Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/13

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plus difficiles et les plus curieuses qui se puissent entreprendre. À l’ouest de la France s’étend d’une façon formidable une grande presqu’île ; elle va s’allongeant entre deux mers, et elle forme à l’occident la pointe la plus avancée du continent européen. Cette contrée, qui appartient autant à la poésie qu’à l’histoire, tour à tour république fédérale, royaume, duché, province du royaume de France, c’est la Bretagne. Depuis les temps de Jules César jusqu’au dixième siècle, elle a défendu ses libertés par toutes les résistances de la parole et des armes. Elle a tenu à ses privilèges comme les honnêtes gens tiennent à l’honneur de leur nom. Ses soldats se sont battus sur tous les champs de bataille ; ses grands capitaines ont contribué autant que les plus grands rois de France à l’établissement du royaume. Les Bretons ont été les plus hardis conquérants de la mer ; ils ont leur part dans toutes les gloires pacifiques et guerrières de la nation française, par Duguesclin, par Abeilard, par M. de Chateaubriand. Province austère, elle eut pour ses premiers historiens et pour ses premiers architectes les vieux druides. Vastes forêts, landes stériles, bruyères, torrents, mer qui gronde, bardes qui chantent, philosophes qui rêvent, illustres penseurs, énergiques précurseurs de la croyance et du doute, qui s’arrêtent à M. de Lamennais comme à leur héritier le plus illustre et le plus direct.

La côte nord de la Bretagne commence aux grèves du Mont-Saint-Michel, qui la séparent de la Normandie, son ancienne et formidable rivale. La limite est digne des deux provinces : forteresse imprenable, voilà pour la Normandie ; formidable écueil, voilà pour la Bretagne. À partir de ce point terrible, le regard, épouvanté, s’arrête sur une côte hérissée de rochers et percée de baies profondes ; vous comprenez, rien qu’à suivre ces choses bouleversées, que le flot de la mer s’en est rendu maître par la violence. En effet, le continent a perdu tout l’espace, aujourd’hui recouvert par les îlots, qui s’étend entre la Normandie, les îles de Jersey et la côte bretonne. Là s’élevait, profonde, remplie de ténèbres et de mystères, la forêt de Scissy, cette terre des fables et des miracles dont parlent les légendes. On trouve encore, le long de ces grèves, à quelques pieds sous le sable, des arbres entiers ensevelis par la mer, irrécusables vestiges de ce déluge dont l’histoire n’a gardé qu’un vague souvenir. Le cap Fréhel, pâles rochers que l’on prendrait de loin pour autant de fantômes, grottes profondes habitées par des géants, est la partie la plus pittoresque de cette côte, dont le sillon de Talberg et le point le plus avancé. Des îles nombreuses,