs de nuit, rasant les places,
Brisant les tours, du mal et du crime ouvriers,
Et de la chèvre humaine effrayants chevriers.
Être le centre où vient le butin, où ruisselle
Un torrent de bijoux, de piastres, de vaisselle ;
Se faire d’un pays une proie, arrachant
Les blés au canton riche et l’or au bourg marchand,
C’est beau ; voilà leur gloire. Et c’est leur fait, en outre,
Quand de quelque chaumière on voit fumer la poutre,
Ou quand, vers l’aube, on trouve un pauvre homme dagué,
Nu, sanglant, dans le creux d’un bois, au bord d’un gué ;
Le vol des routes suit le pillage des villes ;
Car la chose féroce amène aux choses viles.