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le chien d’or

encore en purgatoire, ce bon Cardinal ; il y attend le bourgeois pour régler ses comptes avec lui.

Bigot haïssait le bourgeois Philibert, comme on hait celui que l’on a offensé. Il avait aidé à le chasser de France, autrefois, sous le prétexte que lui, Philibert, alors comte normand, mû par sa générosité naturelle, avait osé protéger contre l’indignation de la cour, certains sectaires malheureux, dans le parlement de Rouen. Aujourd’hui Janséniste, il le haïssait à cause de sa prospérité. Sa haine tournait à la fureur, quand il voyait briller au fond du magasin de la rue Buade, la tablette du Chien d’Or avec sa menaçante inscription. Il comprenait bien le sens de ces paroles de vengeance, écrites en lettres de feu dans l’âme du bourgeois.

— Malheur à toute l’engeance du Chien d’Or, le parti des honnêtes gens ! cria Bigot. Si ce n’était que de ce cafard de savant, qui joue au gouverneur ici, j’aurais vite descendu l’enseigne et pendu le maître à sa place.

Les convives devenaient de plus en plus joyeux et bruyants, à mesure qu’ils vidaient leurs coupes, et bien peu s’occupaient des discours de l’Intendant. Cependant de Repentigny le regarda, comme il ajoutait ces dernières paroles :

— Qu’est-ce cela, pour des hommes qui n’ont pas peur de se montrer hommes ?…

Bigot surprit le regard de Repentigny, et ajouta :

— Mais nous sommes tous des poltrons, dans la grande compagnie, et le bourgeois nous fait peur.

Le Gardeur était joliment aviné. Il ne savait guère ce que venait de balbutier l’Intendant, et n’avait saisi que ces dernières paroles.

— Où sont les poltrons ? chevalier, demanda-t-il. J’appartiens à la grande compagnie maintenant, et moi, je ne suis pas poltron, si tous les autres le sont. Je suis prêt à décoiffer de sa perruque n’importe quelle tête en la Nouvelle-France ; je porterai la perruque au bout de mon épée sur la Place d’Armes, et là je défierai le monde entier de la venir prendre